Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
La christité
La christité
  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 1 094 393
Archives
13 avril 2014

Rm 1, 16-17 : Évangile, énergie, dévoilement, foi, justification, salut… Thèse fondamentale de l'épître aux Romains

Dans ces deux versets très courts sont contenus de nombreux mots importants que Jean-Marie Martin nous permet d'entendre de façon plus juste que celle de notre écoute spontanée

  • Pour lire, télécharger, imprimer, c'est ici en fichier pdf : Rm_1__16_17.

 

 

Rm 1, 16-17

Évangile, énergie, dévoilement, foi, justification, salut…

Thèse fondamentale de l'épître aux Romains

 

« 16Car je ne rougis pas de l'Évangile, en effet il est dunamis de Dieu pour "l'être-sauf" de tout croyant d'abord du Juif, et aussi du Grec, 17car la justice de Dieu se dévoile en lui de foi en foi, comme il est écrit : “Le juste, de la foi, vivra”. »

 

Nous allons lire ce passage du premier chapitre des Romains où nous trouvons de nombreux mots importants (Évangile, dunamis, apocalupsis, foi, justification, justice…) et où nous avons la thèse fondamentale de l'épître[1]. À partir du verset 18, saint Paul traite de l'entrée du péché dans le monde.

 « 16Car je ne rougis pas de l'Évangile, en effet il est dunamis de Dieu pour "l'être-sauf" de tout croyant – c'est-à-dire de tout homme qui l'entend (le reçoit) – d'abord du Juif, et aussi du Grec 17car la justice de Dieu il s'agit de "l'ajustement que Dieu apporte", c'est en ce sens qu'il faut entendre le génitif – se dévoile (apokaluptétaï) en lui (dans l'Évangile) de foi en foi, comme il est écrit : “Le juste, de la foi, vivra” (Habacuq 2, 4) . » 

 

L'Évangile, dunamis de Dieu pour le salut.

Christ, détail d'une coupole de l'AscensionAu début nous avons le mot évangélion. C'est le mot le plus originel pour dire la chose du Christ. L'Évangile est apparemment une annonce, et même une belle annonce (ev-angélion), mais le mot évangile désigne à la fois la chose annoncée et l'annonce de la chose. C'est un mot fondamental. Il a sa source dans l'Ancien Testament : c'est le mot hébreu "mevaser tov" qui désigne le messager qui apporte la bonne nouvelle de la victoire[2].

Pour nous une annonce n'est pas une énergie. Et pourtant la belle annonce est une dunamis (une énergie). Que dit-elle ?  Elle dit : « Jésus est mort et ressuscité pour nous » et elle ne dit rien d'autre. Comment une annonce de ce genre, du fait d'être entendue, peut-elle être "salut" (mais que veut dire salut ?) pour l'homme qui la reçoit, qui l'entend ?

Il faut savoir que, non content de désigner la parole qui annonce, le même mot Évangile désigne l'événement même qui est annoncé. Et cet événement qui est pour nous un avènement de parole, n'est pas simplement une parole qui annonce, ce n'est pas une parole qui disserte, ce n'est pas une parole qui commande, c'est une parole qui agit, qui fait ce qu'elle dit. Le dire est un montrer – c'est l'origine du mot deiknumi en grec, dicere en latin, dire en français – un donner à voir. C'est à la fois donner que cela vienne et que du même coup cela se voie.

Autrement dit la parole d'Évangile est une parole active, sauf qu'elle nous arrive d'abord "désactivée", c'est un mot de Paul ; littéralement c'est "désœuvrée". Effectivement chez nous la parole est quelque chose qui commente plutôt que quelque chose qui fonde ou qui agit. Or la parole de l'Évangile "opère" ce qu'elle dit. Opérer est un terme pertinent si je l'entends dans son origine, puisque le mot  "œuvre" vient du latin opus : d’où œuvrer. C'est un mot assez peu usité aujourd'hui dans ce sens, sauf à propos de "l'opération chirurgicale", ou chez les chrétiens à propos de la mystérieuse "opération du Saint Esprit". Œuvrer demande aussi à être pensé, ce n'est pas fabriquer, œuvrer c'est donner.

D'ailleurs les verbes essentiels du Nouveau Testament sont subordonnés à cette idée de donation, et de donation gratuite. Le terme charis (kharis) qu'on traduit par grâce, qui désigne ce qui est gracieux au double sens de aimable et de gratuit, est très fréquent chez Paul, et le verbe didômi (je donne) est un verbe majeur de l'évangile de Jean qui désigne la même chose.

Pour avancer encore dans cette direction : cette parole œuvre ce qu'elle dit, c'est-à-dire qu'elle œuvre pour ce qui est appelé dans notre phrase "le salut". C'est aussi un mot très fatigué, mais le salut signifie le sain par rapport à ce qui est malade, ou l'éveil par rapport à ce qui dort, ou la résurrection par rapport à ce qui est mort. « Jésus est mort et ressuscité.».

 

Une dunamis pour le salut de tout homme qui "croit".

Croire est un mot que Jean commente par les verbes lambaneïn (recevoir) et akoueïn (entendre) : comme c'est une nouvelle, cela nous vient par l'oreille, mais nous recevons, par là, celui qui vient. Venir et recevoir, c'est la structure de base.Bien sûr l'Évangile vient par une parole pour autant qu'il est entendu.

L'Évangile a été reçu à l'âge apostolique dans une expérience qui est celle de l'énergeïa divine, de la mise en œuvre de ce que Jean appellera (en le mettant dans la bouche du Christ) "mon œuvre". Il ne faut pas oublier que énergeïa est de la même racine que ergon (œuvre). Or dans notre Nouveau Testament il n'y a pas la distinction qui nous est si familière entre le champ de la parole d'une part, et le champ de l'activité d'autre part. La distinction entre théorie et pratique est tout à fait étrangère au Nouveau Testament, alors qu'elle est totalement structurante de notre Occident. La distinction entre le cognitif et l'appétitif (ou l'affectif) est une distinction qui perdure, qui est fondamentale, qui est assez insurmontable pour un occidental.

Or ici il s'agit de l'évangélion qui est une parole œuvrante. Ce n'est pas une parole qui enseigne sur la façon de se sauver, c'est une parole qui, d'être entendue, sauve. C'est une parole qui annonce l'éveil c'est-à-dire la Résurrection du Christ, mais pour autant que j'acquiesce à cette parole, j'en suis du même coup éveillé moi-même. C'est une parole donnante, œuvrante. L'Évangile est une parole qui, d'être entendue, ressuscite, me ressuscite maintenant.

 

De foi en foi.

► Paul dit « de foi en foi ». Tu nous as dit que la foi est le recueil de la résurrection. Est-ce que ça veut dire que notre foi va aller de différents recueils en différents recueils ?

J-M M : Absolument. Voilà une idée très importante, c'est très bien de me fournir l'occasion d'en parler. Je dis souvent qu'il faut toujours penser la situation de l'homme à partir des questions «Qui règne ? Quelle est la qualité de l'espace  dans lequel nous sommes ? » Nous savons qu'il y a deux espaces, deux royaumes (celui du Christ-Roi et l'autre) qui correspondent à l'opposition de la chair et du pneuma, et tout le problème est de savoir quel espace nous est ultimement réservé. Les noms majeurs se réfèrent à ces deux espaces et pas d'abord à des individus. Pour l'espace qui vient, celui du pneuma, on connaît les noms : il y a agapê qui est une qualité d'espace, il y a joie. On peut nommer cet espace : espace de résurrection.

Mais cela peut être catastrophique à entendre si on le pense comme une caractérisation définitive. En réalité on ne cesse à certains égards d'appartenir à l'un et à l'autre, on ne cesse de passer. Comme ils sont contraires, on ne peut en fait appartenir à l'un et à l'autre, et cependant ce que nous appelons un sujet est susceptible d'être lu comme appartenant à l'un et à l'autre. Autrement dit le sujet n'est jamais caractérisé de manière définitive, sinon dans le mouvement : "de foi en foi". Et Paul peut dire soit aux Romains soit aux Corinthiens : « Vous, vous êtes spirituels maintenant, vous appartenez à la région du pneuma » ; mais il peut leur dire aussi : « Vous êtes charnels, vous n'y comprenez rien », et il dit cela aux mêmes. Ce sont des extrêmes, mais ceci réclame de notre part une grande attention. C'est tout le problème créé par la différence qui existe entre le texte et notre oreille. Nous entendons tout cela en posant un individu comme sujet radical, un individu clos sur quoi s'appuie la phrase, mais la phrase de Paul n'est jamais appuyée sur "je" ; autrement dit les "je" de Paul sont des "je" fluides. Les pronoms personnels sont fluides. Quand Paul veut parler d'Adam, il dit parfois "je", parfois "il", ou bien encore "ils" au pluriel ; et aussi au chapitre 7 il étudie de très près une chose très difficile à entendre pour notre mentalité psychologique, et qu'on risque d'entendre mal, c'est la distinction des deux "je" : le "je" qui veut et le "je" qui fait.

Les textes de Paul, pas plus que ceux de Jean, ne sont répartiteurs entre des sujets. Le conflit, car c'est un conflit, c'est celui qui sans doute existe en quiconque, du christique et de l'antinomique du christique, du christique et de la mort. C'est de cela que Paul parle : il ne recense pas ceux qui sont d'un côté et ceux qui sont de l'autre, ce qui est très difficile à voir parce  qu'il ne prend pas soin de le dire. La difficulté est dans notre oreille, car notre culture pose comme soubassement le sujet, le "je". Ce n'est pas le cas chez Paul. Et c'est pourquoi, indirectement, je parle de moi quand je dis que « Il (le Christ) est ressuscité ». Les choses les plus urgentes, dans la foi, on a l'air de les dire sur le mode du "il" : il est arrivé quelque chose à quelqu'un ce jour. Mais le "il" du « il est ressuscité » est plus intime à moi que les "je" que je prononce toute la journée. Vous voyez cela ? Plus que saint Jean, saint Paul est, à ce niveau-là, un lieu excellent pour patiemment dénouer les nœuds qui nous constituent, non pas du tout que nous allions habiter un autre espace de langage. D'où l'importance d'entendre que le conflit, dans nos textes, n'est pas entre un individu et un autre qui est en opposition, mais entre deux princes à l'intérieur d'un individu[3].

 

De qui Paul parle-t-il ?

► À qui Paul s'adresse-t-il ?

J-M M : Au verset 16 Paul parle des Grecs et des Juifs. Il le fait pour deux raisons : d'abord il aborde une communauté où se trouvent des Juifs et des Grecs, même s'il y a une accentuation sur le Grec puisqu'au verset 14 il a déjà parlé des Grecs et des barbares.

Un mot très important pour les caractériser se trouve au verset 22 : « prétendant être sages, ils sont devenus fous ». Vous savez que c'est une distinction sur laquelle Paul joue à peu près la même manière dans un autre endroit : « La sagesse de Dieu est plus sage que la sagesse des hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que la force des hommes. » (1 Cor 1, 25). Voilà un fonctionnement de ces antithèses qui appartient à Paul. Pour le moment nous ne le faisons pas fonctionner dans notre texte. Mais la notion de sophos (sage) va nous aider à caractériser de qui il s'agit. En effet dans les versets qui précèdent, Paul dit : « 14Je me dois aux Grecs et aux barbares, aux sages et aux insensés. » Donc Grecs et sages, c'est la même chose. Autrement dit ce qui caractérise le mode grec et ce qui en découle, c'est le sophos, c'est la philosophie. Qu'il soit question de cela est suffisamment marqué dans le fait qu'il est dit plus loin que « ils s'évanouissent dans leurs dialogismes » (v. 21), c'est-à-dire dans leurs raisonnements. Ce qui est visé ici, c'est le statut des hommes pensé à partir du Grec. Et c'est très important pour nous parce que nous sommes issus du Grec : l'Occident est grec d'origine. Ce n'est pas seulement Heidegger qui dit cela, c'est saint Paul. Il y a donc une prétendue sagesse qui se tourne en état d'être insensée, ou qui est dénoncée comme relevant de l'insensé.

Ce qui est très intéressant, cependant, c'est que cela ne concerne pas uniquement les Grecs, cela désigne tous les hommes. Et, comme le dit Paul, la justification est pour tous, Juifs et Grecs, car tous en ont besoin. C'est là la thèse générale de cette lettre aux Romains qui est construite de façon plus systématique et plus proche d'une thèse que d'autres épîtres : les nations et les Juifs ont besoin de la justification par la foi.

 

Justification, juste... ajustement…

► Comment peut-on entendre le mot de justice quand il concerne Dieu ?

J-M M : Le mot qu'on traduit par justice est dikaiosunê. C'est un mot qui est synonyme de salut et que je traduis par "ajustement". De même, ce qui est en général traduit par le mot "justifié", je préfère le traduire par "ajusté".

En effet, dikaios (le juste) est presque la même chose que sophos (le sage), parce que le sage chez les Anciens, c'est celui qui est pertinent, celui qui s'y prend bien par rapport à la chose. Donc le "juste" c'est ce qui est ajusté à cette chose. Dikaios et sophos sont des maîtres-mots des présocratiques. Je ne dis pas qu'ils ont exactement le sens présocratique dans notre texte, car ils ont des équivalents bibliques également.

Les mots justice, justification, nous mettent d'emblée dans un contexte éthique de justice. Or le Nouveau Testament est l'annonce d'une parole qui n'est pas une parole éthique. Le mot ajustement ne résout pas tout parce qu'il risque de nous mettre dans un concept analogique. Par ailleurs l'expression : "être justifié aux yeux de quelqu'un", c'est-à-dire être à l'aise sous son regard, est une expression juridique qui indiquerait pour nous plutôt quelque chose d'ordre psychologique. Et enfin dire "ajustement" peut nous mettre dans un contexte d'ordre logique ou métaphysique. Or ce n'est rien de tout cela parce que les mots du Nouveau Testament ne parlent pas à partir de la métaphysique ni de la psychologie.

Par ailleurs il est bien certain que ce que vous appelez une injustice rentre dans les multiples désajustements : le mensonge est un désajustement, le meurtre est un désajustement de ce qui est fait pour vivre ensemble, et il y a d'autres désajustements qui sont évoqués dans le texte.

Et c'est parce que Paul donne tout son poids à une expression que nous avons lue rapidement, à savoir que l'Évangile est le dévoilement, c'est-à-dire la venue à jour et à accomplissement, de l'ajustement de Dieu, que ressort d'autant plus le désajustement dans lequel sont les hommes.

 

La thèse générale de l'épître.

« Le juste vivra de la foi » : être ajusté, entendre (croire), vivre, voilà trois mots qui disent la même chose, ce sont trois dénominations de la même réalité. Être ajusté, l'ajustement, vient de Dieu par une parole qui sauve : entendre, c'est être accompli, ajusté. Quelle est cette parole telle que c'est de l'entendre qui ajuste, qui justifie et qui donne de vivre ? Ce n'est pas une parole de loi. En effet une parole de loi ne donne pas de vivre, ne justifie pas, elle dit ce qu'il faut faire.

Ce qui rend sauf, ajusté, c'est d'entendre. C'est là le thème essentiel de l'épître aux Romains. Il ne faut pas oublier que Paul annonce l'Évangile dont l'écoute suffit. La parole d'Évangile n'est pas une parole qui dit ce qu'il faut faire pour que je sois sauvé, la parole d'Évangile sauve.

Dans ces deux versets nous avons donc trouvé des mots fondamentaux dont il faut bien voir la configuration, comment ils se tiennent ensemble. Nous n'avons pas parlé du dévoilement (apocalupsis) qu'on trouve dans : « l'ajustement de Dieu se dévoile (apokaluptétaï)en lui (dans l'Évangile.) »  En général Paul considère la relation mustêrion / apocalupsis[4], mais ici le mot est employé sans que le rapport soit explicite. Par ailleurs il faudrait lire la suite où un autre dévoilement est mentionné : « 18En effet, la colère de Dieu se dévoile du haut du ciel sur toute impiété et tout désajustement des hommes… »



[1] La lecture du verset 16 vient du cycle sur "L'Énergie" qui a eu lieu en 2011-2012 au Forum 104. Il a déjà fait l'objet du message La parole de Dieu est une parole œuvrante (Rm 1, 16) qui nous arrive désœuvrée (Rm 7 et Gn 3). Le reste vient d'autres interventions de J-M Martin. La lecture des versets 18-21 fera l'objet d'un autre message.

[2] L'expression mesaver tov est dans plusieurs passages. « Celui qui m'a annoncé la mort de Saül croyait être porteur d'une bonne nouvelle, et je l'ai saisi et exécuté à Ciqlag, pour le payer de sa bonne nouvelle..»  (2 Samuel 4, 10) ; « Qu'ils sont beaux, sur les montagnes, les pas du porteur de bonnes nouvelles, qui proclame la paix, qui annonce de bonnes nouvelles qui proclame le salut, qui dit à Sion: "ton Dieu règne." » (Is 52, 7). Et aussi :  « L'Esprit du Seigneur YHWH est sur moi, le Seigneur en effet a fait de moi un messie, il m'a envoyé porter de bonnes nouvelles aux pauvres, panser les cœurs meurtris, annoncer aux captifs la libération et aux prisonniers la délivrance, proclamer une année de grâce de la part de YHWH... » (Is 61, 1-2).

Commentaires