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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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1 juin 2016

LES ANGES. Deuxième Partie : Textes du N T et de chrétiens des 1ers siècles

Voici la Deuxième Partie de l'étude sur les anges. La première partie étudiait les anges de façon générale, ici ce sont des textes, mais ce sont souvent des textes issus d'autres messages du blog (les références sont indiquées en général en notes).

 Première partie.  Les anges dans la Bible et aux 1ers siècles.Les anges, Deuxième partie
1)  Les anges et leurs fonctions.
2) La louange des anges ouvre la région de la gloire (3 approches).
3) Les anges témoins des théophanies.
4) Les anges sont-ils des messagers ou des messages ?
5) Le sexe des anges (en gal/chez les valentiniens) ? L'ange gardien.
6) Les anges dans la Bible.
   a) Les Trônes, Seigneuries… et le culte des anges.
   b) Les chérubins et les quatre vivants de l'Apocalypse.
   c) L'Arche d'Alliance avec les deux chérubins ; le Christ.
7) Suggestions pour une étude des anges.

L'introduction à l'ensemble ainsi que le fichier docx contenant le tout (mais pas les images) figurent dans le message précédent : LES ANGES. Première partie : les anges dans la Bible et aux premiers siècles.

  • Voici le fichier pdf la totalité : anges et le fichier docx : anges : (version du 7 mars 2023)

 

 

 

 

Deuxième Partie

Textes du N T et de chrétiens des 1ers siècles

 

 

I – Lectures de textes du Nouveau Testament.

 

1) Les anges à la naissance de Jésus (Lc 2, 6-7).[1]

La référence ciel-terre se trouve aussi chez Luc. Je vais le commémorer parce que c'est un lieu à la fois éminent en lui-même et opportun en ces temps qui vont vers Noël. Occasion de rappeler que le commencement de l'Évangile est traditionnellement le Baptême du Christ. Nous verrons ça chez Marc et chez Jean. Mais nous savons que, chez Mathieu et chez Luc, on a fait précéder l'Évangile traditionnel de ce qu'on appelle les évangiles de l'enfance. Nous sommes ici dans la naissance de Jésus.

 

L'annonce des anges aux bergers, Luc 2« Il arriva que, tandis qu'ils étaient là, s'accomplirent les jours où elle devait enfanter. Elle enfanta son fils premier-né et l'enveloppa de langes et le posa dans une mangeoire parce qu'il n'y avait pas un lieu pour eux (ce n'était pas un lieu pour eux)[2] dans l'hôtellerie. » (Lc 2, 6-7)

Voilà un récit d'une extrême simplicité, simple comme ce qui peut apparaître à n'importe quel regard étranger. Seulement les évangélistes ne se contentent pas de réciter ce qu'un regard étranger aurait pu percevoir. Luc, après la Résurrection, sait que ce qui se passe ici n'est pas l'événement infime qui vient d'être raconté. Aussi entreprend-il de le célébrer dans sa grande dimension : c'est quelque chose qui touche le ciel et la terre. Comme chez saint Jean, c'est quelque chose qui est de grande dimension dans le temps : ça va de l'arkhê – avant la création du monde – jusqu'à l'eskhaton. Voici que ces dimensions spatiales ou temporelles sont convoquées pour exprimer la grandeur de ce qui se passe sous l'infime de l'apparence. Alors il convoque le ciel et les habitants du ciel : les anges – sur les anges nous reviendrons à propos de Paul – et il convoque la terre, c'est-à-dire les gardiens de la terre : les bergers.

Et tout se résume naturellement dans un chant de glorification : « Gloire dans les hauteurs à Dieu et paix sur la terre aux hommes qu'il aime. » (Lc 2, 14) Donc les hauteurs (le ciel) et la terre. Hupsistoïs (les hauteurs) : c'est aussi une façon de dire les cieux.[3]

Vous vous rappelez l'histoire récente de la traduction de cette acclamation ? C'est le Gloire à Dieu, le Gloria de la messe. C'est un texte qui a été largement repris et célébré, mais sous des formes diverses puisqu'on disait : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. » Maintenant on dit « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu'il aime. » Comment est-il possible d'avoir des traductions aussi différentes ? Dans le texte, nous avons « aux hommes de l'eudokia. » L'eudokia c'est la bienveillance, l'agrément mutuel. Si j'attribue cette eudokia aux hommes, c'est : aux hommes bienveillants, aux hommes de bonne volonté. Si j'attribue l'eudokia à Dieu, c'est : aux hommes que Dieu aime. Et il pourrait se faire que nous ayons ici, en plus, une division ternaire plutôt que binaire :

  • gloire à Dieu au plus haut des cieux
  • paix sur la terre
  • aux hommes eudokia.

Le ciel, la terre et l'homme[4] : l'homme est peut-être l'eudokia, c'est-à-dire l'agrément mutuel du ciel et de la terre. L'homme nouveau, l'homme qui apparaît en Jésus-Christ serait lui-même l'agrément du ciel et de la terre, ce qui serait assez intéressant parce que ça ne met plus l'homme simplement sur la terre mais dans un rapport, et un rapport positif, entre ciel et terre. Ce rapport est un intervalle médian, puisque, si je distingue deux choses, je les dif-fère, je les dif-férencie si vous voulez, je les écarte provisoirement et cela ouvre un espace médian. Qu'est-ce qui occupe cet espace médian ? Voilà une belle question. Dès qu'il y a deux, il y a deux différents et leur différence, l'acte de les différencier, donc de les tenir distants. Et je peux les tenir distants en les opposant s'ils sont excluants l'un de l'autre, ou en les approchant d'une proximité qui est leur être-bien, leur bon rapport.

 

●   Autre approche.

Ici, ce qui est intéressant, c'est que pour marquer la véritable dimension de cet événement apparemment infime, on évoque et on convoque le ciel et la terre, les habitants du ciel, les angeloi, et les gardiens de la terre, les bergers ; ciel et terre, l'angélique et l'humain. Voilà une belle répartition qui en rappelle d'autres dans la définition de La chose par Heidegger : le ciel et la terre, les divins et les mortels[5].

 

2) Les anges sur l'échelle qu'est le Fils de l'Homme (Jn 1, 50-51)[6].

a)  Les anges sur l'échelle. (Extrait du cycle Ciel-Terre).

Une des premières mentions de ce trajet se trouve au dernier verset du chapitre premier : Jésus répondit à Nathanaël qu'il vient d'appeler : « Parce que je t'ai dit que je t'ai vu sous le figuier, tu crois. Tu verras des choses plus grandes. » Il faut toujours tendre l'oreille quand saint Jean dit des choses "plus grandes (meizôn)" : c'est un mot qui est à presque toutes les pages de Jean. J'en ai déjà dit quelque chose l'autre fois.

« Amen, amen, je te le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu montant et descendant sur le fils de l'Homme. » Le ciel ouvert : le monde juif disait à l'époque de Jésus que le ciel et la terre étaient réciproquement fermés l'un à l'autre depuis que la prophétie s'était tue. C'est pourquoi l'Évangile s'ouvre par l'ouverture du ciel à la terre. Et ça parle : « Tu es mon fils » s’adresse à la totalité de l'humanité dans le Christos comme c'est bien précisé chez saint Jean. Telle est donc cette première salutation, cette ouverture : les cieux ouverts à la terre. Et la terre ouverte au ciel n'a pas le même sens que la terre fermée au ciel. Autrement dit, le rapport mutuel modifie la signification même des mots. Nous verrons que ciel et terre peuvent être pris dans le sens d'une opposition qui équivaut presque à l'opposition lumière-ténèbre et pourtant, fondamentalement, ce n'est pas du tout la même, mais ça peut advenir ; alors que, au contraire, ciel et terre peuvent être un lorsqu'ils sont mutuellement ouverts, car la condition pour être un chez saint Jean, c'est d'être deux : la véritable unité n'est pas la solitude. La véritable unité est l'intimité de deux, l'extrême proximité. Dans toute symbolique spatiale, il est affaire de distance, et la distance est la condition même pour la proximité. Il ne faut pas oublier que l'Évangile est l'Évangile du prochain, du proche. Nous ne sommes pas nativement prochains, nous avons à nous approcher, à devenir proches, et Dieu est sans doute notre plus éminent prochain. « Aimer le prochain. »

Donc la distance est la condition de l'éloignement et la condition pour qu'on s'approche, la condition de possibilité de l'approchement, de la proximité, et donc de l'extrême proximité qui est l'intimité. De deux, étant deux, être un, on le trouve à de multiples reprises chez Jean, mais je crois l'avoir déjà dit. Souvent je répète des choses parce que dans d'autres conditions, d'autres contextes, elles prennent parfois une couleur ou un son qu'on n'avait pas eu l'occasion d'entendre. Donc je ne m'empêche pas de réitérer des choses essentielles.

Le Fils de l'Homme, nous le savons, ne désigne pas l'humanité du Christ mais désigne le Fils, c'est-à-dire la révélation : le fils est la manifestation de ce qui est en semence dans le père, donc le fils est la manifestation du père. "Homme" est un des noms de la divinité, l'Homme essentiel, l'Homme primordial, l'Homme de la Genèse : « Faisons l'Homme comme notre image » (Gn 1), l'Homme image qui n'est pas du tout l'homme adamique du chapitre 3 dont nous sommes issus, mais le Christ lui-même. « Faisons l'Homme à notre image – c'est-à-dire faisons le Christ ressuscité – mâle et femelle il le fit – c'est-à-dire Christos et Ekklesia, Christ et humanité convoquée. » Nous le verrons chez saint Paul en toutes lettres. Donc ceci à propos du Fils de l'Homme : la manifestation du Fils qui est le lieu de jonction et de circulation entre ciel et terre, de ce trajet ciel-terre.

Ici s'ouvre un premier aspect d'angélologie, les anges étant plus habituellement les habitants du ciel. Ce n'est pas développé dans l'évangile de Jean. Nous aurons occasion de manifester cela dans la lecture de Paul que nous allons faire, c'est un aspect du rapport ciel-terre qui sera développé. Il y a simplement cette mention ici chez Jean. […]

 

Echelle de Jacob, Bible du XIIe sb) Le mouvement des anges.[7]

[…] Pour le Christ aller vers le Père, c'est venir vers nous : « Il vous est bon que je m'en aille, sinon le pneuma ne vient pas » (d'après Jn 16, 7), c'est-à-dire je ne viens pas dans ma dimension de Ressuscité, de pneuma. Autrement dit, qu'il s'en aille vers le Père instaure le mouvement par lequel le Père vient vers nous par le pneuma : monter et descendre, c'est la même chose.

Ceci est ouvert de façon très énigmatique à la fin du chapitre 1er où est évoquée l'échelle de Jacob[8], cette dimension verticale du ciel à la terre, échelle de Jacob qui est assimilée à Jésus, le Fils de l'homme, c'est-à-dire l'homme manifesté en plénitude, sur lequel les anges montent et descendent. Les anges (les messagers), ce sont  les logoï, ce sont les dénominations, les noms, les messages et les messagers. Ils montent et descendent, ils montent d'autant plus qu'ils descendent et descendent d'autant plus qu'ils montent. Ce n'est pas tantôt et tantôt. On n'a pas en français de mot pour dire le mouvement vertical sans préciser si c'est monter ou descendre, il y a ça en allemand où c'est le même verbe avec un préverbe différent suivant qu'on monte ou qu'on descend.

c) Précisions sur les anges.

●   Première approche. [9]

► Qu'est-ce que c'est que ces anges qui montent et qui descendent ?

J-M M : Je ne vais pas dire grand-chose car ce serait trop long. Il y a la question des anges et aussi la question de monter et descendre "sur le Fils de l'homme". Le Fils de l'homme est donc ici d'une certaine manière l'échelle. En effet le Fils de l'homme, l'homme, est cette axialité entre ciel et terre.

Les anges ont eu beaucoup de significations. On peut faire l'histoire des anges, c'est très complexe et très intéressant. Apparemment c'est quelque chose qui est dérisoire, qui n'intéresse pas, mais en tant que c'est révélateur de modes de pensée, ce serait infiniment précieux de faire l'histoire des anges. Ici, dans le moment où nous sommes dans le texte, il semble que les anges soient des fragments du Logos en ce qu'ils disent au pluriel le message que le Logos (la Parole) est dans son entier.

À nouveau on peut se poser la question : est-ce que ce sont des messages ou est-ce que ce sont des messagers ? Autrement dit : est-ce que ce sont des individus ou est-ce que ce sont des dénominations ? Vous ne pouvez pas ne pas poser cette question, elle se pose comme cela pour nous, il faut bien l'envisager premièrement comme elle se pose, quitte à montrer ensuite en quoi elle est inepte, au bénéfice de quelque chose d'autre.

●   Deuxième approche.[10]

Maintenant nous allons situer ce texte dans le contexte plus large qui est le contexte baptismal. “Vous verrez le ciel ouvert”. En effet la scénographie du Baptême commence par le fait que le ciel s'ouvre à la terre. Ciel et terre ne se parlaient plus, et pour un couple c'est mauvais signe – puisque ciel et terre sont dans un rapport masculin / féminin – ciel et terre ne se parlaient plus depuis que la prophétie s'était tue ; c'est ce qui se disait dans le monde juif contemporain de Jésus.

En effet ciel et terre ne se parlaient plus depuis que la prophétie s'était tue, c'est que sans doute les anges de la prophétie ne descendaient plus, et les anges des prières du peuple ne montaient plus sur l'échelle de Jacob.

L'ouverture de l'Évangile se fait par cette ré-ouverture du ciel à la terre. Et le ciel et la terre vont parler, vont témoigner. Il y a en effet la voix du ciel qui est la voix du Père :    « Tu es mon fils bien-aimé » c'est-à-dire le fils de mon eudokia (de mon agrément), la manifestation de l'agrément, du bon agrément du ciel et de la terre.

Dans cette perspective les paroles, c'est-à-dire les messages, ou les messagers, ou les anges, montent et descendent. Les angeloi sont des portions d'évangelion, les anges sont des fragments de la parole ; les paroles qui s'échangent qui montent et descendent.

“Sur le Fils de l'homme” : le Fils de l'homme est ainsi le chemin montant et descendant du ciel à la terre.

 

3) Les deux anges au tombeau vide (Jn 20, 12).[11]

Marie Madeleine est venue au tombeau. « 12Elle constate deux anges en blanc assis, l'un du côté de la tête, et l'un du côté des pieds de l'endroit où avait été posé le corps de Jésus. » [..]

« 12Elle constate deux anges. » La présence des anges vous étonne, mais ce qu'il faut remarquer c'est que ça n'étonne pas du tout Marie-Madeleine ! Autrement dit, si nous nous étonnons, c'est que nous ne sommes pas dans le texte. Nous avons néanmoins le droit de nous étonner, mais en sachant que ce n'est pas là pour que nous nous étonnions : la volonté de l'Écriture n'est pas que nous nous étonnions, cependant nous nous étonnons, il faut donc gérer cet étonnement, mais ce n'est pas gérer un problème du texte, c'est gérer un problème de notre rapport au texte.

« Deux anges. » Leurprésence n'est donc pas le problème de Marie-Madeleine. Du reste, ce n'est pas ce qu'elle cherche, bien sûr.

Ce terme d'ange n'a pratiquement pas de sens dans notre langage, sauf éventuellement pour sourire aux anges, lorsqu'un ange passe, ou à propos de l'ange gardien (ce qui est déjà plus intéressant). Les anges sont complètement déplumés ! Il n'en reste pas grand-chose et c'est dommage. Cependant, si on voulait faire l'histoire des anges, on s'apercevrait qu'il y a là un lieu de méditation de première importance. Leur fonction a été diverse au cours des siècles. Aussi ne peut-on pas parler des anges sans dire à quel contexte de pensée ils appartiennent.

les deux anges de part et d'autre du tombeau vide« 12Elle constate deux anges en blanc. » Pour l'instant, nous pouvons dire de ces anges-là qu'ils sont deux et qu'un de leurs traits caractéristiques est qu'ils sont blancs. Mais même cela nous ne l'entendons pas : nous n'entendons pas ce que veut dire blanc. Savez-vous que les cultures sont à ce point différentes qu'elles ne voient pas les mêmes couleurs ? Nous en avons un exemple caractéristique : « Vous dites : encore quatre mois et ce sera la moisson. Levez les yeux, regardez, les champs sont déjà blancs pour la moisson. » (Jn 4, 35). Mais les champs ne sont pas blancs, ils sont blonds !

En effet, les Grecs ne voient pas la différence entre le jaune et le blanc. Et souvent pour le jaune, c'est très étrange, il est plutôt vert que jaune : chloros est le mot qui donne chlorophylle, plutôt vert, mais aussi le chlore, plutôt jaune. Or, c'est le même mot. Il y a un décalage dans la répartition de la chaîne des couleurs suivant les langues, et ce qui intéresse les grecs, en premier, n'est pas la différence du blanc et du jaune, mais la différence du brillant et du mat. Les Grecs sont des hommes de la lumière et, blanc ou jaune, quand cela brille, ne présentent pas de différence.

Les Grecs ont-ils les yeux faits autrement que les nôtres ou ont-ils une langue constituée autrement ? C'est une question de langue. Nous ne voyons rien que dans une parole. C'est la parole qui donne de voir. Et nous allons voir que c'est le cas ici. C'est parce que Jésus dit : « Mariam », qu'elle voit ce qu'elle ne voyait pas. C'est structurel dans l'évangile de Jean et nous allons montrer les textes qui le disent explicitement.

Il faudrait prendre conscience de notre propre structure de pensée. Nous croyons que nous autres, heureusement, nous ne nous payons pas de mots et que nous constatons des faits tandis que la foi, malheureusement, n'est qu'un on-dit basé sur la parole. Or, nous sommes basés sur les structures langagières de notre culture, nous voyons à partir de ces structures. Si vous voulez, c'est la parole qui accommode l'œil. Vous n'êtes pas forcés d'acquiescer tout de suite, mais c'est une chose très importante. La différence n'est pas que les anciens vivaient dans le on-dit tandis que nous vivrions dans l'observation minutieuse des faits ou des choses. Non ! Nous sommes dans deux paroles différentes. La science elle-même ne voit que dans la parole qu'elle constitue.

●   Les anges ouvrent l'espace de visibilité de Dieu.

Donc ces anges sont en blanc. Mais il faudrait dire en premier que les anges désignent le premier personnage témoin de toute théophanie (de toute manifestation de Dieu). Quand les anges apparaissent dans un texte, ça veut dire : voici une théophanie qui s'annonce. Les anges sont comme l'espace de parution de Dieu, ils ouvrent l'espace de visibilité de Dieu.

► Ils sont du côté de celui qui regarde et qui voit des anges, ou bien est-ce que sans le regard de celui qui regarde il n'y a pas d'ange ?

J-M M : En un certain sens il n'y a rien sans qui regarde. Par exemple luire est déjà dans un regard. Et là je dis quelque chose que j'ai déjà dit : il y a un moment des mots où le champ sémantique ouvert, par exemple la luminosité ou le regard, sont plus importants que la répartition de l'actif et du passif, de savoir qui luit et qui regarde.

Ce que nous faisons ici, c'est de mettre en évidence à quel point nos évidences sont susceptibles d'être questionnées si on veut entrer dans le texte.

●   Les anges sont des fragments de la parole.

D'autre part, le mot angélos a la même racine que eu-angélia, évangile. Les anges sont comme des fragments de la parole. Les anges parlent. En général ils sont très polis, ils saluent (« Je vous salue Marie »). Ici, ils vont parler à Marie-Madeleine.

Vous vous rendez bien compte que je ne fais pas, en ce moment, un traité complet d'angéologie. Je donne des traits, quelques lueurs partielles, pour inviter éventuellement à penser ce thème-là qui, pour moi, n'est pas du tout une question seconde. Je pense même qu'elle est, d'une certaine façon, pastoralement urgente. Je plaisante, mais pas tant que ça…

●   Le sexe des anges.

En particulier, au sujet de cette expression caractéristique que j'ai oubliée et qui est de « discuter du sexe des anges», je rêve d'avoir été un vieux savant byzantin sur les remparts de Byzance en train de discuter sur le sexe des anges pendant que les hordes barbares assiègent la ville. On rêve ce qu'on peut. C'est un sujet très intéressant et très complexe que celui du sexe des anges. Ça n'est pas constant d'ailleurs, donc c'est un sujet de recherche.

L'idée la plus dominante c'est que les anges ne sont pas sexués. C'est une idée fréquente chez les Encratites, ceux qui mènent un combat contre tout ce qui est de la sexualité, du mariage etc. Dès les premiers temps de l'Église il y a eu cette tendance. Je vous signale qu'on pense aujourd'hui qu'Apollos, dont parle Paul dans l'épître aux Éphésiens, aurait été plutôt de tendance encratiste et dans une certaine proximité avec Luc. Ainsi Luc fait spécialement attention aux virginités :« Ceux qui sont jugés dignes d'avoir part au monde à venir et à la résurrection des morts ne prennent ni femme ni mari […] en effet ils sont  comme les anges » (Lc 20, 35-36) à propos de la résurrection de l'homme qui a eu plusieurs femmes. Ça c'est lucanien. Et vous avez de nombreuses affirmations pauliniennes, que vous considérez comme dépréciatives, qui sont, au contraire, des tentatives de redresser les déviances encratistes de type apollonien. Il faut les entendre comme des revendications de la signification de la sexualité. Cela change complètement le sens si on connaît le contexte.

Par ailleurs chez les valentiniens[12] les anges sont la part mâle de l'humanité qui elle est essentiellement femelle, hommes et femmes confondus. Et quand la Bible dit que Dieu est l'époux d'Israël, que le Christ est l'époux de l'Église ou de l'humanité, elle dit bien que l'humanité est femelle par rapport à Dieu. Et la part que moi j'appelle l'insu est précisément la part que les Valentiniens appellent la part mâle, la part qui est encore séminale…

Je veux simplement indiquer par là que les choses qui nous paraissent futiles ne le sont pas nécessairement si on les prend à certains égards.

Deux anges à la tête et aux pieds, William Blake●   À la tête et aux pieds.

« Deux anges en blanc assis, l'un du côté de la tête, et l'un du côté des pieds. »

Une autre caractéristique de notre texte est que ces deux anges sont, l'un du côté de la tête, l'autre du côté des pieds. Nous avons mentionné déjà l'importance chez Jean et de la tête et des pieds, la signification de cette symbolique. […]

●   Les deux moments de la quête de Marie-Madeleine.

Mais en outre ici, dans cette position des deux anges à la tête et aux pieds, il y a peut-être une référence à la situation des deux anges qui sont aux deux extrémités de l'Arche d'Alliance qui est le lieu de la présence et, d'une certaine manière, pleine de la présence de Dieu et vide. Ce qui signifierait que la première étape de la quête de Marie-Madeleine figure ici la quête du peuple juif. Et la deuxième étape, qui a à voir avec l'adamité en général, c'est-à-dire le gardien du jardin, aurait à voir avec la quête de l'humanité adamique tout entière. Ça va ? Il faut suivre, il faut courir !

L'Arche d'Alliance est constituée ainsi : aux deux extrémités du coffre : un ange et un ange. Or c'est le lieu de la présence qui constitue Israël comme Israël. Il s'agit ici de la présence de ce qui ne se représente pas, qui est donc à certains égards une vacuité : il n'y a rien dans l'Arche, mais c'est néanmoins le lieu de la plus haute présence[13].

► C'est comme le tombeau vide.

J-M M : C'est cela.  Mais il y a un rien qui n'est pas rien, c'est-à-dire qui a un autre sens que celui que j'employais tout à l'heure.

On peut lire l'épisode de Marie-Madeleine simplement comme les émois d'un individu, et ce n'est pas négligeable. Mais Jean écrit toujours plusieurs choses à la fois. Marie-Madeleine est une belle femme si vous voulez, mais c'est aussi l'humanité. Ce que Jean récite ici, c'est la quête de l'humanité.

 

4) Les anges dans quatre textes de saint Paul.[14]

a) En Col 1, 15-20 : La primauté du Christ sur les cohortes angéliques.

« Avec joie, 12eucharistiant au Père qui vous a rendus capables pour une part de l'héritage des consacrés dans la lumière, 13qui nous a arrachés à la puissance de la ténèbre et nous a transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé, 14(Fils) en qui nous avons la rédemption, l'abandon de nos péchés, 15lui qui est image du Dieu invisible, premier-né de toute création, 16puisque en lui la totalité a été créée dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, à savoir les Trônes, les Seigneuries, les Arkhaï et les Puissances, la totalité par lui et pour lui a été créée, 17et il est avant tous, et la totalité consiste en lui, 18et lui est la tête du corps qui est l'Église, lui qui est Arkhê, premier-né d'entre les morts en sorte qu'il soit prééminent en toute chose, 19puisque en lui il a plu qu'habite tout le plérôme (la plénitude) 20et par lui il a réconcilié la totalité à lui, faisant la paix par le sang de sa croix, soit avec les choses de la terre, soit avec celles du ciel. »

« 16Puisque en lui a été créée la totalité, dans les cieux et sur la terre… ». La totalité : ta panta, est un pluriel neutre, mais qui signifie un singulier abstrait. C'est courant à tel point que, dans ces cas-là, le verbe du pluriel neutre est au singulier, donc ça a un sens singulier. Il nous faudra estimer ce que veut dire « ciel et terre ». C'est d'ailleurs une façon de dire la totalité sur mode polarisé. Ça ne fait pas signe immédiatement vers ce qu'on appelle couramment le ciel et la terre au sens banal du terme, cela nomme deux pôles essentiels.

On a donc ici : « en lui ont été créés ciel et terre », ce qui correspond à « Dans l'arkhê il créa ciel et terre » (Gn 1). Nous avons un décalque du premier verset de la Genèse si bien que "lui", ici, vaut pour "arkhê" implicitement : "dans l'arkhê"  = "en lui"

Vous me direz : c'est un peu audacieux. Pas du tout. Ce titre, "arkhê," on va le trouver dans la suite, attribué au Christ, donc il est appelé ici implicitement par le décalque du premier verset de la Genèse. […]

Reprenons le verset : « en lui ont été créée toutes choses (la totalité), dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles – ciel et terre sont commentés comme visibles et invisibles, c'est-à-dire que le ciel dit les invisibles et la terre les visibles. Comment faut-il entendre ce double statut de visible ou d'invisible[15] ? C'est le texte qui nous le dit en déployant ce que signifient les invisibles – …à savoir les Trônes, les Seigneuries, les Arkhaï (pluriel de arkhê) et les Exousiaï (les Puissances) » autant de noms qui sont traditionnellement des noms de l'ordre angélique, ce sont des noms d'anges.

Il n'est pas précisé qui sont les visibles, mais ce sont les hommes. Donc nous avons les habitants du ciel : les anges ; et les habitants de la terre : les hommes. Dans ce contexte, la création n'est pas la fabrication des éléments, de ce qu'on appelle couramment le ciel atmosphérique ou stellaire, ou les plantes… non, ici : les anges et les hommes. Par rapport à ce que nous avons dit auparavant, le terme de création se précise comme la production des anges et des hommes, dans le contexte qui nous occupe ici. Le monde au sens plus banal du terme est touché à la mesure où l'homme est essentiellement un être-au-monde, alors que les anges sont des êtres-aux-cieux.  […]

Christ entre deux chérubins, resurrection, symbolisme de l'Arche d'alliance●    La primauté du Christ sur les anges et les hommes.

Après cette lecture, je pourrais citer quelques textes d'angélologie néotestamentaire, des textes balbutiants qui sont intéressants comme moment d'émergence.

Il y a, dans les premiers temps, des doctrines sur les anges surtout dans le monde apocalyptique, dans le monde d'une certaine tradition juive, ce qui a donné lieu à des interprétations très diverses suivant les courants. On peut penser que Paul a affaire ici à des courants qui privilégiaient le culte des anges par rapport au culte du Christ et qu'il essaye de remettre en place cela en marquant la primauté du Christ par rapport et aux anges et aux hommes (cf Col 2, 17-19). L'épître aux Hébreux, qui n'est pas de Paul, est caractéristique de cela. Visiblement elle s'adresse à un groupe qui avait tendance à privilégier, au détriment de la vérité du Christ, une certaine invocation des anges. Donc il y a sans doute la volonté de Paul d'accueillir dans son discours des éléments qui sont plus conformes à la tradition biblique, mais avec le souci de les ordonner par rapport à la primauté du Christ.

b) En 1 Cor 15, 24. Réfutation des ordres angéliques adverses.[16]

« 24Ensuite la fin quand il (le Christ) restituera le royaume à Dieu le Pèreici c'est une thématique qu'on n'entend pas trop ailleurs, qui a été reprise par quelques Pères de l'Église plus tard : le Père donne la royauté au Fils, mais de telle façon ultimement, dans la résolution totale, que le Fils restitue la royauté au Père. Vous savez que, dans la donation, plus on restitue, plus on reçoit, si bien que la restitution au Père ne constitue pas une chose qui dépouillerait le Christ de sa royautéquand il réfutera (désactivera, détruira) toute Arkhê (tout Principe), toute Exoucia (Puissance), toute Dunamis (Force). » Arkhê, Exoucia, Dunamis sont des mots qui désignent des ordres angéliques et qui peuvent donc aussi désigner des ordres de puissances adverses.

c) En 1 Cor 11, 10-12. La femme et les anges dans l'assemblée.[17]

« 3Je veux que vous sachiez ceci : le chef de tout homme, c’est le Christ ; le chef de la femme, c’est l’homme, le chef du Christ, c’est Dieu. 4Tout homme qui prie ou prophétise la tête couverte fait affront à son chef. 5Mais toute femme qui prie ou prophétise tête nue fait affront à son chef ; car c’est exactement comme si elle était rasée. 6Si la femme ne porte pas de voile, qu’elle se fasse tondre ! Mais si c’est une honte pour une femme d’être tondue ou rasée, qu’elle porte un voile ! 7L’homme, lui, ne doit pas se voiler la tête : il est l’image et la gloire de Dieu ; mais la femme est la gloire de l’homme. 8Car ce n’est pas l’homme qui a été tiré de la femme, mais la femme de l’homme. 9Et l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme. 10Voilà pourquoi la femme doit porter sur la tête une marque d’autorité, à cause des anges.11Pourtant, la femme est inséparable de l’homme et l’homme de la femme, devant le Seigneur. 12Car si la femme a été tirée de l’homme, l’homme naît de la femme et tout vient de Dieu. » (TOB)

On pourrait montrer l'ordonnance rigoureuse de cette page que certaines critiques tiennent pour composite. La question ne se posait pas ici du rapport entre un homme et sa femme, mais des rangs masculins et féminins dans la célébration, de l'essence de la masculinité et de la féminité. Il s'exprime en subordination, mais vient la rature : « 12De même que la femme est tirée de l'homme, ainsi aussi l'homme à cause de (est essentiel à) la femme mais c'est la Totalité qui est de Dieu ». La rature accomplie, Paul reprend son discours incontournable.

Tête se dit par rapport à ce qui vient ensuite, gloire par rapport à ce dont on manifeste la présence, dont on devient le « corps ». Les deux mots continuent à dire l'activité unifiante, mais l'une du point de vue de l'unifiant, l'autre du point de vue de l'unifié. Ainsi l'homme-mâle est “image et gloire de Dieu” (v. 7) et “tête de la femme”, la femme est “gloire de l'homme-mâle”, mais ne se “découvre” pas comme tête. La symbolique tête-gloire régit la symbolique homme-femme. Or ceci rencontre la symbolique du voile. On sait qu'elle est fondamentale, elle donne lieu même au mot essentiel de ré-vélation, et elle se réfère à la symbolique végétale du vêtement.

Or ici la symbolique homme-femme régit et inverse le sens du voile : l'homme manifeste sa dépendance (sa subordination) en se découvrant, la femme en se couvrant. Bien entendre que se couvrir ici ne concerne pas la honte ou la pudeur, ni en général la séduction. Le mot de honte dit ici la rupture d'unité, dont le contraire est la « gloire ». Par ailleurs le voile ne cache pas, mais il exalte la chevelure, gloire et féminité (v. 5b-6 ; 14-15). Le mot énigmatique du verset 10 : « il faut que la femme ait un pouvoir (= voile) sur la tête à cause des anges », ne se réfère nullement à Gn 6 comme séduction des anges par les filles des hommes, mais dit simplement que, l'assemblée étant constituée dans son ordre symbolique, alors elle est ordonnée aux « anges » de la prière et de la prophétie[18].

d) Ga 3, 17-20. Les anges et le don de la Loi. (par J. Pierron en avril 1989)

« 17Un testament en règle a d’abord été établi par Dieu. La Loi, venue quatre cent trente ans plus tard, ne l’abroge pas, ce qui rendrait vaine la promesse. 18Car, si c’est par la loi que s’obtient l’héritage, ce n’est plus par la promesse. Or, c’est au moyen d’une promesse que Dieu a accordé sa grâce à Abraham. 19Dès lors, que vient faire la loi ? Elle vient s’ajouter pour que se manifestent les transgressions, en attendant la venue de la descendance à laquelle était destinée la promesse : elle a été promulguée par les anges par la main d’un médiateur. 20Or, ce médiateur n’est pas médiateur d’un seul. Et Dieu est unique.» (TOB)

Paul dit d'abord que, dans l'héritage, ce qui joue c'est la promesse faite à Abraham. Il parle de la Loi mosaïque et se demande quelle place elle a dans l'événement du salut, et il va procéder par degrés. Il montre d'abord comment la Loi a été établie, mise en avant… Il veut dire que la Loi est une addition, qu'elle est postérieure à la promesse. Elle ne pouvait être qu'au service de la promesse, puisqu'elle était établie « à cause de (ou pour) les transgressions ».

Il y a ici une polémique de Paul contre certains juifs de l'époque. En effet pour eux la Loi avait été un des sept objets qui préexistaient à la création[19]. Parmi ces objets il y avait le bâton de Moïse et il y avait les ourim et les toumim, ces pierres précieuses qui servaient à déterminer le sort, la volonté de Dieu. Quand on ne savait pas quoi faire par rapport à un problème, le Grand-prêtre les lançait, et il lisait quelle était la volonté de Dieu, le choix était fait, c'était une loi (torah), et c'est à partir de là que le mot loi est intervenu.

Dans le judaïsme certains disaient même que la Loi était le maître d'œuvre, et que Dieu s'inspirait de la Loi pour articuler le monde ; Dieu lui-même se serait soumis à la Loi en se soumettant au sabbat. La thèse de Paul est contraire : la Loi est postérieure à la promesse, ce qui veut dire que, du point de vue de la foi, la Loi n'est plus l'acte fondateur, elle n'est plus la dernière référence. La dernière référence est la promesse, mais est-ce que la promesse se trouve seulement dans notre père Abraham, ou n'est-ce pas au moment où la parole est accomplie, au moment où elle est entendue que la promesse existe vraiment ? Autrement dit, est-ce que ce n'est pas dans le Christ que la promesse prend toute sa dimension ? Et là on a la thèse de Paul : la résurrection existe radicalement dans le Christ Jésus, mais qu'il soit ressuscité ne devient une réalité que si nous recevons la parole. Il faut que la Parole soit entendue pour qu'elle soit accomplie.

Voici comment je relirais le verset 19. « Qu'en est-il donc de la Loi ? Elle a été établie par avance (prosététhê) en vertu des (ou grâce aux) transgressionskharin : à cause de, c'est tout ce qui va mettre en valeur la transgression. Ce que Paul veut mettre en avant c'est le rôle de la Loi dans l'histoire, un rôle secondaire, un rôle de dévoilement, dévoilement de la négativité, à savoir l'impuissance de l'homme – jusqu'à ce que vienne la descendance dans laquelle la promesse a été faite (épêngeltai)c'est-à-dire dans laquelle la bonne parole est dite. Il n'y a pas de doute que Paul fait allusion au fait que la descendance, la semence, c'est le Christ. Pour lui c'est dans le Christ que la promesse est arrivée à maturité, que la semence est arrivée à moisson. Mais le mot "descendance" qu'il emploie vaut aussi pour les croyants, il va le dire au verset 29 : « Si vous appartenez au Christ, vous êtes donc la descendance d'Abraham, héritiers selon la promesse. » il ne faudrait donc pas ici distinguer deux périodes : une période qui est uniquement sous la Loi, et une autre période qui est sous la foi. L'opposition que Paul met entre la Loi et la foi passe au travers de tout homme. On est toujours tenté de penser qu'il faut mériter le salut, qu'il faut faire de bonnes actions, mais ça c'est le côté de la loi... Quand Paul dit "jusqu'à ce que…" cela ne désigne pas une détermination temporelle, cela veut dire : jusqu'au moment où je fais la discrimination de ce qui est de l'ordre de la promesse et de ce qui est de l'ordre de la loi. Et il va mettre le Christ au centre puisque non seulement il est celui qui possède la foi, celui qui écoute la Parole, mais en plus il a été condamné par la Loi[20]. C'est lui qui est uniquement sous l'ordre de la promesse.

La promesse a été faite (épêngeltai), le verbe est au parfait qui indique un acte posé une fois pour toutes mais dont les conséquences ne cessent d'advenir. Il y a donc un terme à la Loi, ce n'est pas un terme au sens du temps tel que nous le possédons (passé, présent, futur). Il y a un terme quand je retourne à ce qui est le plus originaire, le plus fondateur, or ça c'est la promesse. Et puisque la première promesse c'était « Que la lumière soit », Paul reviendra jusqu'à Gn 1. Pour l'instant il n'en est qu'à l'époque d'Abraham.

Paul dit « jusqu'à ce qu'advienne la descendance » Il y a une séparation, un tri, et cette séparation qui a commencé entre la lumière et les ténèbres, va jouer à plein dans le Christ, c'est là qu'elle va advenir. Donc ce n'est pas "en attendant la descendance" car dans Abraham cette séparation était déjà là, dans les prophètes aussi.

Elle (la Loi) a été mise en ordre (diatagéis) par les angesles anges, ce n'est pas ceux qui étaient la cause de la Loi, mais ce sont ceux qui ont joué un rôle d'intermédiaires, qui l'ont copiée, qui l'ont mise en ordre. Remarquez que cette tradition des anges comme médiateurs de la Loi ne se trouve pas dans l'Ancien Testament, c'est uniquement dans le judaïsme, par exemple dans le livre des Jubilés[21], dans le livre d'Hénoch éthiopien et aussi dans des textes de rabbins. Paul fait donc allusion ici à cette croyance commune du judaïsme, à savoir que la Loi a été communiquée au nom de Dieu par les anges et c'est là-dessus qu'il va attaquer en disant : « Qu'est-ce que c'est que ce médiateur ? » Remarquez que cette explication sera reprise par certains gnostiques où les anges sont accusés d'avoir perverti la loi. Pour eux le Dieu de l'Ancien Testament c'est le démiurge, c'est le dieu du mal, de la vengeance, donc c'est par les anges qu'il communique la Loi, et alors la Loi qui aurait dû être la vérité est en fait faussée.

La Loi a communiquée… dans la main d'un médiateur. – Évidemment ce médiateur c'est Moïse[22]. Donc ici Paul essaie d'établir ce qu'il pense de la Loi juive, et il ne s'en tient pas à ce qui est dit dans les textes révélés de l'Ancien Testament, il utilise l'enseignement commun du judaïsme de l'époque. Cela va servir son argumentation. Le premier point de son argumentation est le verset 20 qui est difficile.

20Or le médiateur n'est pas d'un seul (hénos)c'est-à-dire qu'il n'y en a pas – et Dieu est un (heis). » Ici Paul fait sans doute allusion à la confession de foi d'Israël : « Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est le Seigneur un » (Dt 6, 4), celui en qui il n'y a pas de faille, qui est de l'ordre de l'incomparable.

Au travers d'une phrase qui semble de l'enseignement commun, Paul vise en fait ce qui est le propre de Jésus-Christ : Jésus-Christ ne sera pas un médiateur. C'est quelque chose qui figure dans l'épître aux Hébreux, épître qui n'est pas de Paul. Pour Paul Jésus-Christ est le propre Fils de Dieu, c'est la parole du Père, c'est un avec le Père, on ne peut pas le séparer du Père, donc il n'est pas un médiateur. Voilà la thèse de Paul : s'il y a un médiateur, c'est qu'il est entre Dieu et les hommes, il est séparé, il ne fait que dire une parole qui reste la sienne, et la Loi va être une parole qui peut bien venir de Dieu mais elle reste médiatisée par l'homme, que l'on prenne Moïse ou que l'on prenne les anges. Tandis que celui qui pourra dire la parole de Dieu tout en étant un homme, c'est celui qui sera un avec le Père (Dieu est un), et là il y aura la parole définitive.

La parole de la Loi ne peut être que l'accomplissement d'une parole médiatisée, ça ne peut être qu'une parole approchée qui dévoile l'homme, qui en dévoile la pauvreté, ce qui fait qu'il n'est pas Dieu. Tandis que Jésus-Christ est le propre Fils de Dieu, un avec lui, et lui accomplit la parole : il y a la Parole, il n'y a plus de médiation.

Avec Abraham Dieu n'avait pas besoin de médiateur puisque c'était une promesse : il n'y a pas de médiation quand cela vient de la gratuité. Quand la parole tombe sur Abraham, elle est de l'ordre de la promesse, elle est donc de l'ordre du Dieu qui se donne, elle n'est pas du côté de celui qui commande. Et cela va se retrouver dans le Christ Jésus, qui donne une seule loi qui n'en est pas une : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». On ne peut se trouver que dans le domaine de ce qui est le gratuit.

 

5)  Les anges en Is 6 et Ap 4. Participer au Sanctus des anges.[23]

a) Lecture d'un texte archaïque : Is 6, 1-5.

Pour commencer cette session sur le Sacré nous allons aborder le chapitre 6 d'Isaïe dans la traduction de Chouraqui. Le travail de Chouraqui peut être intéressant pour quelqu'un qui ne lit pas l'hébreu, pour percevoir les résonances de certains mots. Il a le souci de revenir au sens le plus originel des mots hébreux. Je ne dis pas que tout est parfait chez lui.

« 1L’année de la mort du roi ‘Ouzyahou, je vois Adonaï assis sur le trône altier et élevé. Ses bords remplissent le palais. 2Des séraphîm se tiennent au-dessus de lui, six ailes, six ailes, l’un. De deux, il couvre ses faces; de deux, il couvre ses pieds; de deux, il vole. 3L’un à l’autre crie et dit: « Sacré, sacré, sacré, IHVH-Adonaï Sebaot; la plénitude de toute la terre, sa gloire ! » 4Les coudées des seuils se meuvent à la voix du crieur; la Maison se remplit de fumée. 5Je dis: « Oïe, moi ! Oui, anéanti; oui, homme contaminé des lèvres, moi-même; au sein d’un peuple contaminé des lèvres moi-même j’habite. Oui, mes yeux ont vu le roi, IHVH-Adonaï Sebaot. »

Voilà un texte étrange. C'est la traduction littérale du texte hébraïque, y compris de ses façons de parler. C'est d'une certaine façon inaudible, mais ça nous permet d'apprécier la distance et de ne pas adoucir les difficultés ; au contraire ça les accuse.  […]

Indépendamment du mot même de sacré, il y a toute l'imagerie – mais le mot n'est pas bon, il vaudrait mieux dire la symbolique – qui est impliquée ici :

– les séraphins (les brûlants, les ardents) : seraphim en hébreu, du verbe sâraph qui veut dire brûler.

– La gloire est en plus caractérisée comme manteau : "les pans du manteau". La gloire est donc aussi une atmosphère, ce qui entoure.

Il y a donc ici des choses qui sont extrêmement précises, qui ne correspondent pas à notre attente ni philosophique ni poétique exactement. Par exemple l'Apocalypse elle-même est un réservoir de symboles qui n'est pas de notre écoute spontanée, mais qui est digne d'être regardé de près.

[… lecture commentée… ]

b) Les Séraphins d'Is 6, 1-5 et les quatre vivants d'Ap 4, 6-8.

► Le « Saint, saint, saint » on le retrouve aussi dans l'Apocalypse :

J-M M : Tout à fait. La différence c'est qu'autour du trône ce ne sont pas les mêmes animaux, ou plus exactement les mêmes "vivants". En Isaïe ce sont les Séraphins (les brûlants), et dans l'Apocalypse ce sont le lion, le taureau, l'homme et l'aigle, et ce sont plutôt des chérubins, même s'ils n'ont pas le nombre d'ailes correspondant[24]. Il arrive très souvent que dans les citations les auteurs joignent plusieurs textes de l'Ancien Testament de façon (pour nous) non fidèle, mais signifiante pour eux.

« Devant le trône, il y a aussi comme une mer de verre qui a la transparence du cristal. Au milieu et autour du trône se tiennent quatre êtres vivants couverts d'yeux devant et derrière. Le premier être vivant ressemble à un lion, le deuxième à un taureau, le troisième a le visage d'un homme et le quatrième ressemble à un aigle en plein vol. Les quatre êtres vivants ont chacun six ailes et ils sont couverts d'yeux tout autour et à l’intérieur. Ils ne cessent de dire, jour et nuit : “Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu, le Tout-Puissant, celui qui était, qui est et qui vient !” » (Ap 4, 6-8)

Jesus et les 12 signes du zodiaqueIl y a une histoire complexe de ces chérubins qui sont d'origine babylonienne, qui sont donc empruntés par le peuple juif. On soupçonne que ce sont des considérations astrologiques. Il y en a des traces dans les constellations, c'est-à-dire dans les douze signes du zodiaque : le lion, le taureau, l'homme verseau… C'est approximatif mais c'est probablement intéressant. Les quatre animaux, il faudrait qu'ils correspondent aux quatre points qui ponctuent le cercle zodiacal qui sont les solstices et les équinoxes.

Autrement dit, c'est une lecture mystique qui suppose beaucoup de différence avec nos habitudes de lecture. J'ai une grosse documentation sur cette histoire qui est complexe, qui comporte beaucoup de points incertains.

Nous sommes allés du texte d'Isaïe à la citation qui en est faite dans l'Apocalypse de Jean, ce sont des livres de vision. C'est un genre littéraire, le genre apocalyptique, c'est-à-dire que c'est un dévoilement (apocalupsis) puisque calumma, c'est le voile et apo-calupsis signifie enlever le voile. Donc ce sont des choses qui ne se voient pas si Dieu ne nous ouvre les yeux, mais qui sont le non-vu qui tient tout le reste. Le cœur est le principe de tout espace et de tout temps.

c) La composition du Sanctus.

Ce simple constat que nous faisons en ce moment a un intérêt subsidiaire qui n'était pas de notre visée, mais qui est très important, c'est de voir de quoi est faite notre liturgie, où elle est puisée, et comment des éléments disparateSanctus murals se composent pour faire un tout d'une grande cohérence :

–       « Saint, saint, saint, le Seigneur Dieu de l'univers », c'est repris à Is 6, 3 et c'est pour la célébration ;

–       « le ciel et la terre sont remplis de ta gloire » est une reprise de « la plénitude de toute la terre, ta gloire » avec une expression essentielle du Nouveau Testament, "le ciel et la terre", qui se trouve aussi dans l'Ancien Testament, pour dire la totalité. Mais il ne s'agit pas d'une totalité opaque, c'est une totalité dans laquelle il y a de la distance (ciel et terre) et, s'il y a de la distance, il y a un chemin (« Je suis le chemin »).

–       Et puis ceci est lié originellement à la mémoire de la venue solennelle du Christ au jour des Rameaux (Jn 12, 13) : l'acclamation « Hosanna… » est intégrée au Sanctus…

Vous avez ici un modèle exemplaire de constitution de la prière liturgique à partir de références bibliques, dans des rapprochements qui sont toujours significatifs.

d) La prière : accéder à la louange consistante dans la région de la gloire.

► Est-ce que la gloire ici a un lien avec la louange ?

J-M M : À propos de la louange en général, il faudrait même faire signe vers l'idée d'une louange pré-existante, d'une louange "consistante", le consistant étant justement chez les hébreux la gloire, la kavod en hébreu, mot qui signifie "consistant", solide. Et d'une certaine manière, la prière n'est pas tant que le "je" individuel produise une parole de gloire, que de faire qu'il accède à cette région de la gloire.

 

II –  Jésus est "l'Ange" d'après saint Justin[25]

 Ange est un des noms de Jésus, au singulier : "l'Ange". Rappelez-vous bien que, dans la perspective hébraïque, "le pain", ce n'est pas du pain ; "l'Ange" ce n'est pas un ange, c'est-à-dire que ce n'est pas un ange parmi les anges.

 

 1/  Jésus est l'Ange du grand conseil, il annonce tout ce qu'il faut savoir.

Ange, Berna Lpez« Mais qui est-il donc, celui qui est dénommé tantôt Ange du grand conseil et homme par la bouche d'Ézéchiel ; comme un fils d'homme chez David ; enfant dans Isaïe ; Christ, Dieu adorable chez David ; Christ et pierre par beaucoup ; Sagesse par Salomon ; Joseph, Judas, astre par la bouche de Moïse ; Orient par la bouche de Zacharie ; souffrant, Jacob, Israël par la bouche d'Isaïe ; bâton, fleur, pierre angulaire par Isaïe encore et Fils de Dieu. » (Dialogue avec Tryphon 126, 1.)

« Aujourd’hui encore, tous les Juifs prétendent que c’est le Dieu innommable qui a parlé à Moïse. (…) [4] Le Fils est le Verbe de Dieu, nous l’avons dit. [5] Il s’appelle aussi Ange et Apôtre ; car il annonce tout ce qu’il faut savoir, et il est envoyé pour signifier tout ce qui est annoncé. (…) [14] Les Juifs qui persistent à croire que c’est le Père de l’univers qui a parlé à Moïse, tandis que c’est le Fils de Dieu, qui est appelé Ange et Apôtre, sont donc justement convaincus par l’Esprit prophétique, et par le Christ lui-même, de ne connaître ni le Père ni le Fils. » (1ère Apologie LXIII).

Le mot ange est une des nominations de Jésus qui a cours au second siècle, surtout sous la forme de "l'Ange du Grand conseil", c'est-à-dire de la grande délibération divine. C'est la communication de la délibération divine. Au fond, la délibération divine, c'est « Faisons l'homme » (Gn 1, 26). Dieu délibère et l'ange qui annonce et manifeste le conseil délibérant, c'est Jésus lui-même[26].

 

2/   Penser les anges par rapport à Dieu (Dialogue avec Tryphon 128).

2. Je sais qu'il en est qui (…) assurent que la Puissance venue du Père de l'univers pour apparaître à Moïse, à Abraham, ou encore à Jacob,

– est appelée Ange dans sa venue vers les hommes parce que par elle les choses du Père sont annoncées aux hommes – ceci s'entend du l'étymologie du mot angelos (messager) –

– et [est appelée] Gloire parce qu'elle paraît parfois dans une image indéterminée – ceci est très curieux et très intéressant pour nous aider à comprendre la notion de doxa (gloire) au temps de Justin : elle implique luminosité, un certain éclat, et aussi une certaine indétermination de contours ;

– est appelée parfois Homme parce que, pour apparaître, elle a revêtu les formes humaines voulues par le Père – nous avons là le sens d'une certaine continuité d'apparitions partielles sous différentes formes, puis d'une apparition sous forme d'homme.

– et ils l'appellent encore Verbe (Logos) parce qu'elle porte aux hommes les discours (les paroles) du Père – ceci est très intéressant parce qu'on cherche habituellement l'origine du mot logos chez saint Justin du côté des philosophes où ce terme est employé, mais quand Justin a à analyser le terme de logos ici, il le fait par référence à parole de Dieu.

3. Ils disent qu'on ne peut ni couper ni séparer cette Puissance du Père – là nous sommes vraiment à l'orée des problèmes trinitaires : peut-on couper, peut-on séparer cette Puissance (dunamis) du Père, peut-elle être disjointe, être coupée ? – pas plus qu'on ne peut ni couper ni séparer la lumière du soleil qui est sur la terre du soleil qui est dans le ciel ; lorsqu'il se couche, la lumière disparaît avec lui. – Cette image entre soleil et lumière, source de lumière et rayons, deviendra classique dans la toute première pensée trinitaire. C'est d'ailleurs l'image du flambeau qui s'allume à l'autre qui est à l'origine de « lumen de lumine », lumière de lumière, lumière née de la lumière, qui se trouve encore dans notre Credo. L'image sera reprise par Tassin, Tertullien etc.

De même le Père peut, lorsqu'il le veut, disent-ils, projeter sa Puissance, et, lorsqu'il le veut, la ramener en lui-même. – Nous avons là une espèce d'image de l'expir-inspir qui sera d'ailleurs utilisée aussi au cours du IIe siècle pour les rapports de la puissance d'expression, de dévoilement du Père qui est la source. – C'est de cette manière, enseignent-ils, qu'il a fait aussi les anges.

4. Là nous voyons Justin prendre position contre certaines des conséquences de ce qui a été dit auparavant : Mais il a été démontré qu'il y a des anges, qu'ils sont des êtres permanents qui ne se résolvent pas en ce qui les a produits. Et cette Puissance que le Verbe prophétique appelle aussi Dieu (…) et Ange, n'est pas seulement nominalement distincte du Père, comme la lumière du soleil, mais elle se trouve être quelque chose de distinct numériquement. »

La réflexion de Justin s'appuie sur une lecture de type symbolique, une doctrine de la continuité, symbole de l'identité foncière entre le Père et ce qui procède de lui : le Père et ses émanations qui sont ses modes, ses aspects, ses manifestations inséparables de leur principe. Et c'est d'ailleurs très probablement là une des lectures originelles de l'angélologie.

Nous avons déjà remarqué que la lecture mystérologique n'est pas soucieuse d'hypostasier, c'est-à-dire de se poser la question de savoir si ceci est un sujet et un sujet bien distinct. Nous l'avions remarqué à propos de la Sagesse. Seulement très tôt se posera la question, ici par exemple : les anges sont-ils des substances ou seulement des extensions de Dieu ? De même que dans le domaine trinitaire la question se posera : le Verbe est-il une simple extension de Dieu ou est-il numériquement distinct ?

L'histoire de la doctrine trinitaire avant le Concile de Nicée oscille constamment entre deux pôles : la tentation modaliste et la tentation subordinationiste[27]. Dans le texte du ch. 61 du Dialogue avec Tryphon, Justin risque le subordinationisme lorsqu'il distingue le premier Dieu et le second Dieu pour des raisons compromettantes pour le second. Et pour cette même raison, nous le voyons ici refuser le modalisme. Pour le modalisme, le Verbe n'est qu'un mode, un aspect du Père ce qui a l'avantage de marquer la consubstantialité, mais qui ne marque pas la distinction. La pensée subordinationiste, elle, marquera fortement la distinction, mais mettra en péril la notion de consubstantialité. Ceci durera jusqu'à ce que ces notions soient précisées, notamment au IVe siècle avec le concile de Nicée et les conciles postérieurs.

On considère souvent que la pensée du IIe siècle est surtout subordinationiste. Or nous voyons ici saint Justin réagir contre ce que certains docteurs juifs, ses interlocuteurs, appellent le caractère non-permanent des anges. Et s'il réagit de cette façon en matière d'angélologie c'est parce qu'il pense sur le même schème l'émanation du Verbe et qu'il veut cependant marquer la distinction et la permanence du Père et du Fils. Le Fils (ou le Verbe) n'est pas seulement une émanation expirée du Père qui devrait se résoudre ensuite dans le Père.

 

III – Deux angélologies du IIe siècle.

 Nous allons entrer dans la considération des anges. J'ai choisi, à travers cette multiplicité, deux petites tâches.

 

1/  Angélologie catéchétique d'Irénée.

Les sept sphères célestes, Bede, De natura rerumLa première tâche est de prendre contact avec une angélologie simple, une angélologie catéchétique au cours du IIe siècle. Nous avons vu des choses sur cela, en particulier chez Paul. Qu'est-ce que la première Église en retient ?

Voici le texte commenté par J-M Martin.

N°8 « Et si, par l'Esprit, le Père est appelé Très Haut et Tout-Puissant et Seigneur des Puissances afin que nous apprenions que Dieu est lui-même créateur du ciel et de la terre et de tout cet univers, créateur des anges et des hommes et Seigneur de tous.

N°9 « Quant à ce monde, il est entouré de sept cieux dans lesquels habitent des puissances innombrables, des anges et des archanges qui assurent un culte au Dieu Tout-Puissant et créateur de toutes choses, non qu'il en ait besoin, mais afin qu'ils ne soient pas, du moins, désœuvrés, inutiles et ingrats. C'est pourquoi la présence intérieure de l'Esprit de Dieu est multiple, et c'est celle qui est énumérée par le prophète Isaïe en sept formes de ministères qui se sont reposées sur le Fils de Dieu, c'est-à-dire le Verbe, à sa venue en tant qu'homme. (Démonstration de la prédication apostolique, collection « Sources chrétiennes », n° 62)

(Pour le commentaire voir Angélologie catéchétique du IIe siècle : extraits du livre d'Irénée : "Démonstration de la prédication apostolique" )

 

2/ Angélologie valentinienne.

 Dans une deuxième partie, je traite de l'angélologie des valentiniens dans ce même IIe siècle, à un niveau de réflexion ou de pensée qui est structurellement, à mon sens, plus fidèle à l'Écriture, mais dont les tenants seront bientôt ensuite, pour d'autres raisons, rejetés de la grande Église. Ils restent cependant des témoins intéressants d'une possibilité de pensée dans le domaine de l'angélologie.

Voici le texte commenté par J-M Martin après qu'il ait introduit des notions : chambre nuptiale, semences…

N°2. « 1Les Valentiniens disent : lorsque le "corps psychique" eût été façonné une semence mâle fut déposée par le LOGOS dans la psyché "élue" qui était en sommeil, semence qui est un effluve de l'élément angélique afin qu'il n'y eut point de déficience 2Cette semence opéra comme un ferment, unifiant ce qui apparaissait comme divisé, à savoir la psyché et la chair (...), c'est la semence déposée dans l'âme par le SAUVEUR. Cette semence est un effluve de l'élément mâle et angélique (…) »

N°3. « 1Le SAUVEUR étant donc venu, a réveillé l'âme et enflammé l'étincelle car les paroles du Seigneur sont puissance. C'est pourquoi il a dit : « Que votre lumière brille devant les hommes 2Et, après sa Résurrection, insufflant son esprit dans les Apôtres, de son souffle, il chassait le "limon" comme cendre et le séparait, tandis qu'il enflammait l'étincelle et la vivifiait. »

N°21. « 1Le texte : « Il les créa à l'image de Dieu, il les créa mâle et femelle » désigne, au dire des Valentiniens, la meilleure émission de Sagesse. Les mâles qui en proviennent sont l'élection (eklogê) ; les femelles sont l'ensemble des appelés (klêsis). » « Ils nomment mâles les éléments angéliques (angélica) tandis que les femelles ce sont eux-mêmes, la "semence supérieure". 3Ainsi donc les éléments mâles se sont "concentrés" avec le LOGOS. Les éléments femelles (...) s'unissent aux anges et entrent dans le Plérôme. (…) L'Église d'ici-bas se change en anges. »

N°22. « 1Et quand l'Apôtre dit : « Autrement, que feront ceux qui se font baptiser pour les morts ? »  C'est en effet pour nous, dit Théodote, que les Anges dont nous sommes des portions se font baptiser. 2Car nous sommes morts, nous que l'existence ici-bas a introduit à un état de mort. Mais les "mâles" sont vivants, eux qui ne participent pas à cette existence d'ici-bas. « Si les morts ne ressuscitent pas, pourquoi nous faisons-nous baptiser ? ». 3C'est donc que nous ressuscitons "égaux aux Anges" et "restitués" aux "mâles", les membres avec les membres, dans l'unité. 4Et, disent-ils, « ceux qui se font baptiser pour les morts », ce sont les Anges qui se font baptiser pour nous, afin que, possédant nous aussi le NOM, nous ne soyons pas arrêtés par la Limite du Plérôme (…) et empêchés d'entrer au Plérôme. 5C'est pourquoi, dans "l'imposition des mains", ils disent à la fin : « pour la Rédemption angélique » c'est-à-dire pour celle que les Anges ont aussi, afin que celui qui a obtenu la "Rédemption" se trouve baptisé dans le NOM même dans lequel son ange a été baptisé avant lui. 6Or, au commencement, les Anges ont été baptisés dans la "Rédemption" du NOM qui est descendu sur Jésus, sous la forme de la colombe (…) »

N°35. « 1Jésus, notre "Lumière", comme dit l'Apôtre « s'étant vidé de lui-même »– (…) a, par le fait qu'il était l'ange du Plérôme, entraîné au-dehors avec lui les Anges de la semence supérieure. 2Quant à lui, il possédait la "Rédemption" en tant qu'il provenait du Plérôme, mais, pour les Anges, il les a emmenés en vue du "redressement" de la semence. 3Car c'est comme pour une portion d'eux-mêmes qu'ils prient et qu'ils invoquent le secours : retenus ici-bas à cause de nous, alors qu'ils sont pressés de rentrer, ils demandent pour nous la "rémission", afin que nous entrions avec eux. 4Car on peut presque dire qu'ils ont besoin de nous pour entrer, puisque, sans nous, cela ne leur est pas permis (pour la même raison, disent-ils, que la Mère elle-même n'est pas entrée sans nous) : c'est donc à bon droit qu'ils prient pour nous.

N°36. 1Toutefois, c'est dans l'unité, disent-ils, que nos Anges ont été émis, car ils sont un, en tant qu'issus de l'Un. 2Mais parce que nous existions nous-mêmes à l'état divisé, Jésus, pour cette raison, a été baptisé pour diviser l'indivis, jusqu'à ce qu'il nous unisse aux Anges dans le Plérôme : afin que nous, – la multitude – devenus un, nous soyons tous mélangés à l'Un qui a été divisé à cause de nous.

J-M Martin y dit, entre autres, ceci : « Chaque fragment de divinité qui est au cœur de chaque homme, a besoin de s'unir – et ceci dans un langage nuptial – à son ange »

(Pour le commentaire complet voir Gnose valentinienne : Lieux fondamentaux, angélologie, chambre nuptiale. Citations d'Extraits de Théodote..)



[2] On interprète souvent ce texte en s'apitoyant sur le sort de cet enfant qui n'a pas été accueilli à l'auberge. Mais le texte en fait dit que là n'était pas sa place, tout simplement !

[3] Pour ceux qui s'intéressent au valentinisme, sur ce chant angélique il y a des pages intéressantes d'Antonio Orbe, Introduction à la théologie des IIe IIIe siècles, tome 2 p. 821-827.

[4] C'est aussi un trio qu'on rencontre en Asie, par exemple au Japon en ikébana on fait des bouquets dont les éléments sont inscrits dans un triangle dont les sommets symbolisent le ciel, la terre, et l'homme.

[5] En particulier, à propos de la cruche, Heidegger dit : « Dans le versement du liquide offert, la terre et le ciel, les divins et les mortels sont ensemble présents. » (Extrait de  "La cruche" de Heidegger : approches de J-M Martin et J. Pierron. Enigme, parabole, symbole où un extrait du texte de Heidegger figure au I)

[6] Le a) est extrait du cycle "Ciel-Terre" au Forum 104 ; le b) est extrait d'une des séances sur le "Je christique" ; le c) est extrait de la session sur le Prologue (fin du I du Prologue de Jean. Chapitre V : Le Baptême de Jésus et la figure du Baptiste). Le texte lui-même est étudié plus longuement dans Jn 1, 47-51 Jésus et Nathanaël ; les anges et la nouvelle échelle de Jacob. Passage de ce monde-ci au monde qui vient.

[7] Extrait d'une des séances sur le "Je christique" à Saint-Bernard-de-Montparnasse.

[8]  « Jacob arriva d'aventure en un certain lieu et il y passa la nuit, car le soleil s'était couché. Il prit une des pierres du lieu, la mit sous sa tête et dormit en ce lieu. Il eut un songe : Voilà qu'une échelle était dressée sur la terre et que son sommet atteignait le ciel, et des anges de Dieu y montaient et descendaient ! » (Gn 28, 11-12, BJ)

[9] Extrait de la session sur le Prologue de l'évangile de Jean (tag JEAN-PROLOGUE). La deuxième approche vient de la session sur Jn 20-21 La Résurrection.

[10] Ceci est extrait de la retraite Signe de croix, signe de la foi, sauf le paragraphe sur l'interprétation en termes "d'anges de la prophétie et anges de la prière" qui vient d'une autre rencontre.

[13] J-M Martin n'est pas le seul à avoir cette interprétation par l'Arche de l'Alliance, par exemple : « L'image du tombeau avec deux anges assis à chaque extrémité de l'espace vide où avait été le corps, évoque, dans le Temple, avec les chérubins de part et d'autre du siège vide de la miséricorde. Dans le Temple, Dieu siégeait en gloire dans cet espace vide ; « toi qui sièges sur les chérubins, resplendit devant Éphraïm, Benjamin et Manassé » (Ps 80, 2-3). Le tombeau vide est le nouvel espace sacré de la présence de Dieu. C'est un lieu d'absence, car le corps n'est pas là ; mais c'est aussi un lieu de présence, le trône ouvert de Dieu. » (Timothy Radcliffe,Pourquoi aller à l'église ?) Par contre J-M Martin est peut-être le seul à en tirer des enseignements (les deux moments de la quête).

[14] Les a) et b) sont extraits du cycle Ciel-Terre au Forum 104.

[15] Nous avons chez nous, occidentaux, le schéma préétabli de l'intelligible, qui n'est pas visible aux yeux, et du sensible, qui est visible aux yeux. C'est un schéma quasi indéracinable de notre culture, qui est post-platonicien ; ce n'est pas évangélique. Cela ne s’entend pas en ce sens-là chez Paul. Malheureusement de très bonne heure, le discours évangélique est entendu au sens platonicien. Par exemple, il perd cette nuance qui existe entre Paul et Jean à propos de l'invisible et du visible : l'invisible, chez Paul, c'est ce que Jean appelle le suprêmement visible, parce qu'on ne voit au sens authentique que dans la foi, que dans la parole qui donne d'avoir en vue quelque chose. Les expériences usuelles que nous appelons voir ont d'autres noms : théorein, blépein… Mais les verbes qui disent voir dans sa simplicité, horân, éidein, sont gardés par Jean pour dire le visible par la foi, donc autre chose. Saint Paul n'a pas cette même distinction.

[17] Extrait de l'article paru dans  Christus n° 129, 1986, qui figure sur le blog : Masculin féminin chez saint Paul (Thèmes d'une symbolique)..

[18] Le voile "révèle" la relation de toute l'humanité à Dieu : perdue et retrouvée. Dans l'assemblée la femme est modèle pour l'homme qui vit cette unité perdue et retrouvée sous un autre mode : la tête découverte. (NDLR) Les anges de la prière et de la prophétie sont les anges qui montent et qui descendent, voir Jn 1, 51

[19] C'est dit aussi dans d'autres textes. Par exemple on lit que « Deux mille ans avant d’avoir créé le monde, il [Dieu] avait créé la Loi » (Targum Néofiti en Gn 3,24).

[20] « Le Christ nous a délivrés de la Loi étant devenu malédiction pour nous car il est écrit : “Maudit est quiconque est pendu au bois” (Dt 21, 22) » (Ga 3, 13).

[21] « Le thème d'une médiation angélique au Sinaï ne se trouve qu'en Jubilés 1, 27 ; 2, 1.26-27 : à l'époque de cet écrit et dans le monde essénien ensuite, la médiation angélique ne mettait pas en danger l'unicité de la Tôrah, mais au contraire elle justifiait les révélations nouvelles et souvent ésotériques. La médiation angélique jouait alors à rebours de ce que nous constatons dans la première communauté chrétienne où elle sert à dévaloriser en partie la révélation mosaïque » (Charles Perrot, Jésus et l'histoire, collection JJC 11, note 40 p. 137). En Dt 33, 2, dans la version de la Septante, les anges sont simplement présents : « Le Seigneur est venu du Sina… depuis sa droite, des anges avec lui. » Dans le Nouveau Testament ils sont dits être présents en Ac 7, 38. Ils ont un rôle en Ac 7, 53 : « Vous aviez reçu la loi promulguée par des anges et vous ne l'avez pas gardée », et en He 2, 2 il s'agit du Logos, mais il faut entendre la Loi : « Si en effet le Logos annoncé par les anges est devenu ferme, et si toute transgression et désobéissance ont reçu une juste rétribution… »

[22] Ce rôle lui est reconnu en Dt 5, 5 : « Et moi, je me tenais entre le Seigneur et vous  pour vous annoncer les paroles du Seigneur », puis suit l'énoncé du Décalogue.  Voir aussi Lv 26, 46 et Ex 31, 18.

[24] Le texte de l'Apocalypse combine les séraphins et les chérubins puisque les chérubins ont deux ailes en Ex 25, 19, et quatre ailes en Ézéchiel : «Tout le corps des chérubins, leur dos, leurs mains, et leurs ailes, étaient remplis d'yeux, aussi bien que les roues tout autour, les quatre roues. J'entendis qu'on appelait les roues tourbillon. Chacun avait quatre faces; la face du premier était une face de chérubin, la face du second une face d'homme, celle du troisième une face de lion, et celle du quatrième une face d'aigle. » (Ez 10, 12-14).

[25] À part ce qui a trait à l'Ange du grand conseil, ceci est extrait de  La christo-théologie de saint Justin

[26] Justin rattachait la dénomination d'Ange du grand conseil à Ézéchiel – peut-être d'après Ez 9, 2-4 –, d'autres auteurs la rattachent à Isaïe 9,5 dans la traduction de la Septante : « Car un petit enfant nous est né, et un fils nous a été donné ; la principauté repose sur son épaule, et il est appelé de ce nom, l'Ange du grand conseil.  »

[27] Le modalisme est une doctrine trinitaire selon laquelle le Père, le Fils et l'Esprit ne sont que des modes (des aspects) du même. Le subordinationisme dit que le Fils est éternellement subordonné au Père.

 

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