Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
La christité
La christité
  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 1 093 203
Archives
22 septembre 2013

Ep 5, 21-33 (subordination homme/femme) ; 1 Cor 11, 7-11 (voile sur la tête de la femme)

Voici une méditation de Jean-Marie Martin sur un texte de saint Paul auquel il se réfère souvent. Plusieurs points qui donnent des repères sont abordés : la lecture que fait Paul d'un texte de l'Ancien Testament, la structure caché/dévoilé (mustêrion/apocalupsis), le thème de la subordination qui dit tout autre chose que dans notre propre culture, la symbolique masculin-féminin (époux/épouse)...

 

Lettre de saint Paul aux Éphésiens ch. 5, v. 21-33

 subordination entre homme et femme

et lecture rapide de 1 Cor 11, 7-11 (Le voile sur la tête de la femme)

Groupe Lire saint Paul, séance du 19 mai 2009 animée par Jean-Marie Martin

 

 

Jean-Marie MARTIN : Nous sommes dans ce très beau passage d'Éphésiens 5, du verset 21 jusqu'à la fin du chapitre. Je vais le lire et j'entreprendrai ensuite de vous le présenter.

 Benn, Cantique des Cantiques 05  « 21Soyez subordonnés les uns aux autres dans la crainte du Christ. 22Les femmes à leurs propres maris comme au Seigneur 23puisque l'homme est la tête de la femme comme le Christ est la tête de l'Ekklêsia, étant lui-même sauveur du corps ; 24mais comme l'Ekklêsia est subordonnée au Christ, que de même les femmes le soient à leurs maris en tout.
    25Vous les hommes, aimez vos femmes selon que le Christ a aimé l'Ekklêsia et s'est livré (donné) lui-même pour elle, 26en sorte qu'il la consacre, l'ayant purifiée dans un bain d'eau accompagné de parole, 27en sorte qu'il fasse se tenir devant lui l'Ekklêsia glorieuse n'ayant ni tache ni ride ni quelque chose de ce genre, mais qu'elle soit consacrée et sans tache. 28Ainsi les hommes doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps. Celui qui aime sa femme s'aime soi-même ; 29en effet personne jamais n'a haï sa propre chair, mais on la nourrit et la soigne, selon que le Christ l'a fait de l'Ekklêsia 30 puisque nous sommes membres de son corps.
  31Pour cela l'homme quittera son père et sa mère et s'accolera à sa femme et ils seront deux pour être une seule chair. 32Ce mustêrion est grand et moi je le dis du Christ et de l'Ekklêsia.   33Outre que, vous aussi, vous êtes selon l'unité, chacun de même aime sa propre femme comme soi-même, et que la femme craigne son mari. »

 

Ce texte comporte en gros deux parties et je divise la deuxième en deux :

– La première partie, du verset 21 au verset 24, est sur le thème de la sub-ordination.

– La deuxième partie, du verset 25 au verset 33, mis à part la toute dernière petite mention « et que la femme craigne son mari », pratiquement dit le devoir du mari par rapport à sa femme. Le mot devoir n'est pas très bien choisi. On peut dire que tout le reste indique la tâche qui revient au mari. Et dans cette deuxième partie je détache un morceau à la fin, du verset 31 au verset 33.

 

Versets 31-33 : Paul lit un verset de la Genèse.

Dans ces versets nous avons ce qu'on peut appeler un lieu sourciel, à savoir une citation de l'Écriture qui régit l'ensemble du texte même si cette citation vient vers la fin du texte. Il s'agit de la lecture d'un verset de la Gn 2 et cette lecture assez étonnante, mais nous sommes habitués à cela, c'est essentiel chez Paul.

Quand Paul lit la Genèse, il lit le Christ et son affaire, le Christ et l'Ekklêsia. Nous avions l'exemple de la deuxième aux Corinthiens à propos du Fiat Lux : « Le Dieu qui dit lumière luise d'entre les ténèbres c'est celui qui fait luire dans nos cœurs » (2 Cor 4, 6).

Il faut savoir que les versets 26 et 27 du premier chapitre de la Genèse, c'est-à-dire « Faisons l'homme à notre image (…) mâle et femelle il les fit » sont une lecture également christologique et ecclésiale : l'homme à l'image, qui n'est pas Adam de Gn 2 mais Adam de Gn 1 c'est-à-dire Adam spirituel (pneumatique), cet homme à l'image c'est le Christ. La lecture est alors celle-ci : « Faisons le Christmâle et femelle il les fit » en comprenant que mâle et femelle sont Christos et Ekklêsia, masculin et féminin.

Ici c'est un verset de Gn 2 qui est pris et qui est transposé cette fois dans l'espace même de Gn 1 car c'est encore Adam premier qui est en question.

Les mêmes textes fondamentaux de l'Ancien Testament peuvent être lus ou adaptés à différentes étapes du récit christologique ou à différents étages de la construction de la pensée christologique. Cette fois, le texte de Gn 2 est dit de Christos et de l'Ekklêsia, Paul le dit très clairement.

Il cite le texte de Gn 2, 24 (« l'homme quittera son père et sa mère») et il faut comprendre le commentaire qu'il fait ensuite. « To mustêrion touto méga estïn» : nous trouvons ici mustêrion,, un mot très important chez Paul, il ne s'agit pas d'un mystère au sens usuel du terme. Le mot mustêrion, vous vous rappelez que nous l'avons pensé dans le rapport mustêrion/apocalupsis[1] : caché / dévoilé ; cette structure fondamentale, nous l'avons abondamment trouvée – le vocabulaire est divers mais la structure constante – dans le 1er chapitre de cette épître aux Ephésiens.

C'est la structure caché / manifesté, qui est autre que la structure prévu / réalisé. Le meilleur symbole de cela, qui est commun à Paul et à Jean, c'est le symbole de la semence et du fruit : la semence est en caché ce que le fruit est en dévoilé, d'un dévoilement accomplissant.

Tout l'examen de la structure fondamentale de la pensée de Paul, qui va à dire que c'est une pensée de l'accomplissement et non pas une pensée du faire, se relie également à cela. Les conséquences en sont immenses ; il importe de l'avoir repéré et ensuite progressivement de tenter d'y pénétrer.

« 32Le sens secret (caché) – de cette parole de l'Ancien Testament – prend sa grandeur (sa dimension) quand je l'interprète (légô) du Christ et de l'Ekklêsia, c'est-à-dire du Christ et de l'humanité convoquée. » Il faut bien percevoir cela.

Chez Paul, il est usuel de lire l'Ancien Testament comme tenant en semence ce qui se manifeste dans le Christos, c'est un principe général de lecture. Pour Paul, tout est "selon" la Torah comme Écriture : tout l'Évangile est selon l'Ancien testament comme le fruit est "selon" la semence. Mais Paul est adversaire de la Torah entendue comme législation, comme loi. Il fait cela pour mettre en évidence que le salut n'est pas une affaire de mérite mais une affaire de grâce : on est agréé par la foi afin que ce soit par grâce. Et ce n'est pas la foi qui mérite elle-même à son tour. Non, c'est un rapport de donation qui se reçoit ou qui ne se reçoit pas.

 Dans notre texte Paul parle du rapport homme/femme.

Notre texte ici n'est pas un texte qui dirait : « Voyez comme c'est bien le mariage, on est deux et ça vous donne une idée de ce qu'est le rapport du Christ et de l'humanité ». C'est l'inverse ! J'allais presque dire : Dieu merci ; je ne suis pas trop au courant, mais quand même ! C'est l'insu, le secret qui se dévoile en Christ qui peut donner quelque lumière et éclairer la conduite, le mode de marcher. C'est toujours l'insu qui éclaire de nouveaux feux ce que nous croyions savoir.

Au fond, le rapport du Christ et de l'Ekklêsia est un rapport d'agapê, c'est la base même de l'Évangile, et ce sera dit ici : « le Christ se donne ». Le signe de l'agapê, c'est de se donner. « Il n'y a pas de plus grande agapê que de se donner pour ceux qu'on aime » (Jn 15). Donc c'est de cette agapê qu'il est question ici. L'agapê consiste en l'agapê du Père, celle que le Père éprouve, et non celle qu'on éprouve pour lui (génitif objectif ou génitif subjectif). L'agapê que le Père a, c'est d'envoyer son Fils, c'est de donner son Fils ; et l'agapê du Fils, c'est de venir. C'est la manifestation, l'activité première de l'agapê. Or l'agapê, nous avons à la vivre, à la laisser venir en nous. Acquiescer à l'agapê, c'est-à-dire croire à l'agapê, croire qu'on est aimé, c'est ce qui donne de pouvoir à notre tour aimer. Et cela selon les différentes situations dans lesquelles nous sommes ensemble : la famille est un de ces lieux tout à fait privilégiés où peut se manifester l'agapê, un des lieux du reste les plus difficiles, mais c'est tout à fait normal. Que résulte-t-il de l'agapê sur le mode de vivre d'un homme et de sa femme ? Voilà le souci de Paul dans cette page.

 

Versets 25-30.

Cette lecture nous conduit au verset 25.  Nous sommes invités à avoir agapê avec tout ce qui est dans la proximité, puisque l'agapê elle-même est une proximité accomplie, une proximité qui comporte une différence et une distance. Ici c'est donc la proximité conjugale qui est en question. Et l'essentiel du texte porte sur l'invitation aux hommes de vivre une agapê à l'égard de leur femme analogue à celle que le Christ vit par rapport à son épouse qui est l'humanité convoquée, qui est l'Ekklêsia. Nous sommes ici dans l'ordre le plus fondamental, essentiel de l'Évangile.

C'est pourquoi « 25Hommes, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Ekklêsia – il a aimé l'Ekklêsia comme nous le disions : « Il n'y a pas de plus grande agapê que de se donner pour ceux qu'on aime » –  il s'est livré lui-même pour elle ».

Autrement dit nous avons ici l'œuvre christique, qui est la mise en œuvre de son agapê pour l'Ekklêsia (pour l'humanité), et qui consiste dans la manifestation du don, du don de soi qui est le plus haut don, parce qu'il en a reçu la disposition. Ce qui détermine l'être christique, c'est de se donner pour l'humanité, et qu'il se donne est conforme à son être, et qu'il se donne fait qu'il se garde dans son être. Car si quelque chose a pour essence d'être donné, plus il se donne, plus il se garde dans son être.

Il y a des choses dont l'essence est d'être données. La vie essentielle se donne et ne s'achète pas. Elle ne se prend pas de force, elle se reçoit comme un don. La vie essentielle est la vie qui comporte en elle l'entretien de la vie ; c'est pourquoi le pain de la vie essentielle est un pain qui se donne. C'est tout le thème du chapitre 6 de saint Jean.

 Le rapport Dieu/Israël comme un rapport époux/épouse.

On pourrait dire, si on voulait s'amuser un peu, que selon cette lettre de Paul, la situation de l'homme est plutôt pire que celle de la femme parce que ce qui revient à l'homme, c'est de mourir pour la femme. Il faut savoir s'amuser aussi !

Nous arrivons donc ici à ce thème qui ressaisit en passant un thème qui court tout au long de l'Ancien Testament. C'est un thème prophétique, d'abord chez Osée, mais il est repris dans bien des endroits ; c'est le thème du rapport de Dieu et de son peuple comme un rapport d'époux et d'épouse : Dieu est celui qui a tiré l'humanité du ruisseau etc. Presque tous ces textes de l'Ancien Testament sont soigneusement rassemblés dans un petit volume du début du IIe siècle, Exégèse de l'âme[2]. C'est un texte gnostique très pertinent. Donc ce thème-là est un thème connu.

Par parenthèse le rapport de Dieu et du peuple est aussi un rapport de père et de fils : mon peuple, c'est mon fils. La double thématique père / fils et époux / épouse est déjà pensée dans l'Ancien Testament dans le rapport de Dieu et de son peuple élu (son peuple choisi), et est reprise dans le Nouveau Testament par Paul avec les deux mêmes types de rapports : Père/Fils et Christos /Ekklêsia. Les incongruités qui résulteraient si on voulait faire un arbre généalogique ou familial des rapports n'ont aucune importance. Nous avons ici à chaque fois la mise en œuvre de quelque chose qui précède les deux premiers deux.

Revenons à notre texte.

« Il se livre (…) 26pour la consacrer – c'est-à-dire qu'il la fait accéder au champ du sacré, ce qui nécessite une purification – l'ayant purifiée dans un bain d'eau – c'est notre baptême : elle est lavée ; c'est aussi d'une certaine façon le Baptême du Christ qui n'est pas baptisé pour lui-même mais pour nous – un bain d'eau qu'accompagne une parole – cette parole c'est « je te baptise » si c'est notre baptême, et cette parole c'est « Tu es mon fils » si le baptême du Christ est également en question ici  – 27En sorte qu'il fasse se tenir devant lui l'Ekklêsia glorieuse n'ayant ni tache ni ride ni quelque chose de ce genre – la doxa (la gloire) désigne l'espace de gloire, donc ici il la rend apte à l'espace de gloire – mais qu'elle soit consacrée et sans tache. »

« 28Ainsi il faut – dans le Nouveau Testament “il faut” (ophéleï) n'est jamais une loi, ce n'est pas “tu dois”, c'est la monstration de l'intelligibilité d'une conséquence, c'est montrer que s'il en est ainsi "il va de soi en retour que…" –  que les hommes aiment leurs femmes comme leurs propres corps. – "comme leurs propres corps", c'est-à-dire "comme eux-mêmes". “Mon corps” est une façon de dire moi, “ma chair” aussi : “ma chair”, c'est moi en tant que faible. “Mon corps” ça peut être moi en tant qu'accompli, sauf que, sur les emplois corrélatifs de chair et de corps, il y a des subtilités très importantes que nous verrons dans notre texte. Ici c'est s'aimer soi-même. – Celui qui aime sa femme s'aime soi-même – S'aimer soi-même prépare « Ils seront une seule chair ».– 29car personne jamais n'a haï sa propre chair (ne s'est haï lui-même) – on pourrait chicaner, mais… Le mot chair intervient ici. Paul a d'abord dit corps parce que chez lui le mot chair a souvent le sens négatif de "faible parce que mortel et meurtrier". Or ceci ne peut pas se dire du Christ : sa faiblesse n'est pas d'être mortel et meurtrier mais il est faible du fait "d'acquiescer à la faiblesse", ce qui change le sens de la faiblesse. Nous avons ce changement de sens du mot chair clairement chez saint Jean[3] Mais il la nourrit et la soigne – chacun se nourrit et se soigne – comme le Christ le fit de l'Ekklêsia 30puisque nous sommes membres de son corps. »

Dans ce texte le mot de chair est employé dans un sens positif parce que Paul cite le texte de la Septante : « Que les deux soient une seule chair » (Gn 2, 24), où le mot chair n'a pas l'acception complètement négative qu'elle a habituellement dans le langage de Paul. Donc il ose le mot de chair parce qu'il a à l'oreille cette citation. Le mode d'emploi de ce mot n'est pas le même dans les différents langages.

Nous sommes reconduits à la citation de Gn 2 qui se trouve au verset 31 : « Car ils seront les deux vers (ou pour) une même chair ». Ce n'est pas “ils seront un seul, de deux qu'ils étaient” mais : ils restent deux, et ils peuvent précisément être un parce qu'ils sont deux. En effet l'unité dans le Nouveau Testament n'est pas la solité mais l'intimité ou la proximité. Autrement dit l'unité suppose une dualité. C'est un point très paradoxal pour nous mais essentiel. Parfois j'entends dire – souvent on plaisante sur ce sujet – « “Que de deux ils soient un” : oui mais le un, c'est toujours le même ! » (c'est le mari). Or justement ce n'est pas du tout entendre ce qui est en question ici, car l'un n'est pas l'un des deux. Il est demandé que s'accomplisse l'unité de deux qui restent deux et qui sont sans doute d'autant plus deux qu'ils sont plus un, si on pense que l'archétype de l'unité n'est pas la solitude ou l'enfermement sur soi-même mais la différence. La différence est la condition de l'unité, ceci est très essentiel.

 

Versets 21-24.

J'en viens rapidement aux premiers versets.

« 21Hupotassoménoï allêloïs én phobô Christou : Soyez sub-ordonnés les uns aux autres dans la crainte du Christ. »

Avant d'être un conseil conjugal, ceci est une règle de grammaire chez Paul. La subordination c'est hupotaxis ou hupotagma. La syntaxe de Paul est une hypotaxe, c'est-à-dire que le rapport des choses ou des êtres est toujours une pendance, une dé-pendance. Notez ici que la dépendance est d'abord réversible : « Soyez subordonnés les uns aux autres » donc mutuellement. Pour hupotaxis il faut éviter la traduction de “soumis”, qui a une connotation psychologique. Cette subordination a pris le nom d'agapê à propos de l'homme – l'agapê c'est que je me subordonne à celui que j'aime – pour la femme, elle s'appellera crainte. Il faut bien voir que ce sont deux noms de la même attitude fondamentale puisque l'hypotaxe est réciproque, mais elle ne prend pas le même nom quand il s'agit de l'hypotaxe de l'homme par rapport à la femme et de l'hypotaxe de la femme par rapport à l'homme. Mais la chose est de même rang.

Le mot crainte est phobos. Or ce mot a un double sens dans notre évangile : un qui dérive du vocabulaire grec courant dans lequel phobos désigne un pathos négatif ; l'autre qui vient de l'hébreu, la yir'ah, et qui est employé par exemple dans l'expression “crainte de Dieu” ; or la crainte de Dieu n'est pas la crainte. Le mot révérence qu'on trouve dans le dictionnaire hébraïque pour yir'ah conviendrait mieux. Mais le mot révérence n'est pas très utilisé par nous et, malheureusement, il fait signe aussi vers un geste féminin, “faire la révérence”, bien qu'il n'ait pas du tout la signification négative du mot dans cette expression. Je ne trouve pas de mot bien pertinent pour dire cela.

Parenthèse : La subordination en 1 Cor 15, 25-27.

Faisons une parenthèse pour rester un peu sur ce mot subordination qui est constant chez Paul. Où a-t-il trouvé ce mot ? Nous lisons dans la 1re épître aux Corinthiens, au chapitre 15 : « 25 Car il faut qu'il règne jusqu'à ce qu'il place tous les ennemis sous ses pieds.– citation du psaume 11026Dernier ennemi réfuté, la mort. – mettre la mort à mort, c'est le dernier ennemi réfuté27en effet il a subordonné (hupétaxén) la totalité sous ses piedscitation du psaume 8 ». Donc c'est aux psaumes que cette notion d'hypotaxe est prise, ce n'est pas saint Paul qui l'invente.

Lisons la suite car elle est intéressante :

«Quand il dit que la totalité a été subordonnée, il est clair que c'est mis à part (à l'exclusion de) celui qui se subordonne à lui la totalité– il s'agit du Père. – 28Quand donc la totalité lui aura été subordonnée, alors lui-même le Fils sera subordonné à celui qui lui subordonne la totalité, afin que Dieu soit tout en tous.» Le rapport du Père au Fils est appelé rapport de subordination. Or tout le monde sait, en bonne théologie, et en cela les conciles sont formidables, que le Père et le Fils sont égaux. Autrement dit, le mot subordination n'implique pas une infériorité. De même, quand il est employé à propos de l'homme et de la femme, il n'indique pas une infériorité : c'est dessous mais pas inférieur au sens péjoratif – car inférieur signifie en dessous.

Fin de la parenthèse et retour à la lettre aux Éphésiens.

« 23Car l'homme est tête de la femme comme le Christ est tête de l'Ekklêsia, étant lui sauveur du corps ; 24mais comme l'Ekklêsia est subordonnée au Christ, qu'ainsi les femmes le soient à leurs maris en tout. » Il ne faut rien oublier de ce que nous avons dit. Je sais qu'il ne suffit pas de le dire pour que les mots changent de sens à notre oreille. Tenir la note c'est très difficile. Nous venons de voir par exemple que la subordination n'implique pas l'inégalité ; nous avons vu tout à l'heure qu'en plus elle impliquait de la réciprocité. Nous apercevons cela et puis nous l'oublions, et nous continuons d'écouter selon nos propres habitudes. Il faut un effort considérable pour entendre vraiment ce texte-ci, mais je vous assure que ça en vaut la peine.

Le rapport tête/corps.

Ici intervient une autre chose : ce passage résume presque tous les thèmes essentiels de Paul, pas tous mais un grand nombre. Un des thèmes touché ici, c'est le rapport tête / corps qui n'avait pas été noté encore, et qui rentre dans cette même configuration de l'hupotaxis.

Nous avons affaire à un déploiement par analogie. En effet un mot peut-être univoque, équivoque ou analogue. Ici, nous avons analogie entre le rapport tête / corps et le rapport homme / femme.  Or le rapport tête / corps est un rapport de subordination, mais pas au sens d'infériorité, ce serait presque le contraire, étant donné que la tête est arkhê.

Pourquoi tête et arkhê ? Parce qu'en hébreu c'est le même mot : bereshit est le premier mot de la Genèse. Reshit, arkhê en grec, c'est le commencement, le principe ; et be-reshit signifie "dans le principe", en hébreu c'est un seul mot. De plus reshit est de même racine que rosh, la tête, et nous avons des attestations que ce rapport étymologique est pensé explicitement chez des auteurs contemporains du Nouveau Testament, donc ce n'est pas quelque chose que nous surajoutons.

Ce rapport-là est tel que ce que le Christ est en semence, il l'est en plénitude sur mode accompli (c'est-à-dire déployé, dévoilé et accompli). Or c'est la femme qui est le corps accompli. Le rapport tête-corps n'est pas le rapport âme-corps, c'est plutôt le rapport de semence à fruit, d'arkhê à corps, où corps dit l'accomplissement. Autrement dit la femme est l'accomplissement plénier du Christ.

J'ai voulu vous faire soupçonner que, sous ces textes dont je conçois très bien qu'ils soient très irritants, il y a quelque chose qui est presque à rebours de ce qu'on entend. En tout cas, c'est d'abord un bon résumé des structures de pensée, de paroles et d'articulations de Paul, et ensuite c'est pour moi un des plus merveilleux textes de Paul.

 

Subordination réciproque.

► Est-ce que le rapport de subordination, on ne pourrait pas le penser comme un rapport d'entretien ou de maintien, où il y a un côté actif et un côté passif ?

J-M M : Tout à fait. La chose que nous avons relevée en premier dans le texte de Paul et qui ne doit pas disparaître, c'est que la subordination est réciproque : « Soyez subordonnés les uns aux autres » et c'est la même chose que « Aimez-vous les uns les autres ». Il y a ici le mot majeur de la subordination qui est agapê (amour). Agapê dit en premier que je me subordonne. Nous sommes sans doute nativement subordonnés par la force, peut-être que la sagesse serait d'acquiescer à la subordination, une subordination volontaire, une subordination volontaire acquiescée.

Mise au point sur le rapport père-fils.

► Quand on dit que le Père ne peut pas être Père s'il n'y a pas Fils, est-ce que c'est la création ?

J-M M : Non, c'est une interdépendance qui n'est pas de l'ordre de la production mais qui est de l'ordre de l'intelligibilité, c'est-à-dire que le mot père est dépourvu de sens s'il n'y a pas fils. Autrement dit, c'est le fils qui donne sens au mot père. Il faut être très attentif à ne pas faire des équivalences là où il y a des analogies.

 

Lecture de 1 Cor 11, 7-11. Le voile sur la tête de la femme.

► Est-ce qu'on peut dire la même chose par rapport à mari et femme ?

J-M M : Tout à fait, saint Paul le dit explicitement dans le chapitre sur le voile, le chapitre 11 de la première épître aux Corinthiens.

Après avoir dit que la femme venait de l'homme en prenant l'exemple d'Ève tirée d'Adam, Paul ajoute : « 11Outre que la femme n'est pas sans l'homme ni l'homme sans la femme dans le Seigneur. » Cela mérite d'être examiné de près, reprenons ce qui précède.

« 7En effet il ne faut pas que l'homme ait la tête couverte, étant image et gloire de Dieu ; la femme est la gloire de l'homme – elle est l'accomplissement de l'homme, elle est l'homme accompli – 8Car l'homme n'est pas tiré de la femme, mais la femme [est tirée] de l'homme – c'est la grande symbolique d'Ève tirée d'Adam – 9car l'homme n'a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l'homme. – c'est toujours le même rapport de subordination. Cela n'ajoute rien à ce que nous avons dit auparavant - 10C'est pour ça qu'il faut que la femme ait son exousia (sa puissance) sur la tête à cause des anges. » Voilà une phrase très étrange : la femme porte sa puissance sur la tête.

Le voile cache pour dévoiler.

La symbolique du voile est essentiellement une symbolique de la manifestation. Car le rapport du caché et du dévoilé n'est pas : c'est tantôt caché et tantôt dévoilé ; mais c'est d'autant plus dévoilé que c'est plus caché, et d'autant plus caché que c'est dévoilé. Et en particulier “cacher dévoile” c'est la fonction même du voile : le voile cache pour dévoiler.

Ceci fait partie de la symbolique du vêtement qui est de toute première importance, plus importante que peut-être n'importe quoi dans la pensée antique. La maison, le vêtement sont des choses fondamentales à méditer mais qui sont à rebours de ce que nous en faisons.

Le vêtement dévoile, c'est-à-dire ressaisit ce qui est donné de façon brute par la nature pour être assumé et manifesté dans que ce que nous appellerions la culture. Il faut cependant voir que nature et culture ne sont pas exactement les mots qu'il faut choisir ici bien qu'il y ait chez Paul la distinction kata phusïn (selon la nature) et kata khrêsïn (selon l'usage), mais en fait les deux sont plus ou moins synonymes chez Paul. Ainsi la distinction culture / nature ne fonctionne pas chez Paul, donc ce que je dis n'est pas absolument pertinent mais ça nous indique quelque chose du chemin qui serait à penser dans la signification du vêtement.

Le vêtement, nous le pensons depuis très longtemps à rebours de la pensée symbolique authentique. Longtemps le Christ a été dit “revêtir l'humanité”, ou “l'humanité du Christ est revêtue de Dieu”. Et les conciles ont interdit cette formulation à un certain moment parce que le vêtement est quelque chose qui ne fait pas partie de l'essence de l'être, c'est quelque chose qu'on met, qu'on enlève, ce n'est pas l'union hypostatique. Oui, mais c'est tout à fait dans les Écritures ; autrement dit la notion de vêtement dans les Écritures n'a rien à voir avec l'usage que l'Occident, dès les premiers siècles, fait de cette notion.



[1] Voir le message Caché/dévoilé, semence/fruit, sperma/corps, volonté/œuvre.... qui se trouve sur le blog..

[2] Le texte Exégèse de l'âme figure dans : "L'Exégèse de l'âme", les figures féminines en st Jean.

[3] Il s'agit par exemple du Prologue de l'évangile de Jean où le mot chair change de sens entre les versets 13 et 14 (cf Jn 1, 13-14, le retournement du mot de chair. Quid de l'incarnation et de la création ?).

 

Commentaires