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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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20 juin 2016

La Fraternité selon saint Jean lu par Jean-Marie Martin, exposé pour le Forum Terre du ciel 2016

Voici un exposé qui est le fruit d’un travail collectif pour le rassemblement organisé par l’association « Terre du Ciel » aux Karellis près de St Jean de Maurienne du 5 au 8 mai 2016. Yvon le Mince, un ami de J-M Martin (cf Témoignage d'Yvon le Mince par rapport à J-M Martin) participait à ce rassemblement.

Yvon le Mince propose trois soirées sur ce thème en 2017 : Avec Yvon LE MINCE, La Fraternité selon st Jean d'après enseignt J-M Martin, les 18/01, 22/02, 22/03 au Forum 104, 20h-22h.

 

La Fraternité selon l'évangile et la 1ère lettre de Jean

lus par Jean-Marie Martin

 

Forum Terre du ciel, Karellis, mai 2016Le premier conseil que m’avait donné un maître indien du Shivaïsme du Cachemire quand je m’étais rendu pour la première fois à sa liturgie était tout simple ; il s’est cependant révélé très efficace : « Asseyez-vous tranquillement, peut-être en retirerez-vous quelque bénéfice ». Le Père de Jésus, qui ne s’exprime – et très brièvement - que trois fois, donne un conseil tout aussi simple mais, lui aussi, bien précieux : « Ecoutez-le ».

Au baptême, il annonce : « Tu es mon Fils Bien-aimé » (Marc 1/10). A la Transfiguration, même annonce, mais suivie d’un conseil : « Ecoutez-le » (Marc 9/7). La Transfiguration est l’icône et l’annonce de la Résurrection. Cela signifie que notre Résurrection commence par l’écoute. Il n’est peut-être pas superflu de rappeler que, pour un disciple de Jésus, tout ne commence pas avec la création, mais avec la Résurrection. Ce qui est premier en ordre d’importance peut se retrouver second en ordre historique : ainsi Jésus qui vient, historiquement, après Jean le Baptiseur, passe devant lui, parce que, en profondeur, il existe avant lui. D’où la remarque énigmatique : « Derrière moi vient un homme qui est passé devant moi parce qu’avant moi il était » (Jean 1/30). Notre commencement est après nous.

Donc, ça ressuscite par l’écoute. Il y a nécessité absolue et fondatrice d’une fraternité de l’oreille. Entre autres, mon écoute est bonne si je ne prétends pas connaître à l’avance ce dont il va être question, surtout s’il s’agit d’un texte inspiré. Et, si l’Evangile ne me paraît pas étrange, c’est que je suis totalement passé à côté de lui. Je n’y trouve plus que ce que j’en crois savoir ou ce que j’en ai compris à l’âge de 8 ans. Or l’Evangile est un livre pour adultes. Par ailleurs, il n’est pas un traité religieux clair et détaillé, une sorte de catéchisme. Il n’expose pas d’abord une doctrine, une loi, une morale. Ce n’est même pas une œuvre de théologie mystique. Il ne prétend pas non plus exposer une magnifique synthèse intégrale de la vie humaine. Il est un ouvreur d’espace, d’un nouvel espace, où l’on rencontre quelqu’un sur qui on flashe ou pas. Une sorte d’espace relationnel. C’est une porte. Or Jésus a dit « Je suis la porte ». C'est-à-dire que, lorsqu’on est à la porte, on est dedans. Reposant !

L’Evangile est un terrain qui nous est moins connu que nous ne le pensons. Il s’agit donc d’y dire  « tu » non seulement à du (trop ou mal) connu mais à de l’insu, de l’insu de nous-mêmes et du Divin. D’ailleurs, Jésus révèle et dissimule à la fois. En lui, comme dans le Tao, Dieu tamise sa lumière. Il y a, par exemple, l’insu des paraboles ou d’énigmes du genre : « Mon Père et moi nous sommes un » (Jean 10/30). On en fait souvent une lecture tranquillisante en n’intégrant que sa seconde partie ; la déclaration n’exprimerait alors que l’unité : « Nous sommes Un ». Or elle dit aussi la dualité : « Mon Père ET moi ». Paradoxe qui permet d’approcher de Dieu… sans nous faciliter la tâche. On court toujours le risque d’une écoute sélective.

En somme, l’Evangile ne va pas de soi.

 

Venons-en à la phrase de Jésus qui nous intéresse tout particulièrement : « Aimez-vous les uns les autres ». Ce n’est pas une nouveauté radicale : la recommandation existe dès l’Ancien Testament « Aimez votre prochain comme vous-même » (Lévitique 19/28). Mais elle s’y trouve comme un conseil parmi tant d’autres. Jésus, lui, en fait une pierre angulaire de son enseignement. On voit des gens venir à lui pour une demande qui est demande de mise en ordre, de hiérarchisation : « Quel est le PREMIER commandement ? » Réponse : Aimer Dieu –  Aimer les autres. C’est pareil.

Progressons maintenant dans la découverte de l’amour fraternel selon Jésus. Ecoutons la phrase entière. On la trouve dans l’Evangile de Jean : « Aimez-vous les uns les autres, COMME JE VOUS AI AIMÉS » (Jean 13/34), et non plus « comme vous vous aimez vous-même » (Lévitique). C’est-à-dire aimez dans le même don total que moi à la totalité de l’humanité, à l’accomplissement de son évolution. La fraternité n’est pas seulement un code de bonne entente permettant la vie – ou la survie – d’une société. Ce n’est pas non plus un amour conditionné, qui se déclencherait ou non en fonction de la personnalité d’un interlocuteur plus ou moins sympathique. Ce n’est pas un amour dépendant mais libre, spontané et gratuit. Un amour-source. C’est un amour jaillissant, initial et initiateur d’amour : « Il nous a aimés le premier » (1ère lettre de Jean 4/19). Autrement dit, notre ensemencement initial est une amorisation initiale. L’amour qui atteint et que transmet le disciple de Jésus est « premier » au sens où il est le commencement d’où nous surgissons. « Au commencement était le Verbe » signifie : « Au commencement était la relation ». Pas de parole sans quelqu’un qui la prononce et auquel elle conduit. Pas de parole sans relation. Nous pouvons nous glisser dans cette relation et nous y imprégner d’un amour absolu, inconditionnel, sans « pourquoi » et sans « parce que ». On aime et puis c’est tout. L’amour est à lui-même sa propre motivation, par-delà toute autre motivation, y compris celle de changer le monde. Cela n’exclut pas d’autres bonnes raisons de se donner, bien sûr. Mais elles ne sont pas l’essentiel.

Dans la christianité, la fraternité humaine a donc sa source en Jésus. Mais avançons encore. Elle est présence en nous et parmi nous du Divin tel que le vit Jésus : un Divin communautaire, relationnel, trinitaire. Il y a une centaine d’années, un professeur du séminaire de St Brieuc concluait ainsi son cours sur la Trinité : « Vous savez, la Trinité c’est très simple : le Père aime le Fils, le Fils aime le Père et le St Esprit dit AH ! (soupir amoureux)». L’amour n’est pas une qualité ou un attribut de Dieu. Autrement dit, Dieu n’est pas Quelqu’un qui aime, mais Quelques-uns qui s’aiment et qui existent par cette relation. Dieu est interrelationnel. Pour aimer, il faut être deux. Dit autrement « pour être un, il faut être deux ». Le troisième est la relation elle-même. Aimer n’est pas une vertu, c’est la circulation de la vie même de Dieu dans les artères de l’humanité.

Au fond, qu’est-ce qu’une société dont le tissu relationnel fonctionne ? C’est Dieu qui a fait ses bagages et s’est mis à voyager. Il s’est inséré dans la matière et dans le temps où il est en route vers du lien de plus en plus solidement tissé. L’élan de la vie, c’est Dieu en train d’émerger dans les articulations chaleureuses du monde. « Tout ce qui monte converge » (Teilhard de Chardin) ou « Tout ce qui converge monte » ? C’est ainsi que l’entraîneur d’un club de foot ayant introduit plus de communication entre les membres de son équipe a ensuite obtenu de meilleurs résultats. La fraternité christique est le déploiement de Dieu. La vie est-elle aventure de la conscience ou aventure de la relation ? L’homme est à l’image de Dieu parce qu’il est relation, comme Dieu l’est dans l’Esprit Saint. À noter que si Dieu sauve l’homme, il sauve aussi ses relations.

Une récente enquête, auprès de 5700 personnes, de la mouvance « Nouvelle Conscience » montre l’individu comme être de relation. À l’image de Dieu. Serait-il possible d’affiner la description de cette relation ? Celle-ci est-elle D’ABORD de type nuptial ? amical ? fraternel ? de serviteur ? En fait, elle est d’ordre filial.

La parole inaugurale de la vie publique de Jésus est aussi notre parole inaugurale, celle qui est à notre commencement « Tu es mon Fils bien-aimé». Parole qui synthétise le cœur d’une identité possible : Elle nous convie à un commencement (Résurrection) identitaire : « Tu es ». Cette identité est filiale : « mon Fils ». Et elle résulte d’une relation aimante : « Bien aimé ». Ce n’est pas un  précepte. C’est une affirmation, une constatation, une possibilité offerte. C’est une annonce, un évènement et un avènement : Dieu est en train de venir ; Dieu vient. Aimez-vous n’est pas d’abord précepte mais prolongement d’une annonce. Et cette annonce de filialisation, elle s’adresse à Jésus et à toute l’humanité. L’humanité toute entière est le Fils. Quand le Père prend la parole, c’est la seule chose qu’il dit de Jésus et de nous. Autre annonce : « Il nous a aimés le premier » (1ère lettre de Jean 4 /19).

La question de l’unité humaine dans saint Jean ne se pose pas en termes d’un et de multiple, mais plutôt en termes de rassemblement et de dispersion. Nous sommes nativement dans l’espace de la mort et du meurtre. Et le premier meurtre de la Bible relève de la fraternité : le fratricide de Caïn contre Abel.

Construire l’humain, c’est construire le Fils, c’est semer du fraternel dans des hommes nés d’un même Père. Si Dieu est un vivre ensemble, si le monde est à son image, il ne peut être qu’un vivre ensemble, un tissu d’harmonie relationnelle. Une fraternité est profondément humaine si elle est divine et une terre qui fonctionne ne peut être qu’une « terre du ciel ».

 

 

Terre du ciel

Pour avoir des informations sur "Oser la fraternité" : http://www.oser-la-fraternite.org/index.html

 

 

 

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