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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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1 décembre 2013

Images et textes. Réflexion à partir de l'iconographie

Ceci reprend une partie d'un cours donné par Jean-Marie Martin à l'Institut Catholique de Paris en 1975-76. C'était la fin d'une réflexion sur l'Eucharistie comme "manger", où le texte de Jn 6, 47-51 (le discours sur le pain de vie) avait été abordé. J-M Martin renvoyait aux images du livre "Les images pour croire" qui n'est plus disponible, les références ont donc été supprimées et d'autres images mises.

 

Images et textes

Réflexion à partir de l'iconographie

 

 

À notre étude scripturaire de l'eucharistie nous ajoutons brièvement quelques traces iconographiques laissées par les eucharisties chrétiennes des premiers siècles.

1°) Les thèmes dominants dans les représentations des premiers siècles.

On pourrait recenser ici les thèmes dominants dans les représentations des premiers siècles. Nous allons énumérer ici un certain nombre de ces figures.

a) Le poisson.

Une figure fréquemment reproduite est celle du poisson.

poisson symbolisant le ChristLe poisson est figure du Christ lui-même.

En plus des symbolismes les plus radicaux que l'on pourrait énumérer dans ce domaine, le nom même de poisson en grec est pris comme chiffre du nom même de notre Seigneur Jésus-Christ : poisson se dit i-ch-t-u-s, Iêsoûs Christos Théou uios Sôtêr, Jésus-Christ fils de Dieu Sauveur.

Le poisson est aussi un symbole du salut[1]. Et là on entre dans la symbolique du pêcheur. Celle-ci se réfère elle-même à une certaine symbolique, négative celle-là, de l'eau, de l'eau néfaste ou de l'eau mortelle d'où il faut être retiré.

Comme tous les symboles et peut-être plus encore que les autres, l'eau se prête à différentes intelligences. Les eaux étouffantes ou négatives ne sont que l'une des possibilités symboliques de l'eau.

 

 b) L'agneau et le berger.

Une figure également fréquente est celle de l'agneau. L'agneau d'abord pour la région pastorale qu'il représente, la région nomade ou la région ouverte de l'homme. Nous faisons ici référence à la symbolique d'Abel, le premier pasteur, tué par le premier sédentaire.

Dans le premier christianisme il y a des échos de la symbolique sacrificielle de l'agneau de la mystique juive.

Par ailleurs berger et agneau peuvent jouer corrélativement une sorte d'opposition ou de relation, alors que dans un autre sens ils peuvent aussi être pris comme désignant communément la même région pastorale.

Le berger, lui, très souvent, allude au thème de la prairie et au thème du jardin. Le thème du jardin touche au thème de l'arbre. Le thème de l'arbre touche au thème central de l'arbre de vie, qui est aussi la croix, etc. Il y a tout une suite qui donne lieu à une possibilité ou à des possibilités de lecture de ce que nous avons caractérisé ici au départ comme le thème de l'agneau.

 

c) Corbeille de pains.

poisson et pain eucharistique, catacombe de caliste, RomeCes différents thèmes peuvent aussi se ressaisir dans un rapport explicite à la corbeille des pains. Tout le monde a plus ou moins dans l'esprit telle représentation des catacombes où la corbeille des pains se trouve sur un poisson. Les deux principaux thèmes auxquels nous avons fait allusion jusqu'ici ont une implantation fortement johannique, notamment le rapport du poisson et du pain qui se trouve soit en Jean 6 (le miracle des pains où il y a aussi les deux poissons) soit en Jean 21 dans le récit après la résurrection où le repas partagé avec le Christ implique toujours le poisson.

 

d) Cercle de convives, cercle du docteur par rapport à ses disciples…

Cet ensemble du pain, du poisson, de la coupe, se réfère à nouveau à ces représentations du cercle de convives. Tout le monde a un vague souvenir de cette représentation du cercle des convives au repas, lequel cercle des convives est d'une certaine façon à son tour, même d'un point de vue plastique, assimilable au cercle du pasteur par rapport à ses brebis, et peut-être plus précisément au cercle du docteur par rapport à ses disciples.  

Christ avec les 12 apôtres, ivoire sculpté du 6e s ( Italie)

Les anciens ne considèrent pas que ce soit une chose hasardeuse que la manducation et la parole se fassent l'une et l'autre par l'organe de la bouche. Il y a une symbolique commune. Et dans les premières représentations chrétiennes, dans les catacombes, il y a un parallélisme parfait entre le Christ qui est entouré de ses disciples à table et le maître sur la cathèdre également entouré de ses disciples. Nous devons éviter de penser dans deux registres tout à fait différents l'entendre dans le domaine de la doctrine et le manger éventuellement dans le domaine du rite, avec la distinction doctrine-rite. Le Christ est le seul Didascale, le seul qui donne la Parole, mais il est aussi le seul qui peut la donner d'une certaine manière car il est le seul qui donne le pain, ce pain qui est lui-même, son corps livré.

 

e) L'homme debout, image du salut, figure eucharistiante du Ressuscité.

Une autre figure est celle de l'homme debout. On trouve en effet un certain nombre de figures dans lesquelles le sens est toujours la présence du sauf au milieu du péril, donc une image du salut. Qu'il s'agisse de Daniel au milieu des lions, qu'il s'agisse des enfants hébreux intacts dans la fournaise, qu'il s'agisse de l'arche de Noé sauf au milieu des eaux mortelles (des eaux négatives du déluge), dans tous ces cas, l'eau, le feu, la bête féroce disent de même façon le péril au milieu de quoi l'homme est sauf. On remarque également le thème de Suzanne, sauve malgré les accusations des juges. Au moins trois des thèmes que nous venons d'énumérer se réfèrent au livre de Daniel, ce qui suppose une certaine lecture fréquente du livre de Daniel dans la première communauté chrétienne.

À travers ces différentes figures, c'est une parole sur le salut de l'homme qui est en question ; c'est-à-dire que l'homme trace ainsi la figure de son propre salut, et c'est simultanément le Christ ressuscité lui-même qui assure ainsi l'être seigneur ou sauf de la menace ; et la dernière menace, c'est la mort (1 Cor 15).

Daniel orant dans la fosse aux lionsMais cette figure du sauf, comme dans l'image de Daniel ici, prend simultanément l'attitude de l'Orante, cette attitude du priant qui se retrouve alors pour elle-même dans de nombreuses autres figures des catacombes. Et cette figure de l'Orante est à la fois la figure eucharistiante du Ressuscité, et donnera le schème sur lequel ensuite se développera la représentation de la croix. Croix et résurrection disent le même. Nous avons fait allusion à ce principe de lecture quand nous lisions les chapitres de la Passion (Jn 18-19) comme décrivant la royauté de Jésus et son intronisation royale de Ressuscité en ayant l'air de décrire sa passion ; nous avons là, tout à fait figuré, le premier schème de la croix qui est simultanément, dans la figure de l'Orante, à la fois l'expression de la résurrection, c'est-à-dire du sauf, du salut, et l'expression de la croix.

 

2) Comment fréquenter ces monuments ?

Voilà énumérés un certain nombre de thèmes iconographiques des premières communautés chrétiennes. Se pose à nous la question : comment fréquenter ces monuments, comment fréquenter ces traces de l'expérience et de la vie chrétienne ? Nous allons essayer de répondre à cette question parce que ce que nous avons dit des thèmes ne remplace pas une fréquentation effective assidue, le fait de regarder ces images. Mais encore faut-il, dans cette fréquentation et dans ce regard, éviter un certain nombre d'écueils et savoir comment se comporter. C'est ce à quoi nous essayons maintenant de répondre : comment fréquenter ces traces.

Tout d'abord éviter de se poser de fausses questions. Par exemple : cet agneau, ou ce poisson, est-il le symbole du Christ ou bien le symbole de l'homme sauvé ? Cette question est en fait la question : l'artiste a-t-il illustré une page de christologie ou une page d'anthropologie ? Dit comme cela, c'est un peu ridicule, mais c'est la même question. Autrement dit, dans notre regard toujours déjà, nos traités insidieusement s'insinuent et nous empêchent de voir "la" question qui se poserait.

banquet dans les catacombes de sts Marcellin et Pierre, RomeAutre exemple : cette image du repas est-elle la représentation de l'Eucharistie telle qu'elle s'est passée dans cette pièce dont les murs sont ainsi ornés ? Est-elle la représentation de l'Eucharistie ? Est-elle la représentation d'un refrigerium, c'est-à-dire de ce repas pour les morts qui était de coutume païenne et se faisait sans doute également en cadre chrétien, dans les catacombes qui sont des lieux de sépulture, sans que cela ait un rapport avec ce que nous appelons l'Eucharistie ? Ou bien n'est-ce pas une allégorie du repas céleste comme figurant le thème de l'espérance ? Et là on retrouverait des allégories, ou du moins ce que nous sommes tentés d'appeler des allégories de ce genre, même en milieu païen. Y a-t-il là une représentation de l'Eucharistie, une représentation de refrigerium ou une allégorie d'une espérance céleste ?

C'est là le modèle même de question oiseuse, inopportune, anachronique. Peut-être même est-ce déjà cette opposition entre la représentation d'une scène qui a effectivement eu lieu et le projet idéal d'un rêve, distinction qui nous est chère mais qui ne fonctionne absolument pas au niveau du symbolisme où les choses sont prises. Peut-être aussi que la distinction que nous ne manquons pas de mettre entre ce que serait une effective messe et un repas pour les morts est une distinction qui ne joue pas en ce sens au niveau de celui qui ainsi s'exprime.

Se familiariser avec le langage du symbole.

Le symbole n'est ni image univoque, ni prétexte à bavardage indéfini. Nous vous signalons qu'il y a ici une analogie très étroite avec la question que l'on peut se poser devant non plus une image, mais devant un texte. Qu'est-ce que lire ? Comment lire ? C'est une question importante aujourd'hui. Il y a un certain nombre de réponses qui pourraient être : premièrement, lire c'est découvrir la signification une fois enfermée dans ce texte ; ou bien le texte devient un prétexte à indéfinies possibilités d'expression de moi-même. Ce sont les deux extrêmes qui se proposent lorsque l'on se pose la question de savoir ce que c'est que lire un texte. Il en va de même et de façon peut-être plus aiguë encore lorsqu'il s'agit de regarder une figure.

Le symbole n'est :

ni une image au sens moderne du terme, conçue comme re-présentation d'un concept que l'érudit aurait la tâche de définir. On pourrait penser une sorte d'iconologie qui ferait des équivalences de vocabulaire du type de celles qu'on rencontre dans le dictionnaire (poisson égale ceci). Et sous des formes beaucoup plus subtiles, cependant, c'est souvent un schème pas très éloigné de celui-là qui conduit l'érudit dissertant sur la signification d'un monument considéré comme témoignage historique.

– ni prétexte à une expression "spontanée" de celui qui regarde, ou si vous voulez, révélateur des archétypes du lecteur, ceci pouvant éventuellement être calculé technologiquement dans un but publicitaire. Voilà un certain fonctionnement de l'image comme révélateur, au sens vague du terme, d'archétypes moteurs du spectateur, débridant une force qui puisse être technologiquement calculée pour qu'elle aboutisse à l'achat du produit ou à la conviction à faire naître chez l'interlocuteur. Ce fonctionnement de l'image est tout à fait étranger à ce qu'est le symbole.

Nous ne cessons de parler du siècle de l'audiovisuel et cela veut dire quelque chose. Cependant ce terme très vague pour nous est compromis dans sa définition parce que c'est un terme réactif, c'est-à-dire un terme qui ne prend de sens que par opposition à ce qu'est le concept. Nous avons une certaine conception du concept, et tout le reste c'est l'audiovisuel. Là-dedans il y a des fonctionnements très nombreux. Dans le tout à fait concret, que veut dire audiovisuel ? Cela peut vouloir dire : on va vous montrer de façon érudite, vous expliquer la signification de telle image de tel siècle, et alors on fait de l'image exactement ce que l'on fait d'un mot d'une langue étrangère dans le dictionnaire. Ou bien alors, tout à l'opposé, on va prendre l'image séduisante d'aujourd'hui qui, de par sa fonction d'image, a pour capacité de faire réagir et d'ouvrir les langues et de révéler, de dévoiler un groupe, de lui permettre de s'exprimer. Nous ne critiquons rien, simplement nous remarquons que tous ces fonctionnements qui sont hâtivement récupérés sous le nom d'audiovisuel, disent des choses très différentes les unes des autres.

 

3) Les rapports du plastique et du verbal.

Très souvent on oppose la parole et l'image. Mais si nous disons qu'il ne faut pas opposer, vous verrez que ni notre idée de parole, ni notre idée d'image ne restent intactes, parce que si je modifie la structure, du même coup je modifie les termes. La structure étant modifiée, les termes ne restent pas intacts ; il n'y a pas une bonne fois pour toutes un concept univoque de parole et d'image. D'ailleurs au cours des siècles ces mots ont dit les choses les plus diverses.

Alors si nous n'opposons pas purement et simplement parole et geste, il nous faut voir que la parole, prise dans une dimension autre que celle que nous comprenons spontanément, est un geste, et que le plastique est la trace d'une parole ainsi gestuée. Quand nous entrons dans l'atelier d'un de nos amis peintres, nous croyons voir voler, voleter encore ses mains, ses multiples gestes ; des mains voyantes d'ailleurs : elles sont tout l'être de l'homme en tant qu'il voit par la main, lui qui a tenté de multiples esquisses qui traînent dans les coins, des toiles inachevées.

Le langage (et la parole) est un geste, ou plus exactement peut-être, l'affinement dernier du geste et non pas son contraire. Et la parole ainsi comprise contribue au sens du geste. Nous allons donner l'exemple d'un texte. Mais nous allons réfléchir, à d'autres titres, à ce texte.

Extraits de l'épitaphe d'Albertius (évêque d'Hiéropolis) mort en 180.

Ce texte, nous le prenons ici en tant qu'il ressaisit dans une parole un certain nombre de symboles familiers que nous avons rencontrés dans les représentations des catacombes. C'est l'épitaphe d'Albertius (évêque d'Hiéropolis), une épitaphe qui est généralement datée des années 180 environ, donc l'époque des représentations des catacombes. Nous avons trouvé le texte (grec et latin) dans Rouet de Journel, un florilège de textes patristiques et de textes anciens fondamentaux. Il existe également aujourd'hui d'autres extraits de textes patristiques. Ce texte (n° 98 dans Rouet de Journel), nous vous le donnons à titre d'exemple et nous n'en donnons que des extraits.

« Mon nom est Albertius, disciple d'un pasteur chaste, qui paît le troupeau des brebis sur les collines et dans les champs. » Vous avez déjà beaucoup de représentations présentes à l'esprit sur ce sujet.

Ensuite il relate un certain nombre de ses voyages : il a vu Rome, l'Euphrate, la Mésopotamie ; et il ajoute :  « La foi fut pour moi un guide et m'a offert partout pour nourriture, tirée de la source, un poisson très grand, pur, qu'une vierge chaste a pêché et donné à manger pour toujours à ses amis, servant un excellent vin avec le pain. »

Ce texte, nous l'avons proposé ici pour marquer le rapport convergent qui pourrait exister entre une parole de type poétique, et des représentations graphiques. Mais cela nous conduit à un quatrième point.

 

4) Statut de la poématique chrétienne dans le discours chrétien.

a) Question sur le rapport du dire et de l'entendre.

Le texte que nous avons lu comme exemple de poématique chrétienne pose la question du statut de la poématique chrétienne dans le discours chrétien : qu'est-ce qu'un texte comme celui-ci, et notamment par rapport à notre écoute de l'Écriture ? Nous avons lu l'Écriture, voici un texte : quel est le statut de cette expression poématique dont nous avons ici un exemple ?

Il s'agit ici, une fois encore, d'expression hymnique. Nous avons ici un poème-épitaphe qui obéit aux lois du poème en général et peut-être plus particulièrement aux lois de l'épitaphe. Ailleurs, comme traces verbales des communautés chrétiennes, nous trouverons des discours écrits mais des discours proprement eucharistiques. Et tout cela est structurellement différent d'une théologie purement dissertante. Ce qui s'exprime ici, pour dire d'une façon sommaire, c'est la capacité expressive d'une communauté. Il est extrêmement intéressant de susciter des possibilités expressives de telle ou telle communauté. Donc quand nous voyons des textes de ce genre provenant des premières communautés chrétiennes il faut bien voir d'où ils sont issus, donc voir que ce sont des textes de communautés chrétiennes. Pourquoi cela serait-il tari ?

Mais ce n'est pas sur ce point particulier que nous voulions appeler votre attention, c'est, disons, la première réflexion que nous voulions faire par rapport à la question posée. La question impliquait par ailleurs que l'on réfléchît sur le rapport entre le dire, ce dire chrétien, et l'entendre constitutif que nous avons essayé de mettre en œuvre lorsque nous nous approchions des textes fondamentaux de l'Écriture.

b) Ces différentes expressions sont la présence de la Parole dans sa mise en œuvre.

Seconde remarque donc, plus radicale, et qui porte sur les rapports du dire et de l'entendre. L'essentiel de ce que nous avons à suggérer ici comme point de repère tient en une formule que vous pouvez prendre comme paradoxale au départ : « entendre, c'est déjà dire ».

Pour nous aujourd'hui, les textes témoignant de la vie des communautés chrétiennes, ou les images qui laissent également des traces ou des reflets de cette vie, d'entrée nous les considérons comme des monuments historiques. Nous croyons que c'est légitimement notre première approche, et ce n'est pas la dernière. Un historien peut légitimement se tenir indéfiniment dans cette approche en tant précisément qu'il est historien. Ce sont des monuments historiques, c'est-à-dire ce à partir de quoi on peut raisonnablement suggérer que ceci ou cela a été pensé, a été vécu. Cependant qu'étaient ces expressions pour ceux-là qui les proféraient ou les dessinaient ? Notez qu'en posant la question de cette façon l'on reste encore historien : qu'étaient ces expressions pour ceux qui les proféraient ou les dessinaient ?

Elles étaient pour eux ce qu'ils entendaient de la parole, c'était le dire ou le gestuer de leur entendre. Nous avions pensé tout à l'heure que probablement les textes du livre de Daniel devaient occuper une bonne place dans la lecture, ce qui exprime une certaine référence préférentielle. Cependant ce que ces traces disent, ce n'est pas l'entendre précisément, comment entendre, mais l'entendre en tant qu'il se dit. Et c'est ainsi que leur imaginaire se trouve employé, mais ressaisi dans la lumière neuve de leur entendre, de leur écoute.

Quand nous disons "leur" imaginaire, nous faisons allusion à ce fait que quasi tous les symboles que l'on trouve dans la première expression chrétienne ont des équivalents ou des racines profanes dans l'expression graphique contemporaine. Qu'il s'agisse du poisson-dauphin, de la vigne, des scènes pastorales ou halieutiques (la pêche), qu'il s'agisse du modèle du philosophe enseignant ou de l'homme des muses comme nous disions dans notre première rencontre, qu'il s'agisse de scène de repas, etc., il y a une sorte d'imaginaire déjà en exercice qui se trouve alors utilisé mais ressaisi dans la lumière de la résurrection. Ne pas y prendre garde serait, d'un point de vue érudit, faire preuve de légèreté et de naïveté. Vouloir suivre simplement l'extérieur d'une thématique sans apercevoir que des éléments apparemment semblables sont ressaisis dans une nouvelle expérience, pourrait être dans certains cas la limite de la possibilité d'un travail érudit ; il peut très bien se faire que ce soit seulement notre compréhension, notre intelligence de la résurrection, qui nous permette de relire d'une façon authentiquement chrétienne ces choses. De mettre un frein à la compétence de l'érudit est très délicat. Cependant nous ne le faisons pas légèrement.

Ces différentes expressions, aussi bien graphiques que verbales, sont la présence de la Parole dans sa mise en œuvre. Il n'y a pas de didascalie (d'enseignement) qui ne soit simultanément une écoute, le dire de l'écoute n'étant autre que la mise en œuvre de la didascalie. Cependant nous ne nous comportons pas de la même manière devant ces monuments écrits ou plastiques, et devant l'Écriture. L'Écriture ne passe pas par cette histoire. L'Écriture suscite en nous une intelligence qui doit être déjà expression verbale ou plastique, ou gestuelle. Et cette expression est notre paraclèse[2], la paraclèse de notre écoute.

c) Deux questions.

Ici deux questions que nous ne faisons que soulever.

1 – Les symboles, même les symboles énoncés de l'Écriture, ne parlent que dans un ensemble culturel déterminé, très différent de notre culture. Le symbole, en tant précisément qu'il est entendu culturellement, nous l'appelons image érudite. Le symbole en tant qu'il est capable de susciter chez moi quelque chose qui est peut-être culturellement occulté mais aujourd'hui possible et donnant lieu à la poématique à venir, à la poématique neuve du christianisme, celui-là nous l'appelons symbole. Voilà une première remarque qui consiste à discerner le symbole en tant que toujours déjà culturellement perçu et le symbole chrétien.

À la mesure où la résurrection n'est pas d'essence culturelle – c'est parole de Dieu – du même coup se pose la question de son recueil : qu'est-ce qui, en l'homme, peut être suscité qui ne soit pas lié à une culture et qui, toujours cependant, s'exprimera dans une autre culture ? Existe-t-il une symbolique chrétienne fondamentale qui ne soit pas proprement culturelle ?

2 – Au cours des siècles, les âges chrétiens ont exprimé leur écoute. Et si l'on regarde la succession de ces expressions, on a une collection de choses bien diverses, bien différentes… Et d'autant plus différentes, au regard de l'historien, qu'elles sont plus authentiques. C'est ainsi par exemple que les grandes théologies, bien que déjà fortement affectées par les présupposés culturels de telle ou telle époque, peuvent cependant, dans leur naissance même, être considérées comme actes paraclétiques. Ce qui les compromettra, c'est la répétition qui en fera autre chose que la paraclèse d'une communauté.

Ce qui est en question ici, c'est bien notre attitude à l'égard du discours scripturaire, des discours des siècles chrétiens, et de la possibilité de notre discours aujourd'hui. Vous voyez très bien le chemin que nous indiquons : les différentes expressions des discours chrétiens au cours des siècles, qu'ils soient symboliques, graphiques, poétiques et hymniques, qu'ils soient théologiques, qu'ils prennent des formes diverses, sont extrêmement intéressants mais ne sont pas notre source.

Autrement dit, l'Écriture n'est pas une source d'où surgit un fleuve tel qu'il nous faudrait passer par toutes les étapes de cette histoire pour aboutir à notre discours d'aujourd'hui. Notre discours doit se susciter, d'entrée, de la nouveauté de la résurrection, de la nouveauté de la parole de l'Écriture comme parole de Dieu aujourd'hui. La connaissance latérale de ce qu'a vécu l'Église reste d'une très grande importance pour nous, à la mesure où nos frères dans le temps sont des témoins, à leur façon et pour leur temps, de la résurrection en tant que vécue, mais ils ne sont en aucune façon des modèles à copier.

Nous pensons aboutir ici à une sorte de précision sur notre attitude à l'égard de ce que l'on appelle couramment les sources de la théologie, et sur la question de savoir ce qu'est le discours théologique aujourd'hui, ce qu'est dire théologiquement aujourd'hui.



[1] Le poisson est aussi symbole de fécondité.

[2] Dans les formes du discours originel, il y a une fonction que Paul appelle paraclèse. Paraclèse est un mot très difficile ; vous ne le trouverez pas dans vos traductions, il est traduit tantôt par consolation, tantôt par intercession ou advocature (la fonction de l'avocat), mais le discours paraclétique est autre chose. Et puis la forme didascalique est une forme d'enseignement, mais qui n'a rien à voir avec ce que nous appelons aujourd'hui enseigner.

La didascalie suggère l'idée d'un enseignement écouté ; et on pourrait peut-être s'approcher provisoirement du mot paraclèse en disant "parole évocatrice". L'entendre et le parler sont le même, mais précisément en tant qu'ils ne se répètent pas comme fait la traduction ; et c'est précisément l'entendre qui me fait dire un autre mot, un mot qui est évocateur pour moi.

Mais chez nous, dans notre langage, entendre et dire désigne deux actes et deux actes successifs : j'entends puis, ayant entendu, éventuellement ensuite je dis. Pour ce qui nous concerne ici, il faut bien comprendre que nous n'envisageons pas entendre et dire comme deux actes successifs mais en ce sens que rien n'est entendu qui ne soit dit. Nous voulons dire que l'acte d'entendre est un dire.

 

 

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