Statut des paroles dans l'Église, légitimité des dogmes, légitimité du Magistère
Jean-Marie Martin est spécialiste de dogmatique et il en parle souvent dans les sessions. Sa position est très nuancée : « Les dogmes ne sont pas faits pour qu'on les répète sans plus. Ils posent un certain nombre de jalons infiniment précieux. Sans certains de ces fichus dogmes, je ne pourrais pas accéder à l'Évangile comme il convient. Néanmoins les répéter pour le sens qu'ils avaient, surtout dans le moment où ils ont surgi et pour ce que j'en entends aujourd'hui, ce serait la pire façon de s'approcher de l'Évangile.
- Pour lire, télécharger, imprimer c'est ici en fichier pdf : ecoute_de_la_parole_et_dogmes ;
- et en fichier docx : ecoute_de_la_parole_et_dogmes.
Le statut des paroles dans l'Église
La légitimité des dogmes, la légitimité du Magistère
Question de départ[1].
L'Écriture est une parole qui n'est pas simplement dans les bibliothèques municipales. C'est une parole qui est dans les Églises. Elle est faite pour être tenue et portée par les Églises et il y a des traditions de lecture.
Très curieusement on m'accuse souvent d'être nouveau et de ne pas être selon les traditions de lecture, or c'est tout à fait le contraire.
Traditions de lecture dans l'Église.
Les traditions les plus originelles de lecture sont celles du IIe siècle. Je ne dis pas qu'elles sont les seules définitives, mais elles donnent des indications par rapport à l'indéfinité des possibilités de configurations symboliques. Il y en a qui sont attestées, et d'autres qui sont hors champ. Je suis content quand j'interprète un texte et que je peux attester qu'on lisait déjà comme ça au IIe siècle.
En revanche, très légitimement, cette Bible a été donnée et reçue de telle manière qu'on n'en a pas respecté un certain aspect, c'est-à-dire qu'elle est passée d'une structure de lecture de type que je caractérise comme symbolique, à une structure de pensée qui s'articule à partir des questions de l'Occident.
Par exemple, les questions de l'Occident ont été celles-ci : Y a-t-il une ou deux natures en Jésus-Christ ? Est-ce que le Père et le Fils sont de même nature ? Ces questions-là ne peuvent pas être répondues directement par l'Écriture, puisqu'elles ne sont pas posées par l'Écriture !
I) Questions sur les dogmes
Providentiellement, c'est-à-dire pastoralement, l'Église a choisi comme chemin de répondre aux questions que l'Occident a posées. Et donc on a fait aussi le recueil de ces réponses. Mais je précise ceci :
– ces réponses sont toujours signifiantes et, quand elles sont dogmatiques, elles sont vraies par rapport à la question posée.
– cependant elles peuvent être gênantes pour une lecture qui cherche à lire le texte dans sa question à lui.
Ces réponses ne sont donc irréformables que tant que dure la question.
J'ai été professeur de dogmatique. Beaucoup d'exégètes, pour ne pas connaître la dogmatique dans son histoire et dans ses exigences propres, dans son véritable statut, ou bien se croient obligés de trouver dans l'Écriture des choses qui n'y sont pas, ou bien se pensent révolutionnaires et croient devoir combattre la dogmatique sous prétexte qu'ils n'y trouvent pas les mêmes choses ! Ma problématique n'est pas celle-là.
De l'utilité de certains dogmes.
Le mot de dogme, par exemple, a une histoire. L'Évangile n'est pas de structure dogmatique, mais ça ne veut pas dire que la dogmatique n'ait aucune signification. Je dirais même que, pour la lecture de l'Évangile, on est grandement aidés, mais "latéralement", par des décisions prises par l'Église.
Par exemple une décision comme celle de la "Présence réelle" qui est très importante, je ne sais pas si je la trouverais de moi-même dans l'Écriture. Elle s'y trouve, mais d'une autre manière. En effet la formulation en terme de "transsubstantiation", et peut-être aussi des attitudes à l'égard de l'Eucharistie qui ont été développées à la suite de cela, notamment à partir de la Contre-réforme, à la fois m'invitent à retrouver un sens du symbole qui n'est pas le sens vulgaire ("c'est purement symbolique, Monsieur"), mais pour autant ne me laissent pas satisfait par la formulation[2]. Tout cela m'invite donc à chercher dans l'Écriture la formulation même de l'Écriture.
De l'ambiguïté de la piété chrétienne.
L'autre chose que je voulais dire à ce propos, c'est que cela touche à l'histoire de la dogmatique mais aussi à l'histoire de la piété chrétienne, or celle-ci est également ambiguë. En effet la piété chrétienne est d'une part source de quelques dogmes, mais d'autre part elle est soumise à un imaginaire sauvage et donc à des perversions éventuelles, ici ou là, du fait même que la pensée soit conceptuelle.
Une pensée symbolique ne distingue pas le fonctionnement que nous appelons imaginaire et le fonctionnement conceptuel. Mais lorsque le conceptuel est seulement retenu de l'Écriture, ça laisse place pour un besoin d'imaginaire, et ce besoin se comble de lui-même, éventuellement de façon sauvage. J'ai dit "éventuellement", parce que l'Esprit Saint aussi y pourvoit, c'est pourquoi il est très difficile de discerner dans les mouvements des piétés chrétiennes successives (postures, attitudes, sentiments, affects), des choses qui relèveraient de l'Esprit et d'autres qui relèveraient d'un imaginaire assez suspect.
De la bonne utilisation de la dogmatique.
Il y a un certain nombre de choses qui règlent ma lecture de l'Écriture qui se sont suscitées progressivement dans l'enseignement de la dogmatique et dans la tentative de lire de façon la plus originelle possible les textes d'Écriture.
Ma première découverte c'est que, sans doute, le dogme a un sens et il a une fidélité fondamentale avec l'Écriture, mais, ce qui est très clair, c'est que la structure de parole, et par suite la teneur, le tenant et la tonalité, ne sont pas les mêmes chez saint Thomas d'Aquin et chez saint Jean. Très longtemps la théologie s'est crue obligée de retrouver formellement dans l'Écriture ce qui était à professer, donc, de faire une sorte d'apologétique, et le risque très souvent est de faire une lecture de l'Écriture avec mauvaise conscience parce que, de fait, on est fondé à apercevoir que ce n'est pas la même chose.
Si la théologie ne se donne plus pour tâche de se justifier à partir de l'Écriture, et si elle se donne pour tâche, au contraire, d'apercevoir la différence féconde qui existe entre théologie et Écriture, c'est là, peut-être, que beaucoup de choses s'ouvrent. La différence était considérée comme une différence négative : lire autrement, c'était l'hérésie ! Or, pas nécessairement. Il y a une vraie différence, mais une différence utile. Ça devrait être la tâche maintenant de faire cela. Ce qui donne une attitude qui n'est ni le conformisme du théologien classique, ni la prétendue et idiote révolution de l'exégète qui croit tout d'un coup balancer tout le reste.
II) Quel est le statut des paroles dites dans l'Église ?
La façon dont on lit l'Écriture n'est pas une question d'humeur : simplement parce que ça m'est plus plaisant de choisir cette façon-là, ou bien parce que ça me serait plus profitable. En effet, nous ne sommes pas du tout capables de mesurer le profit, à ce niveau-là, des lectures que nous faisons. Le profit est un profit largement non soumis à notre impression de profit, ou au bien-être que cela nous procure. Le bien-être que produit la lecture n'est pas du tout un critère pour la validité d'une lecture. Le bien-être, le bien-aise, l'agrément psychologiquement entendu comme connotant un certain confort, n'est nullement critère dans les choses de l'Esprit. Et, là, il y a une méprise qui existe de nos jours en Occident. Dire : « Ça me fait du bien », c'est le critère ! Eh bien, je suis fondé à soupçonner cela. Car je ne sais pas en vérité ce qui me fait véritablement du bien. Je ne vais pas interdire aux gens de se faire du bien, mais de quel bien parle-t-on ? Pour moi, le bien-aise n'est pas un critère en domaine de vérité. Attention, le bien et le bien-aise, ce n'est pas du tout la même chose.
Alors, quel critère de lecture ?
Les différents statuts de la parole dans l'Église.
Il y a un critère propre à l'Église catholique, mais qui demande, alors, à être soigneusement regardé, c'est le Magistère. Vous me direz que c'est justement lui que vous nous ne suivez pas. Oh ! Attention ce n'est pas si évident.
Donc : pour faire une lecture ecclésiale, voici un critère. Ce qui m'oblige ici à poser la question simple (la réponse est infiniment complexe) : « Quel est le statut de la Parole dans l'Église catholique ? Et qui est habilité à dire et à lire ? ».
Avant de tenter de donner une réponse, je voudrais énumérer différents types de paroles qui sont dans l'Église.
La parole du Magistère quand il parle ex cathedra : les dogmes.
Le premier statut concerne la parole du Magistère au sens strict, c'est-à-dire du pape quand il parle ex cathedra et définit quelques vérités. Là, nous avons un critère qui, en principe, n'est pas un critère de bonne lecture de l'Écriture, ce n'est pas la même chose. Et même si le Pape allègue un texte d'Écriture pour dire une vérité, ça n'est pas une lecture autorisée de l'Écriture. La vérité qu'il dit est vraie, mais son allégation du texte peut être fausse.
En général on ne sait pas ce que c'est qu'un dogme. Des dogmes, il n'y en a pas beaucoup. C'est une chose rare, qui réclame des conditions considérables.
Un dogme doit être une proposition (donc un sujet, un verbe, un complément) et une proposition principale, c'est-à-dire que tout ce qui, dans le texte de la dogmatique, entoure la proposition principale, n'est pas défini comme étant de foi :
– le raisonnement apporté n'est pas défini comme étant de foi, je peux dire : "il est nul", sans récuser la vérité pontificale.
– le texte d'Écriture allégué n'est pas "défini".
Bien sûr le Magistère ne se borne pas à ce point extrême de la définition dogmatique (une seule proposition), il dit des choses, mais elles ne sont pas marquées par la définition, par la foi elle-même. Même chose pour le concile. Moi qui crois aux définitions des conciles, il n'y a pas de concile dans lequel je n'aie à rejeter indéfiniment de choses, le plus respectueusement du monde, y compris le concile Vatican II, qui, du reste, ne comporte pas de définition dogmatique.
Autres statuts de la parole dans l'Église :
– Il y a le statut de l'homilétique : l'homélie et la catéchèse sont des paroles dans l'Église. Elles ont un statut qui ne correspond pas à une détermination sacramentelle relevant de l'ordre, c'est-à-dire que mon évêque peut causer dans sa cathédrale, le curé peut faire des sermons, un diacre ou une religieuse peut en faire aussi, de même qu'une femme laïque. Dans la catéchèse, c'est très clair puisque c'est là qu'abondent les opérants féminins. Est-ce le même statut que le Magistère ? Oui, mais pourquoi et comment ? Est-ce que l'un est régi par l'autre ? Et comment ?
– Un autre statut : les théologiens, ils causent aussi dans l'Église. Ils n'ont pas de statut canonique : être un laïc ou un prêtre, ça ne change rien à son discours théologique.
– Un autre statut : les spirituels. L'histoire même des spirituels est complexe, leur place dans l'Église est complexe. Des spirituels comme tels n'ont pas de statut. Les religieux ont un statut canonique mais qui les met du côté des laïcs comme tels et non du côté des clercs. La distinction laïc/clerc est d'ailleurs une distinction tardive, elle n'est pas dans l'Écriture, cependant elle a un sens.
– La parole bonne d'un chrétien à un autre chrétien est une parole dans l'Église, elle a son statut, sa place.
– On pourrait aussi se demander quel est le statut ecclésial d'un colloque télévisé (je pense à "Agapé") : une parole chrétienne se dit et même se diffuse.
– Il y a aussi la parole de l'Écriture Sainte.
Tout cela n'est ni de même fonction, ni de même charisme, ni de même structure, ni de même rapport. C'est d'une complexité considérable, et nous n'avons pas véritablement de critère scripturaire pour déterminer les uns par rapport aux autres ces différents statuts, car il y a des critères scripturaires qui existent mais qui ne correspondent pas à ce que je viens d'énumérer.
Les statuts des personnes dans l'Église.
Auparavant je voudrais dire que ces différents statuts ont coexisté dans la même personne ou non différemment suivant les siècles. Il est remarquable qu'au IVe siècle, c'est le même homme qui est évêque, spirituel, théologien, et catéchète, fait des homélies, et quelquefois est saint : c'est Grégoire de Nysse, Grégoire de Naziance, Basile... Ils ne sont pas les plus intéressants d'ailleurs. Et puis les choses se spécialisent.
Par ailleurs quel rapport y a-t-il entre l'ordo structurant qui est à l'intérieur de l'Église et ces différents faits sociologiques que je viens d'énumérer ? Quel rapport de tout cela avec la structure sacramentelle de l'ordre (donc avec la situation d'être ordonné ou d'être laïc) ?
La distinction entre la sacramentalité et le pouvoir de gestion de l'Église.
Mais aussi, à l'intérieur même des ordonnés, il y a une différence qui est capitale, et qui est effacée indûment par le concile de Vatican II. Ce concile n'a pas traité les bonnes questions à propos de l'Église. En particulier, la distinction à laquelle je fais allusion ici, c'est la différence qui existe dans le même individu entre le fait d'être sacramentellement ordonné d'une part, et le fait d'avoir un pouvoir de Magistère. Le pouvoir de Magistère n'est pas sacré. Il y a une sacralisation indue du statut de la parole épiscopale qui se manifeste ici. Le Moyen Âge distinguait parfaitement le statut sacramentel et le statut du pouvoir clérical. C'est une chose qu'on peut formuler ou re-questionner autrement, mais, effacer cette distinction est infiniment grave car ça conduit à la sacralisation indue de la parole cléricale, et à la réduction du caractère sacré du sacramentel. Ça interdit l'intelligence du sacré là où il est, parce que ça le pose là où il n'est pas, dans la structure du gouvernement qui n'est pas sacrée.
D'ailleurs, la structure du gouvernement et la structure du sacrement de l'ordre ne sont pas les mêmes. On a voulu faussement effacer la structure pyramidale du gouvernement, et on ne l'a pas effacée, puisque « le Collège n'existe jamais sans sa Tête » comme il est dit explicitement au chapitre 3 de Lumen Gentium. Le mot collegium est un mot juridique qui a son sens, et qui est usurpé ici pour une situation qui n'est pas collégiale au sens originel du terme. La structure gouvernementale reste pyramidale, mais elle n'est pas sacramentelle.
Si vous voulez, pour comprendre : sacramentellement, le pape n'est pas plus que l'évêque de Nevers, et la messe qu'il dit n'est pas meilleure que la mienne, sacramentellement. Nous avons là une structure sacramentelle, un ordo sacramentel. Ce qui fait passer un laïc à l'état de prêtre est un sacrement, ce qui fait passer un prêtre à l'état d'évêque, c'est le même sacrement (enfin, une autre division de ce sacrement). Ce qui fait passer un évêque à être souverain pontife n'est pas un sacrement. Je ne sais pas si vous voyez l'enjeu de cela ? Pour moi tout cela est décisif.
Il n'y a pas de raison de sacraliser indûment le premier des témoins que j'ai noté ici, et qui est le Magistère. Il relève du pouvoir de gestion de l'Église et non pas de la sacramentalité. Le malheur est qu'on pense tout aujourd'hui à partir du gouvernement ou du régime.
Ce que dit saint Thomas d'Aquin à propos de la constitution de l'Église.
Écoutez bien ça : il y a une phrase de saint Thomas d'Aquin qui se trouve dans Ad Tertium. Il s'agit d'un article d'une question de la Tertia pars, un tout petit bout.
La question posée était : « Est-ce que les apôtres ou leurs successeurs peuvent créer d'autres sacrements que ceux qui ont été institués par le Christ ? ».
La réponse est celle-ci : « Apostoli, et eorum successores, sunt vicarii Dei quantum ad regimen Ecclesiae constitutae per fidem et fidei sacramenta : Les apôtres et les successeurs ont le regimen – c'est l'expression juridique choisie pour dire cela, c'est-à-dire un charisme de service – de l'Église qui est constituée par la parole et par les sacrements de la parole. » c'est-à-dire que les apôtres et leurs successeurs ont le soin et la garde de l'Église, ils ne constituent pas l'Église, ils ont la garde d'une Église constituée.
L'Église est donc constituée par la Parole et par les sacrements de la Parole, et le régime de cela n'est pas constitutif de l'Église. Bien sûr cela a une source constitutionnelle dans l'Écriture, mais ça ne constitue pas l'Église, ça constitue la garde de la régularité de l'Église. D'ailleurs le mot épiscopos dit cela : c'est une veillance, une surveillance, une vigilance, une attention de ce qui est constitué par la Parole et par les sacrements de la Parole : distinction est faite entre l'ordo sacramentaire et le Regimen..
Et c'est là que je dis que le concile Vatican II fléchit, parce que Lumen gentium est tout entier constitué par la division ternaire : prêtre, prophète et roi. C'est bon pour le Christ, c'est bon pour l'Église, c'est bon pour les laïcs. Et ça paraît intéressant, parce que ça a l'air de nous faire sortir d'un discours occidental qui est sur le régime et l'ordo, pour nous faire entrer dans les paroles mêmes de l'Écriture. Oui, mais, quand on garde des structures de pensée occidentale pour les recouvrir de langage biblique, rien ne se passe, rien de nouveau ne s'entend. Et le malheur, c'est que cette division ternaire aplatit au même niveau le pastorat (c'est-à-dire le régime) et l'ordo sacramentaire.
C'est pour cette raison qu'il ne faut pas confondre la Parole et la garde de la Parole. La parole du pape n'a jamais été considérée comme Parole de Dieu. Elle est une garde (éventuellement infaillible)[3] de la Parole de Dieu.
Ces choses-là ont une importance considérable. Or, tout cela est brouillé, pas seulement dans l'esprit des chrétiens moyens, mais dans l'esprit des pères conciliaires.
Le Magistère n'exerce qu'une surveillance, il n'a pas à inventer.
Nous étions partis ici de la question du critère de vérité d'une lecture de l'Écriture. Il relève de cette vigilance-là parce que le Magistère n'est pas une source, autrement dit, le Magistère n'a rien à inventer. Il n'a jamais rien inventé, mais il ne faut pas le lui reprocher ! Le Magistère exerce une attitude qu'on pourrait appeler de surveillance qui a voulu se dire dans le langage juridique du judiciaire – c'est-à-dire de rejeter, ou d'intégrer –, mais le Magistère n'a jamais rien inventé, ce n'est pas sa tâche. Ce sont d'autres qui inventent.
Qui est-ce qui invente dans l'Église ?
Justin, au IIe siècle – qui n'est ni prêtre, ni théologien, ni quoi que ce soit –, écrit pour moi des choses qui sont décisives ; saint François de Sales (il était évêque)...
Vous prenez qui vous voulez qui produit une parole neuve, qui tente de dire comment il entend l'Écriture, c'est cela qui est créatif. Ça peut provenir d'un évêque ou d'un laïc. Et dans la mesure où cela est entendu, où cela prend surface…
Et c'est à ce moment-là surtout qu'intervient (en amont ou après) le Magistère : il dit son discernement. Son discernement a souvent été négatif, mais très largement aussi, appropriatif. Par exemple le concile de Trente a été fabriqué avec des textes de saint Thomas d'Aquin qui n'est pas le Magistère.
Il y a donc ici un discernement qui joue et que je trouve très important. Je ne suis pas content avec un concile qui ne condamne pas, qui n'a pas le courage de rejeter, de condamner des choses – mais il faut bien s'entendre sur ce que veut dire "condamner"…
EN GUISE DE CONCLUSION[4].
La tâche qui nous incombe par rapport aux dogmes.
Les choses qui ont été déterminées comme dogmatiques, qui sont des éléments des multiples tentatives de lire l'Évangile, c'est le carcan dont vous considérez qu'il faudrait se délivrer, moi pas du tout, moi qui suis familier de cette histoire.
L'histoire des dogmes et des textes élaborés par l'Église m'a convaincu de ceci que la bénédiction serait d'apercevoir le plus rigoureusement possible la différence qui existe entre l'Évangile et ce que nous (l'Église si on veut), nous en avons entendu au cours des siècles. Et pas du tout dans le but de rejeter tout cela, ni par une attitude de prudence, mais parce que c'est heureux qu'il y ait tout ça, à condition qu'on sache s'en servir comme il convient.
Les dogmes ne sont pas faits pour qu'on les répète sans plus. Ils posent un certain nombre de jalons infiniment précieux. Sans certains de ces fichus dogmes, je ne pourrais pas accéder à l'Évangile comme il convient. Néanmoins les répéter pour le sens qu'ils avaient, surtout dans le moment où ils ont surgi et pour ce que j'en entends aujourd'hui, ce serait la pire façon de s'approcher de l'Évangile.
Je dis souvent que la dogmatique peut constituer le pire obstacle que nous ayons pour entrer dans l'Évangile. C'est vrai, mais ceci ne signifie nullement que la dogmatique soit quelque chose d'insignifiant : ce n'est pas le chemin nécessaire, et néanmoins ça n'est nullement insignifiant.
Distinguer la permanence de l'autorité dans l'Église et son inscription contingente dans une culture.
Je voulais dire autre chose à propos de ce qu'on appelle l'autorité de l'Église : vous ne voyez pas à quel point un certain nombre de choses sont inchoativement dans l'Écriture, par exemple le fait qu'il y ait un service de garde. Ce n'est pas glorieux d'être portier, ça ne nécessite pas une mitre, c'est un service de garde : le pape ce n'est rien de plus. Il a en fait pour tâche d'arbitrer ce qui surgit comme tentatives d'écoute de l'Évangile, et il ne surgit pas grand-chose depuis un certain temps d'ailleurs.
Ensuite le dogme s'institue sur le mode de propositions, ce qu'il doit à la culture dans laquelle il est énoncé. C'est la culture de l'Occident qui structure la vérité à partir de la proposition. Que ce service s'exprime dans le langage du droit, du droit romain en plus, ce n'est pas dans l'Évangile. Naturellement ce service parle le langage de la culture qui le reçoit.
Autrement dit ce service de garde est inaliénable : il y va de la fonction pétrine (la fonction de Pierre) puisque c'est de cela qu'il s'agit, comme il y a d'autres fonctions déterminées qui sont en toutes lettres dans l'Évangile. Mais que cette fonction s'auto-interprète au cours des siècles à partir du droit romain ou à partir de la métaphysique d'Aristote, ça c'est contingent, c'est l'histoire et ce n'est pas inscrit pour toujours, c'est autre chose.
[1] Ce texte est extrait de la session sur la Symbolique des éléments à Saint-Jean-de-Sixt en 1999. La question de départ concernait les règles qui régissent la lecture des textes qui venaient d'être lus dans le cadre de la session.. De fil en aiguille le débat s'est déplacé sur les dogmes puis sur le Magistère… En effet la réunion de l'après-midi est un moment où les participants peuvent poser leurs questions et J-M Martin en profite souvent pour développer des thèmes plus vastes qui n'ont pas nécessairement un rapport direct avec le thème de la session.
[2] Il faut ré-écouter, ré-entendre, peut-être avec des ressources nouvelles, les possibilités de l'Écriture sur ce point et c'est pourquoi, un peu par mode de jeu, par allusion à la même problématique, je disais "réelle présence" plutôt que "présence réelle". Ce qui est très intéressant dans cette affaire, c'est que pour être présent, il faut être deux. Donc il n'y a pas "quelqu'un qui est présent" : il est présent à quelque chose ou à quelqu'un.
[3] Voici le dogme de l'infailliblité promulgué au concile Vatican I en 1870 : « Le pontife romain, lorsqu'il parle ex cathedra, c’est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu'une doctrine, en matière de foi ou de morale, doit être admise par toute l'Église, jouit par l'assistance divine à lui promise en la personne de saint Pierre de cette infaillibilitédont le divin Rédempteur a voulu que fût pourvue l'Église, lorsqu'elle définit la doctrine sur la foi ou la morale. » Il y a donc en fait très peu de dogmes.