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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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1 novembre 2014

Les deux parts en chaque homme : part de ténèbre et part de lumière. Comment entendre "celui qui" chez saint Jean ?

 Le jugement apparaît dans de nombreux textes d'évangile et nous avons l'habitude de l'entendre comme ce qui trie des individus dont les uns sont de la race ténébreuse et les autres de la race lumineuse, et les expressions de Jean nous pousseraient vers cela : « Si quelqu'un… », « Celui qui… Celui qui ne…pas… » Mais ce faisant nous entendons "notre" logique, nos pronoms personnels. Comment alors entendre cela ?

J-M Martin revient souvent sur cette question qui rejoint la question d'autres textes : des deux "je" de Rm 7[1], la différence entre l'homme intérieur et l'homme extérieur[2], le thème de la double semence dans la parabole du bon grain et de l'ivraie[3]. Cela rejoint aussi la façon de considérer les personnages des récits évangéliques[4].

 Voici sur ce sujet un extrait de Jn 3, 14-21. Le serpent d'airain. Jugement et sauvegarde. Où l'axe du jugement passe-t-il ?

 

Les deux parts en chacun : part de ténèbre et part de lumière

 

« 17Car Dieu n'a pas envoyé son Fils vers le monde pour qu'il juge le monde, mais pour que par lui le monde soit sauf 18Qui croit en lui n'est pas jugé, qui ne croit pas est définitivement jugé du fait qu'il n'a pas cru dans le nom du Fils Monogène de Dieu 19Car c'est ceci la krisis, la lumière est venue vers le monde, et les hommes ont aimé la ténèbre plus que la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises 20Et tout homme qui fait des choses honteuses hait la lumière et ne vient pas vers la lumière de peur que ses œuvres ne soient dénoncées. 21Mais qui fait la vérité vient vers la lumière, afin qu'il soit manifesté de ses œuvres qu'elles sont œuvrées en Dieu. » (Jn 3).

Voilà un texte qui apporte une apparente complexité : il n'y a pas de jugement mais il y a du jugement. Et une autre difficulté est celle-ci : pour échapper au jugement il suffit de croire, c'est-à-dire que celui qui a la bonne opinion n'est pas jugé, et tout le reste est d'avance jugé c'est-à-dire condamné ! Mais en fait le texte ne dit pas cela du tout. Ce qui est dit ici c'est que la région du sauf c'est la région de l'écoute.

(…).

Alors vous pourriez me demander : d'après le verset 18 il s'agit d'entendre le nom du Fils Monogénês de Dieu, et donc il s'agit d'être ouvert sur quoi ? Eh bien, cela veut dire qu'entendre c'est être dans "la plus grande ouverture". Le mot "plus grand" est ici très important. Nous savons que chez Jean il désigne toujours précisément la Résurrection : « Tu verras des choses plus grandes » (Jn 1, 50) ; « Le Père est plus grand que moi » (Jn 14, 28). C'est-à-dire que nous ne sommes pas saufs tant que nous ne sommes pas ouverts dans le sens de la plus grande ouverture.

 

L'axe du jugement passe en chacun, et non pas entre des individus.

Et ceci nous oblige à dire autre chose que je ne fais qu'indiquer, c'est que nous nous posons alors la question : est-ce que je suis du côté de la plus grande ouverture, effectivement ou non ? Voilà justement la question qui importune le texte.

En effet toutes les expressions de Jean qui indiquent l'extrême opposition, l'extrême différence comme la lumière et la ténèbre, comme la semence de Dieu et la semence du diabolos, toutes ces expressions qu'il ne faut surtout pas adoucir demandent à être bien situées. Or nous les situons comme ce qui trie entre des individus dont les uns sont de la race ténébreuse et les autres de la race lumineuse, et les expressions de Jean nous pousseraient vers cela : « Si quelqu'un… », « Celui qui… Celui qui ne…pas… » Mais ce faisant nous entendons "notre" logique, nos pronoms personnels.

Or il faut bien penser que nous sommes au monde par le pronom personnel depuis quelques siècles. Que le premier mot de notre mode d'être au monde soit ego, cela vient clairement du début du XVIIe siècle : « Ego cogito, ergo sum. » Et est impliquée par là une précompréhension de ce qu'il en est du pronom, et du pronom personnel qui n'a rien à voir avec l'usage fluide du pronom, notamment dans nos Écritures.

Ce que dit le texte c'est que quiconque est pour une part de la race de la lumière et pour une part est de la race des ténèbres. L'axe judiciaire, l'axe du jugement ne passe pas entre vous et moi, mais passe à l'intérieur de chacun d'entre nous, dans ce que nous appelons je. Ceci est capital.

Ceci est une sorte de critique très radicale de la façon dont nous privilégions la notion de substance qui est devenue ensuite chez nous la notion de sujet, et même la façon de se penser comme individu. Pour entendre l'Évangile, il faut cesser d'avoir un concept de sujet autonome, autosuffisant, totalement un, alors qu'il y a homme dans l'homme. L'homme spirituel est en exil dans l'homme mondain.

 

L'homme est constitué par une double polarité.

En effet l'homme est constitué par une bipolarité essentielle : bipolarité du haut et du bas bien sûr, qui est la même que la bipolarité du masculin et du féminin[5], mais une double polarité qui implique déjà le quaternaire, c'est-à-dire la façon harmonieuse de tenir cette bipolarité ou au contraire la façon déchirée.

C'est d'ailleurs la double polarité constitutive de l'homme qui ouvre la possibilité d'une écoute qui ne soit pas captatrice, préhensive, et qui le pose toujours déjà en circulation. C'est ce qui fera que le mode d'être privilégié pourra être dénommé entendre. C'est ce qui fera qu'entendre n'est pas quelque chose qui arrive à quelqu'un qui est déjà constitué, mais qu'entendre est la grande signification de la parole, c'est ce qui nous constitue. Et la més-entente ou le mal c'est très précisément la situation dans laquelle nativement nous sommes, c'est ce qui est lu par nos textes.

La grande difficulté c'est que si nous ne sommes pas attentifs à cette situation fondamentale de langage et à la différence d'avec nous, quand nous lisons ces textes, nous devons alors les ramener tout de suite au domaine éthique qui ne touche pas à la constitution de l'homme. Autrement dit on sait ce que c'est qu'un homme, on va simplement nous dire comment il faut qu'il soit bien. Or justement, avant toute chose, il s'agit de ne pas savoir ce qu'il en est de l'homme, et d'attendre de cette parole qu'elle nous le dise. Autrement dit cette parole met en question la prise ou la prétendue suffisance que nous avons déjà sur nous-mêmes en prétendant savoir ce qu'il en est.

Bible et hommes



[4] «Nous avons dit que nous étions le champ où il y avait et l'ivraie et le bon grain : c'est la part d'ivraie qui en Judas se révèle, vient à jour dans sa participation au meurtre, mais cela se révèle bien que ou parce que, dans son insu, il obéit à la parole de l'Écriture, qu'il agit selon l'Écriture. » (Extrait du II, 2, f) de  La question de Satan. Les différentes facettes de la figure de Judas.)

[5] « Il y a du féminin chez l'homme, du masculin chez la femme, il y a cette polarité structurelle, c'est-à-dire que nous sommes vraiment dans une grande première chose. Ce qui situe analogiquement, d'une façon que je ne peux pas mesurer parce qu'il faudrait être spécialiste en ce domaine, masculin et féminin un peu comme yin et yang, ou purusha et prakriti dans d'autres cultures,. » (Cycle CIEL-TERRE au Forum 104).

 

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