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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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16 octobre 2014

Jn 5, 24-29. Passer de l'espace de mort et de jugement à l'espace de vie

Pendant trois ans, au cours de rencontres bimensuelles, Jean-Marie Martin a médité sur le thème de "La Vie éternelle chez saint Jean" en lisant toutes les occurrences de l'expression "vie éternelle". Comme cette expression se trouve en Jn 5, 24, ce verset a été abordé. Voici un extrait de ce que J-M Martin a dit[1] La première partie porte sur ce verset 24. Plusieurs termes sont précisés : entendre, croire, vie et mort, vie éternelle... Le thème du jugement qui est d'une grande complexité est ensuite abordé. Comme souvent il a été question des deux espaces : l'espace de mort et de jugement, et l'espace de vie et de non-jugement. En deuxième partie le texte a été commenté versets après versets.

 

Jn 5, 24-29

Passer de l'espace de mort et de jugement à l'espace de vie

 

 

 

La Résurrection du Hortus Deliciarum« 24En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit en celui qui m'a envoyé, a la vie éternelle; il ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie. 25En vérité, en vérité, je vous le dis, l'heure vient et maintenant elle est là où les morts entendront la voix du Fils de Dieu et ceux qui l'auront entendue vivront. 26En effet, comme le Père possède la vie en lui-même, ainsi a-t-il donné au Fils de posséder la vie en lui-même; 27il lui a donné le pouvoir d'exercer le jugement parce qu'il est le Fils de l'homme. 28Que tout ceci ne vous étonne plus! L'heure vient où tous ceux qui gisent dans les tombeaux entendront sa voix, 29et ceux qui auront fait le bien en sortiront pour la résurrection qui mène à la vie; ceux qui auront pratiqué le mal, pour la résurrection qui mène au jugement. 30Moi, je ne puis rien faire de moi-même : je juge selon ce que j'entends et mon jugement est juste parce que je ne cherche pas ma propre volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé.» (TOB).

 

1°) Le verset 24.

« Amen, amen je vous dis : qui entend ma parole et croit en celui qui m'a envoyé a la vie éternelle, il ne vient pas vers le jugement, mais il a été transféré de la mort à la vie. »

Entendre est le premier mot : « celui qui entend ma parole ».

Croire vient ensuite : « celui qui entend… et croit… », mais nous avons ici une hendiadys, c'est-à-dire deux mots pour une seule chose[2] : entendre et croire sont une seule chose. Le mot "croire" s'entend en premier à partir du verbe "entendre".

« Il ne vient pas vers le jugement. » Nous lisons dans plusieurs endroits chez saint Jean : « celui qui croit ne vient pas en jugement »[3], et pour lui il n'y a pas d'autre péché que la surdité, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'autre péché que de ne pas entendre. Il faut que nous fassions un certain effort pour bien apercevoir cela.

« Il a été transféré de la mort à la vie » : c'est entendre qui ouvre l'espace de vie, et ne pas entendre me laisse dans l'espace de mort. Mais il faut bien percevoir que le mot de mort ici désigne ce que nous appelons couramment la vie, c'est-à-dire la vie mortelle. C'est donc un transfert de région à région, c'est-à-dire de régime à régime, ou encore de qualité d'atmosphère à qualité d'atmosphère[4].

Cette expression « transféré de la mort à la vie » se trouve ici et se retrouve une seconde fois chez saint Jean : « nous avons été transférés de la mort à la vie » (1 Jn 3, 14), et elle a des équivalents chez saint Paul. C'est très important pour caractériser la signification du mot de mort. En effet ce mot a un grand nombre de significations, et il faut à chaque fois l'entendre dans le tenant de la phrase à laquelle il appartient.

« Celui qui croit… a la vie éternelle », c'est quelque chose qui est répété de très nombreuses fois chez saint Jean. A propos de vie, le verbe qui vient le plus souvent est le verbe avoir : l'expression « avoir la vie » représente presque la moitié des expressions où figure le mot vie chez saint Jean. Que signifie ce "avoir" ? Et c'est assez étrange parce qu'en hébreu il n'y a pas d'équivalent du verbe avoir : au lieu de dire « il a une chose », on dit « une chose est à lui ». Mais le concept d'avoir est celui qui fait la place pour le concept de don, ce que ne fait pas le verbe être : avoir, c'est avoir-à-être, c'est recevoir. Dans nos Écritures il n'est de vie que donnée. La vie est ce qui ne se perçoit que dans l'espace du don, d'abord dans celui de la naissance, mais aussi l'espace du don multiple de l'entretien de la vie, autrement dit de la nourriture : « Donne-nous notre pain de ce jour ». La symbolique de la nourriture est fondée sur cela. Cela veut dire que la parole qui est à entendre est une parole qui donne vie, c'est une parole qui donne et entretient la vie. La parole de la vie, c'est le vrai pain de la vie[5].

Entendre.

écoute, crèche félixDans notre langage usuel il faut d'abord vivre pour entendre. Ici, entendre donne de vivre. Une phrase comme celle-là peut être une jolie provocation à penser. Ce n'est pas une coquetterie de langage. Qu'est-ce qui est impliqué par ce retournement ? C'est-à-dire, à quelles conditions puis-je entendre une phrase comme celle-là : qu'est-ce qu'elle détruit de présupposés dans ma façon usuelle d'entendre, à quelles conditions seulement peut-elle avoir sens ? C'est un questionnement qu'il faut porter avec soi. Vous seriez très étonnés de voir que cette chose-là est beaucoup moins paradoxale qu'il n'y paraît.

► Qu'est-ce qu'entendre ?

J-M M : Entendre est un des noms de la foi, c'est ce qui révèle ou réveille en celui qui entend la possibilité d'avoir en vue ; le voir qui est encore d'une certaine manière, distant, s'accomplit dans la présence.

Je fais allusion ici au début de la première lettre de Jean : « ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux… et que nos mains ont touché au sujet de la parole de la vie ». Entendre, voir et toucher, ça désigne la même réalité de foi, mais selon des modalités un processus qui fait que ça n'est pas un énoncé hasardeux. Entendre donne de voir, car sans entendre nous ne voyons rien. Et voir donne une perspective par laquelle s'ouvre l'idée d'une traversée, mais aussi l'idée d'une distance. Et le troisième terme est un terme de proximité : ici c'est toucher, mais ça peut être manger qui est l'extrême de la proximité. Nous avons des articulations ici sur ce qui suscite et entretient la vie[6].

Bien sûr de façon très élémentaire, de la façon la plus extérieure, entendre signifie acquiescer : l'entendre est accompli dans l'acquiescement.

Et entendre c'est dire ; ça aussi c'est une chose très importante : je n'entends rien que je ne parle. Et c'est très intéressant parce que, du simple fait d'entendre, je dis quelque chose, que je l'ébruite ou non. Il peut y avoir du reste une distance entre ce que je dis et ce qui est dit : c'est le malentendu (ou la méprise). Nous avons souvent réfléchi sur le malentendu, et sur la signification positive du malentendu, c'est-à-dire que le malentendu n'est pas purement négatif[7].

À quel moment s'accomplit pleinement l'entendre ? Nous n'en savons rien d'une certaine manière.

On dit que sont saufs ceux qui disent « Jésus est ressuscité », et que les autres restent dans l'espace de la mort. Mais il est très évident que ce n'est pas l'ébruitement d'une formule de ce genre qui est en cause ici. Ce qui est en cause est quelque chose qu'il ne nous est pas loisible de décrire, et encore moins de prétendre reconnaître ici ou là. Si c'est une parole qui ouvre l'espace de la vie, alors peut-être celui qui appréhende de quelque manière que la vie est plus forte que la mort, et qui, dans son comportement, fait œuvre de vie plus qu'œuvre de mort, celui-là peut-être entend cette parole. Mais cela, je n'en sais rien, et je ne peux surtout pas lui dire qu'il l'entend. C'est lui qui sait, mais peut-être même ne sait-il pas, car justement il y a un délai entre le malentendu et la connaissance reconnue. De toute façon le malentendu est structurellement constitutif de l'Évangile. Saint Jean est celui qui insiste le plus sur ce point.

Mais finalement, qu'est-ce qu'entendre ? Entendre, au fond, c'est probablement accueillir l'inentendu. La racine de l'entendre c'est accueillir l'inouï, c'est-à-dire ne pas décider que ce qui est, est entouré et embrassé de façon décisive par moi-même. C'est laisser ouvert.

Entendre, c'est peut-être cela : laisser ouvert. C'est donc la capacité d'entendre sans juger. C'est ici qu'intervient le thème du jugement.

Le thème du jugement.

C'est le même espace qui est appelé espace de la mort et l'espace du jugement : juger ouvre l'espace de la mort. C'est une chose difficile à entendre, à plusieurs égards, et cependant c'est un point de repère absolument nécessaire pour percevoir l'enchaînement de ce que dit saint Jean. C'est dit d'une autre façon dans les synoptiques : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés » (Mt 7, 1 et parallèles). On a tendance à entendre cela bravement : si j'ai la gentillesse de ne pas juger, alors en récompense, plus tard, Dieu promet il ne me jugera pas. Mais ce n'est pas ça !

Il faut bien comprendre que j'appartiens à un espace dans lequel je suis jugé du fait que je juge, et que je juge du fait que je suis jugé : c'est l'espace du jugement.

L'espace de la parole de vie n'est pas un espace de jugement, mais du fait que la parole de vie est posée, pour autant que je ne l'entends pas, je suis jugé, c'est-à-dire que je reste dans l'espace du jugement. Et c'est explicitement ce que Jésus dit au chapitre 12 : « je ne juge personne, c'est ma parole qui juge »[8]. Vous me direz qu'il est la parole. Oui, mais ici il s'agit de la parole en tant que non-entendue. Autrement dit, pour autant que la parole qui ouvre n'est pas entendue, je reste dans l'espace de jugement.

 

2°) Lecture des versets 24- 29.

« Amen, amen je vous dis : qui entend ma parole et croit en celui qui m'a envoyé a la vie éternelle, il ne vient pas vers le jugement, mais il a été transféré de la mort à la vie. »

Il y a l'espace de mort et de meurtre, et il y a l'espace de vie et de paix : être « transféré de la mort à la vie » c'est passer du premier au second. Ce passage est accompli en nous, mais il n'est pas pleinement accompli, selon ce que dit saint Jean : « la ténèbre est en train de passer et la lumière véridique déjà luit » (1 Jn 2, 8), ténèbre et lumière étant chez Jean des caractéristiques respectives des deux espaces.

« Celui qui entend… et croit… a la vie éternelle » éternelle signifie « qui se réfère à l'espace qui vient » par opposition au temps de ce monde-ci qui est un temps mortel et meurtrier.

Et ici "avoir la vie" c'est ne pas venir en jugement, c'est-à-dire ne pas être dans l'espace de jugement.

« 25Amen, amen je vous dis : l'heure vient, et c'est maintenantl'heure, c'est ce qui vient, c'est-à-dire que le maintenant est construit par l'a-venir. Mon mode d'être maintenant, c'est d'être ouvert à l'a-venir, à ce qui vient. Ce que je dis là n'est pas suffisant, mais nous savons que les trois extases du passé, du présent et de l'avenir ont besoin d'être repensées soigneusement par rapport à l'usage que nous en faisons, et par rapport aux représentations que nous avons de la temporalité. Pour l'instant je ne dis rien de plus – où les morts entendront le verbe ici est au futur mais la pensée sous-jacente est une pensée qui s'appuie sur l'hébreu où il n'y a pas de temps mais des aspects, l'accompli et l'inaccompli, il faudrait donc traduire par « les morts commencent à entendre » – la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'auront entendue vivront.26 En effet, de même que le Père a la vie en lui, de même aussi il a donné au Fils d'avoir vie en lui. » Le Père a donné au Fils d'avoir la vie, c'est ce qui est dit dès le deuxième verset de l'évangile de Jean : « Dans l'arkhê était le logos (la parole), et le logos était Dieu… Ce qui fut en lui était vie ». Le Fils a la vie, quelle vie : la sienne, la nôtre ? Il est intéressant de penser que le cœur de l'Évangile c'est de dire « il », par exemple « il est ressuscité ». Pourquoi l'essentiel de ce qui nous concerne est-il en langage de "il" ?

► Ici « le Père donne au Fils d'avoir vie en lui ». Est-ce que ça rejoint ce que tu disais quand tu rapprochais les verbes avoir et donner ?

J-M M : Le verbe donner est l'un des verbes majeurs chez saint Jean Et tout ceci est à méditer, car l'expression « donner la vie » est une expression qui se trouve aussi à plusieurs reprises chez saint Jean, moins fréquemment que « avoir la vie ». Si l'essence de la vie c'est donner, cela signifie qu'avoir c'est recevoir, mais recevoir suppose qu'il y a de la place pour recevoir, donc suppose le vide. C'est le rapport de la kénose et du plérôme, de la vacuité et de la plénitude. Tout donner authentique est un abandonner de moi-même qui me permet de me recevoir de moi-même.

Dans quelle mesure donner c'est perdre, et dans quelle mesure perdre c'est retrouver, voilà quelque chose qu'il faudrait prendre bien en compte. Il y a des textes pour méditer cela dans notre évangile de Jean. Chez Paul lui-même, en Ph 2, la condition pour que le Christ reçoive le don du Nom, c'est-à-dire de l'identité qui est la sienne, c'est qu'il se vide de lui-même[9].. Est-ce que ça désigne simplement l'être à la mort du Christ, ou est-ce que ça ne désigne pas déjà ce qu'il en est de l'être Dieu, c'est-à-dire le rapport du Père et du Fils ? Est-ce que la plus grande unité, contrairement à ce que nous sommes tentés de penser, ne réside pas dans l'éternelle respiration du donner et du recevoir ?

« 27Et il lui a donné la capacité (pouvoir, exoucia) de faire le jugement parce qu'il est Fils de l'Homme. – Le thème du Fils de l'homme se trouve chez le prophète Daniel : le fils de l'homme vient sur les nuées et descend (Dn 7, 13). Donc Fils de l'homme est un titre céleste. – 28Ne vous étonnez pas de cela, que vient l'heure dans laquelle tous ceux qui sont dans les tombeaux il s'agit de tombeaux, mais pas des tombeaux qui se trouvent dans les cimetières, il s'agit du tombeau dans lequel nous sommes essentiellement – entendront sa voix – la voix est à entendre comme impliquant essentiellement la dimension de l'appel ; cela se trouve par exemple dans le chapitre du bon Pasteur : « Les brebis entendent sa voix, et il appelle ses propres brebis par leur nom. » (Jn 10, 3) – 29et s'en iront les uns, ceux qui ont fait (poieïn) le bien, pour une résurrection de vie ; ceux par contre qui ont pratiqué (praxantes) le mal, pour une résurrection de jugement. »[10].

C'est un texte qui a pu susciter de l'inquiétude. Mais il n'est pas fait pour cela, il est écrit « pour que vous entendiez, et que du fait d'entendre, vous viviez ». Si j'entends ce texte de telle façon que ça ne me donne pas à vivre, mais qu'au contraire ça redouble en moi l'inutile frayeur ou le dépit ou toute chose négative, c'est que je n'entends pas le texte.

Pourquoi y a-t-il jugement ? Est-ce que le jugement dernier distingue toi et moi ? Il passe plutôt au milieu de moi, c'est-à-dire qu'il discerne deux choses : ce qu'il y a de meurtrier dans ma vie pour le mettre à gauche, c'est-à-dire dehors (le lieu de la ténèbre extérieure car en Dieu il n'y a pas de ténèbre, il est lumière) ; et la part lumineuse qui est de moi. Est-ce que cela n'est pas conjecturable comme étant souhaitable à l'heure où cela est donné, et conjecturable également comme étant donné à quiconque ? Vous voyez ce déplacement ? Je pense que l'Évangile nous pousse à entendre ainsi.

 


[1] Le thème de la Vie éternelle a duré trois ans à Saint-Bernard de Montparnasse ; il s'agit ici d'une séance de la première année (3 février 1999). Nous commençons au verset 24, mais en fait la lecture avait commencé au verset 21.

[2] Hendiadys : hen (un seul) dia (à travers) dis (deux).

[3] « Qui croit en lui (qui l'entend) n'est pas jugé, qui ne croit pas (qui n'entend pas), est définitivement (ou, déjà d'avance) jugé du fait qu'il n'a pas cru dans (pas entendu) le nom du Fils Monogène de Dieu » (Jn 3, 18).

[5] Allusion au chapitre 6 de saint Jean. Sur ce sujet voir la session Pain et parole (tag JEAN 6).

[8] D'après « Qui me rejette et ne reçoit pas mes paroles (rhêma) a son juge : le logos (a parole) que j'ai parlé (laleïn) commence à le juger au dernier jour. » (Jn 12, 48).

[9] On appelle cela la kénose. Cf Ph 2, 6-11 : Vide et plénitude, kénose et exaltation .

[10] La K7 d'enregistrement s'arrêtait au commentaire du verset 28, la suite vient d'une autre rencontre. D'autres messages du blog sont sur le thème du jugement, en particulier Jn 3, 14-21. Le serpent d'airain. Jugement et sauvegarde. Où l'axe du jugement passe-t-il ? , voir aussi le tag péché pardon

 

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