L'origine du Sanctus de la liturgie. Lecture de Is 6, 1-5, Ap 4, 6-8 et Jn 12, 13
Le Sanctus est l'une des principales acclamations au cours de liturgie, elle tire son nom du latin : « Sanctus, Sanctus, Sanctus Dominus, Deus Sabaoth ! Pleni sunt caeli et terra gloria tua. Hosanna in excelsis ! Benedictus qui venit in nomine Domini. Hosanna in excelsis !» En général la traduction en français est : « Saint, saint, saint le Seigneur Dieu de l'univers. Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire. Hosanna au plus haut des cieux. Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. Hosanna au plus haut des cieux », mais certains comme Chouraqui traduisent « Sacré, sacré, sacré » au lieu de « Saint, saint, saint » car le mot latin sanctum peut se traduire par "saint" mais aussi par "sacré".
La session de septembre 2014 animée par Jean-Marie Martin portait sur le Sacré dans l'Évangile. Lors de la deuxième partie de la première rencontre, il a abordé le texte d'Is 6, 1-5 qui est à l'origine du début du Sanctus. La transcription de la totalité de la session figure sur le blog (tag SACRÉ), ceci est un extrait du chapitre I avec quelques modifications.
- Pour lire, télécharger, imprimer, c'est ici en fichier pdf : Sanctus_Is_6_Ap_4_Jn_12.
- Voir aussi Qui est Jean-Marie Martin ?.
L'origine du Sanctus de la liturgie
Lecture de Is 6, 1-5, Ap 4, 6-8 et Jn 12, 13
1) Lecture d'un texte archaïque : Is 6, 1-5.
Je vous propose maintenant autre chose pour commencer cette session sur le Sacré. On est dans les préparatifs donc on prend des bagages. Ce n'est pas très cohérent, rien n'est abouti. Pour tout on tente des mises en place.
a) Le texte dans deux traductions.
Nous allons aborder le chapitre 6 d'Isaïe dans la traduction de Chouraqui. On peut appeler ça un autre élément préparatoire. On est dans le moment des constructions et de la recherche des matériaux. Le travail de Chouraqui peut être intéressant pour quelqu'un qui ne lit pas l'hébreu, pour percevoir les résonances de certains mots. Il a le souci de revenir au sens le plus originel des mots hébreux. Je ne dis pas que tout est parfait chez lui.
« 1L’année de la mort du roi ‘Ouzyahou, je vois Adonaï assis sur le trône altier et élevé. Ses bords remplissent le palais. 2Des séraphîm se tiennent au-dessus de lui, six ailes, six ailes, l’un. De deux, il couvre ses faces; de deux, il couvre ses pieds; de deux, il vole. 3L’un à l’autre crie et dit: « Sacré, sacré, sacré, IHVH-Adonaï Sebaot; la plénitude de toute la terre, sa gloire ! » 4Les coudées des seuils se meuvent à la voix du crieur; la Maison se remplit de fumée. 5Je dis: « Oïe, moi ! Oui, anéanti; oui, homme contaminé des lèvres, moi-même; au sein d’un peuple contaminé des lèvres moi-même j’habite. Oui, mes yeux ont vu le roi, IHVH-Adonaï Sebaot. »
Voilà un texte étrange. C'est la traduction littérale du texte hébraïque, y compris de ses façons de parler. C'est d'une certaine façon inaudible, mais ça nous permet d'apprécier la distance et de ne pas adoucir les difficultés ; au contraire ça les accuse.
Voici la traduction que donne la TOB :
« 1L'année de mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône très élevé. Sa traîne remplissait le Temple. 2Des séraphins se tenaient au-dessus de lui. Ils avaient chacun six ailes: deux pour se couvrir le visage, deux pour se couvrir les pieds et deux pour voler.
3Ils se criaient l'un à l'autre: " Saint, saint, saint, le Seigneur, le tout-puissant, sa gloire remplit toute la terre! " 4Les pivots des portes se mirent à trembler à la voix de celui qui criait, et le Temple se remplissait de fumée. 5Je dis alors: " Malheur à moi! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j'habite au milieu d'un peuple aux lèvres impures et mes yeux ont vu le roi, le Seigneur, le tout-puissant. " »
b) Les échos de ce texte dans l'Apocalypse et la liturgie.
Ce texte est prononcé par l'Église universelle à toute célébration de la messe : « Saint, saint, saint le Seigneur Dieu de l'univers. Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire. »
Et l'indignité d'Isaïe est propre à la situation prophétique qui reçoit la capacité de parler, donc qui est purifiée pour parler, c'est une autre chose.
Ce texte d'Isaïe est repris explicitement dans l'Apocalypse. C'est un texte prophétique, mais il y a déjà toute une imagerie qui deviendra apocalyptique dans une littérature importante de l'époque suivante jusqu'à l'Apocalypse de Jean et au-delà.
Pourquoi avons-nous entendu le texte d'Isaïe ? C'est à cause du mot même de sacré, kadosh en hébreu : « Kadosh, kadosh, kadosh Adonai Elohim tzevaot ». Il y a un grand nombre de mots du vocabulaire autour de la notion de sacré dans l'Ancien Testament. Tout le problème est que, une fois traduits, ils ne coïncident pas nécessairement avec les mots de la racine du sacré dans les usages, surtout lorsqu'ils passent par la romanité.
Nous disons « Sanctus, sanctus, sanctus » c'est-à-dire « Saint, saint, saint ». Est-ce que ça fait une différence ? Pour les Romains, pas du tout, puisque sacrum et sanctum ont à peu près le même sens. Nous allons voir ici poindre le mot sacramentum.
Nous aurons à dire l'origine du mot sacré, ses séquelles, soit dans le champ théologique, soit dans le champ profane, et pourquoi dès le XIIIe siècle le mot sanctus est plus clair que le mot sacrum, et pourquoi il commence à s'y substituer ; cela dans la réflexion théologique, parce que dans la traduction liturgique « Sanctus, sanctus, sanctus » est antérieur. Donc nous verrons le rapport entre sacrum et sanctum, les répartitions de sens qui se font et qui ne sont pas fondées dans le texte originel, et pourquoi elles surviennent. Voilà des questions que nous aurons à nous poser.
c) La symbolique du texte.
Par ailleurs, indépendamment du mot même de sacré, il y a toute l'imagerie – mais le mot n'est pas bon, il vaudrait mieux dire la symbolique – qui est impliquée ici :
– les séraphins (les brûlants, les ardents) : seraphim en hébreu, du verbe sâraph qui veut dire brûler. Il y a tout ce qui est devenu ensuite une angélologie, mais l'ange a aussi beaucoup changé de statut au cours des siècles. Une des catégories les plus fondamentales d'anges est celle des chérubins (les vivants, les animaux) qu'on voit dans l'Apocalypse. Ils ont ensuite été utilisés pour caractériser les quatre évangiles, et puis ils ont fait florès dans les fresques médiévales : le lion, le taureau, l'aigle et l'humain entourent toujours le Christ dans la mandorle dans toutes les fresques des églises romanes de Bourgogne et d'ailleurs. L'angélologie est comme une façon de décrire la gloire, ce qui entoure le trône. Est-ce que Dieu, outre d'être pourvu de pieds pour se promener dans le jardin, a aussi un séant pour s'asseoir ? Voilà une belle question.
– La gloire est en plus caractérisée comme manteau : "les pans du manteau". La gloire est donc aussi une atmosphère, ce qui entoure.
Il y a donc ici des choses qui sont extrêmement précises, qui ne correspondent pas à notre attente ni philosophique ni poétique exactement. Par exemple l'Apocalypse elle-même est un réservoir de symboles qui n'est pas de notre écoute spontanée, mais qui est digne d'être regardé de près.
d) Lecture glosée du texte d'Is 6, 1-5.
Nous allons relire le texte et je donnerai des mots explicatifs.
« 1L’année de la mort du roi ‘Ouzyahou – c'est le roi Ozias – je vois Adonaï assis sur le trône altier et élevé. – Donc c'est la célébration de la gloire – Ses bords remplissent le palais. – Ce sont les bords du manteau.
Le terme de trône est très important. En effet, le Dieu de l'Ancien Testament a des mains, il a des pieds puisqu'il se promène dans le jardin d'Éden, il a un séant puisqu'il a un trône…
Donc nous avons ici une dénomination, mais elle est consciemment perçue comme symbolique. N'allez pas croire que les Anciens sont dans l'imaginaire… Nous avons, nous, choisi de distinguer des attributs de Dieu qui sont censément compatibles avec l'idée de Dieu, et d'exclure d'autres éléments corporels (comme ceux qui sont ici), dans l'usage premier du terme, ou qu'on a plus ou moins jugés incompatibles avec la sainteté d'un dieu : la colère de Dieu, il n'en est plus question chez nous, alors qu'il en est abondamment question dans l'Ancien Testament, chez saint Paul, chez saint Jean aussi où elle se manifeste par exemple avec les vendeurs chassés du temple, texte que nous verrons ensemble[1]. Alors c'est très difficile pour nous, après ce qui serait censément une épuration, une ontologisation de ce que doit être Dieu, d'entendre le langage qui est impunément utilisé pour désigner Dieu dans un texte comme celui-là.
Vous voyez, si vous ne voulez pas être simplistes, quel est l'effort à faire pour arriver à entendre comme il sied ces textes qui sont le témoignage d'expériences authentiques. Seulement, les Anciens avaient à leur disposition, dans leur tradition, un type de vocabulaire que nous, nous appellerions des images, et qui sont difficilement recevables pour nous. Tout au long de l'histoire, depuis Israël jusqu'à Jésus, et de Jésus jusqu'à nous, il y a un chemin qui n'est pas un chemin de perfectionnement, mais au contraire l'histoire d'une progressive méprise, d'un progressif malentendu.
Il était bon de prendre contact avec ce texte qui nous fait bien voir que si on veut entendre ce que veut dire "sacré", et il y a un sacré bout de chemin à faire !
Donc nous avons le trône qui fait signe vers la royauté. À l'époque, en Canaan, le terme de seigneur se donne au roi, se donne au Dieu. Seulement Jésus aussi dira « Je suis roi », mais il ne faudra pas entendre roi au sens de l'usage que nous avons du mot roi en ce monde-ci : « mon royaume n'est pas de ce monde »[2]. Le terme roi est pris à notre monde car il n'y en a pas d'autre. Tous les termes dont nous pouvons nous servir sont des termes de notre natif.
2Des séraphîm se tiennent au-dessus de lui, six ailes, six ailes, l’un. – En français : chacun a six ailes – De deux, il couvre ses faces ; de deux, il couvre ses pieds ; de deux, il vole. 3L’un à l’autre crie et dit: « Sacré, sacré, sacré, IHVH-Adonaï Sebaot; la plénitude de toute la terre, sa gloire ! » – La vision d'Isaïe est l'origine du Sanctus, et le reste du Sanctus (« Béni soit celui qui vient ») est pris dans le texte des Rameaux. Nous avons une composition qui rapproche deux textes : celui de la gloire (Isaïe) et celui de l'acclamation du venir. On a deux mots ici, venir et emplir, qui sont très importants. Là on se familiarise avec un vocabulaire qui ne nous est pas familier, car même si on le chante, on ne l'entend pas. Le mot de gloire lui-même est extrêmement important pour notre thème, c'est un mot qui est à toutes les pages de l'Écriture : « nous avons contemplé sa gloire » (Jn 1, 14)[3].
4Les coudées des seuils – ce sont les gonds des portes. Ils sont très importants, ils indiquent ce qui s'ouvre et qui se ferme. C'est la même chose chez Parménide pour la déesse Vérité : les portes s'ouvrent devant son char. D'ailleurs, on ne se rend pas compte de l'importance que fut la découverte du char : ce qui fut le trône fut ensuite facilement le char, la mystique hébraïque connaît bien ça. C'est une chose d'une extrême importance dans l'histoire de l'humanité, qui prend donc forcément une place et une signification autre – se meuvent à la voix du crieur; la Maison se remplit de fumée. 5Je dis: « Oïe, moi ! – malheureux moi – Oui, anéanti; oui, homme contaminé des lèvres, moi-même – c'est l'idée d'une vision qu'il n'est pas apte à voir[4], et il prévoit sans doute aussi : d'une mission que ses lèvres ne sont pas aptes à accomplir. Il y aura donc ensuite un geste sacral : de même qu'Isaïe avait été libéré pour la vision, ce geste le libérera pour la prophétie, et ce sera l'envoi en mission comme prophète – au sein d’un peuple contaminé des lèvres moi-même j’habite. Oui, mes yeux ont vu le roi, IHVH-Adonaï Sebaot. »
Donc c'était aussi une petite préparation qui nous plonge un peu dans l'archaïque du sacré tel que dans nos Écritures, et dont nous avons des échos bien pâles dans nos liturgies !
2) Questions sur Is 6, 1-5 et Ap 4, 6-8.
a) Sens spirituels mis en jeu dans Is 6, 1-5.
Nous avons des traces archaïques nombreuses : ainsi la composition des séraphins qui sont caractérisés comme étant le feu qui est un des fluides, la fumée qui est un des fluides, et il en est explicitement question dans le Temple ; donc c'est quelque chose qui emplit, qui se répand. La fumée peut comporter avec elle la connotation d'odeur. Donc nous avons, à l'aide de données sensorielles, quelque chose qui est d'un autre ordre, ou plus exactement, puisque c'est une vision, un odorat (par la fumée) et une audition puisque les séraphins disent « Kadosh, kadosh… » Il s'agit d'une sensorialité spirituelle, d'une sensorialité du pneuma. Cela ne relève pas de la sensorialité grossière qui nous met en contact avec le monde, mais d'une sensorialité intérieure qui nous met en contact avec le secret du monde.
C'est aussi d'une sensorialité spirituelle qu'il s'agit quand saint Jean dit au début de sa première lettre : « Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu, ce que nous avons contemplé de nos yeux,… ce que nos mains ont touché au sujet du logos de la vie » c'est-à-dire au sujet de l'affaire de la résurrection ; car la vie c'est toujours la résurrection chez saint Jean, et ce que nous, nous appelons la vie, c'est la mort c'est-à-dire la vie mortelle.[5]
Donc ici il n'est pas fait usage de la différence entre un intellect qui pense et des sens matériels qui sentent. La différence se fait entre des sens matériels dans notre usage et des sens spirituels (pneumatiques). Si bien que le mot de pneuma signifie tout autre chose que ce que signifie le mot esprit dans notre langage.
b) Les Séraphins d'Is 6, 1-5 et les quatre vivants d'Ap 4, 6-8.
► Le « Saint, saint, saint » on le retrouve aussi dans l'Apocalypse :
« Devant le trône, il y a aussi comme une mer de verre qui a la transparence du cristal. Au milieu et autour du trône se tiennent quatre êtres vivants couverts d'yeux devant et derrière. Le premier être vivant ressemble à un lion, le deuxième à un taureau, le troisième a le visage d'un homme et le quatrième ressemble à un aigle en plein vol. Les quatre êtres vivants ont chacun six ailes et ils sont couverts d'yeux tout autour et à l’intérieur. Ils ne cessent de dire, jour et nuit : « Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu, le Tout-Puissant, celui qui était, qui est et qui vient ! » (Ap 4, 6-8)
J-M M : Tout à fait. La différence c'est qu'autour du trône ce ne sont pas les mêmes animaux, ou plus exactement les mêmes "vivants". En Isaïe ce sont les Séraphins (les brûlants), et dans l'Apocalypse ce sont le lion, le taureau, l'homme et l'aigle, et ce sont plutôt des chérubins, même s'ils n'ont pas le nombre d'ailes correspondant[6]. Il arrive très souvent que dans les citations les auteurs joignent plusieurs textes de l'Ancien Testament de façon (pour nous) non fidèle, mais signifiante pour eux.
Il y a une histoire complexe de ces chérubins qui sont d'origine babylonienne, qui sont donc empruntés par le peuple juif. On soupçonne que ce sont des considérations astrologiques. Il y en a des traces dans les constellations, c'est-à-dire dans les douze signes du zodiaque : le lion, le taureau, l'homme verseau… C'est approximatif mais c'est probablement intéressant. Les quatre animaux, il faudrait qu'ils correspondent aux quatre points qui ponctuent le cercle zodiacal qui sont les solstices et les équinoxes.
Autrement dit, c'est une lecture mystique qui suppose beaucoup de différence avec nos habitudes de lecture. J'ai une grosse documentation sur cette histoire qui est complexe, qui comporte beaucoup de points incertains.
Nous sommes allés du texte d'Isaïe à la citation qui en est faite dans l'Apocalypse de Jean, ce sont des livres de vision. C'est un genre littéraire, le genre apocalyptique, c'est-à-dire que c'est un dévoilement (apocalupsis) puisque calumma, c'est le voile et apo-calupsis signifie enlever le voile. Donc ce sont des choses qui ne se voient pas si Dieu ne nous ouvre les yeux, mais qui sont le non-vu qui tient tout le reste. Le cœur est le principe de tout espace et de tout temps.
3) Les deux origines du Sanctus de la liturgie : Is 6, 3 et Jn 12, 13.
► Peux-tu nous en dire plus sur le Sanctus de la liturgie dont tu as dit que nous le chantions sans savoir ce que nous disions ?
J-M M : Le Sanctus est une composition faite par les chrétiens au cours des siècles. Il est composé pour une part du texte d'Isaïe et pour une part de l'acclamation des Rameaux : « Hosanna ! Béni [soit] celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d'Israël. »(Jn 12, 13).
« 12 Le lendemain, la foule nombreuse venue pour la fête apprit que Jésus venait à Jérusalem. 13Ils prirent les rameaux des palmiers et sortirent à sa rencontre et ils criaient : “Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur et le roi d'Israël !” 14Jésus, trouvant un petit âne, s'assit dessus selon qu'il est écrit : “15Sois sans crainte, fille de Sion : voici que ton roi vient, monté sur un petit d'ânesse.” » (Jn 12)[7]
a) Lecture du Sanctus.
Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur, Dieu de l'univers !
Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire.
Hosanna au plus haut des cieux.
Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur.
Hosanna au plus haut des cieux.
« Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur, Dieu de l'univers ! » "Dieu de l'univers" c'est ce qui était dit sous la forme Adonaï Sebaot qui se traduisait jadis par « roi des armées ». Mais il ne s'agit pas des armées militaires, il s'agit d'armées au sens d'un ensemble de peuples ; donc traduire par « Dieu de l'univers » est une bonne traduction parce que c'est conforme au sens originel du terme.
« Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire » correspond à « la plénitude de toute la terre sa gloire ».
« Hosanna au plus haut des cieux. » Ceci nous amène à l'épisode des Rameaux : les fils d'Israël sortent dans les rues avec des palmes, acclamant Jésus qui vient. "Hosanna" est un des quelques mots qui a son sens enfoui en lui-même, un de ces mots qui qui n'ont pas de sens et dont la seule fonction est d'acclamer. Nous en avons des exemples dans notre langue : hourra. Certains mots hébreux sont restés dans notre liturgie : alléluia qui signifie "louez-Ya" c'est-à-dire Yahvé (Dieu) ; hosanna qui est une acclamation dont on ne connaît pas bien l'étymologie ; et amen, trois mots qui sont restés en hébreu et même dans le texte grec du Nouveau Testament.
« Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » Il n'est pas de question de venue dans le texte d'Isaïe, alors qu'en Jn 12, 13, aux Rameaux c'est la venue du Christ à la ville de Jérusalem, la ville qui tue les prophètes : il vient à la gloire parce qu'il vient à la mort, étant donné que la mort et la gloire sont la même chose. Gloire signifie résurrection dans le Nouveau Testament.
« Hosanna au plus haut des cieux. »
b) La composition du Sanctus.
Ce simple constat que nous faisons en ce moment a un intérêt subsidiaire qui n'était pas de notre visée, mais qui est très important, c'est de voir de quoi est faite notre liturgie, où elle est puisée, et comment des éléments disparates se composent pour faire un tout d'une grande cohérence :
- « Saint, saint, saint, le Seigneur Dieu de l'univers », c'est repris à Is 6, 3 et c'est pour la célébration ;
- « le ciel et la terre sont remplis de ta gloire » est une reprise de « la plénitude de toute la terre, ta gloire » avec une expression essentielle du Nouveau Testament, "le ciel et la terre", qui se trouve aussi dans l'Ancien Testament, pour dire la totalité. Mais il ne s'agit pas d'une totalité opaque, c'est une totalité dans laquelle il y a de la distance (ciel et terre) et, s'il y a de la distance, il y a un chemin (« Je suis le chemin »).
- « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur » : ceci est lié originellement à la mémoire de la venue solennelle du Christ au jour des Rameaux (Jn 12, 13) : l'acclamation « Hosanna… » est intégrée au Sanctus…
Vous avez ici un modèle exemplaire de constitution de la prière liturgique à partir de références bibliques, dans des rapprochements qui sont toujours significatifs.
c) La prière : accéder à la louange consistante dans la région de la gloire.
► Est-ce que la gloire ici a un lien avec la louange ?
J-M M : À propos de la louange en général, il faudrait même faire signe vers l'idée d'une louange pré-existante, d'une louange "consistante", le consistant étant justement chez les hébreux la gloire, la kavod en hébreu, mot qui signifie "consistant", solide. Et d'une certaine manière, la prière n'est pas tant que le "je" individuel produise une parole de gloire, que de faire qu'il accède à cette région de la gloire.
[1] Ce texte est vu au chapitre III de la session (tag SACRÉ), et il est aussi médité longuement dans Jn 2, 13-22 : vendeurs chassés du Temple, Jésus révélateur de violence cachée .
[2] Cf. La Passion comme intronisation royale. Résurrection et Pentecôte à la Croix (Jn 19, 28-37 et 1 Jn 5, 5-10) .
[4] Le fait de voir Dieu signifiait la mort.
[6] Le texte de l'Apocalypse combine les séraphins et les chérubins puisque les chérubins ont deux ailes en Ex 25, 19, et quatre ailes en Ézéchiel : «Tout le corps des chérubins, leur dos, leurs mains, et leurs ailes, étaient remplis d'yeux, aussi bien que les roues tout autour, les quatre roues. J'entendis qu'on appelait les roues tourbillon. Chacun avait quatre faces; la face du premier était une face de chérubin, la face du second une face d'homme, celle du troisième une face de lion, et celle du quatrième une face d'aigle. » (Ez 10, 12-14).
[7] J-M Martin a fait une session sur Jn 12, 1-19 en prenant le thème "Odeur et mémoire", des notes d'un participant figurent sur le blog : Jn 12, 1- 19 : Odeur et mémoire. Perles glanées pendant le week-end animé par J-M Martin.