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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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15 mars 2015

Jean 18-19. La Passion. Introduction de la session et chapitre I : Jean 18, 1-11, l'arrestation

 Le chapitre 18 de la Passion selon saint Jean s'ouvre par l'arrestation de Jésus. Mais saint Jean la raconte de telle sorte que c'est en fait une théophanie c'est-à-dire une manifestation de la gloire. Ce n'est pas ce qui est couramment lu dans ce texte, mais c'est ce que Jean-Marie Martin a mis en évidence dans la lecture qu'il a faite lors de la session sur la Passion selon saint Jean dont vous avez ici la transcription.

 

Introduction de Jean-Marie Martin

 

Nous sommes rassemblés là, ensemble, pour tenter d'entrer dans un texte, entrer dans l'espace d'un texte. Il faut savoir que, là où nous entrons, il s'agit d'un texte qui n'est pas de notre plus authentique familiarité. C'est un texte étranger. Donc pour y entrer, d'une certaine manière, il nous faudra sortir de ce qui nous est le plus familier. L'homme est nativement égaré. L'essence de l'homme, c'est d'habiter, c'est-à-dire d'avoir lieu, d'avoir son lieu. Mais il ne naît pas à son heure. C'est à son heure qu'il a son lieu. Ce lieu se propose à nous comme une habitation, ce qui accomplirait notre avoir-à-être.

Nous éprouvons une certaine appréhension devant ce texte. Il n'est pas facile de quitter son lieu, de quitter ce que nous croyons être notre lieu, surtout quand on ne voit pas exactement ce que cela implique. Et nous projetons sur cet espace étranger tous les traits de l'étrange, et éventuellement de l'inquiétant.

Nous ne sommes pas ici pour apprendre des choses, nous informer sur quelque chose, mais pour opérer une translation, un déplacement, une tentative d'entrée (d'entrée et de sortie). Nous ne sommes pas ici pour esquisser un itinéraire possible – encore que la première fois il n'est pas interdit de fréquenter ce texte en touriste pour voir, mais ce n'est pas le but dernier. Le but est de savoir si nous avons là un espace habitable.

      ●   Entrer et sortir.

Vous me direz : je cause, je cause… Ce n'est pas moi qui cause : entrer et sortir sera sans doute un thème majeur du texte dans lequel nous nous proposons d'entrer.

« Ces choses dites, Jésus sortit avec ses disciples de l'autre côté du torrent (du ravin) du Cédron, où était un jardin dans lequel il entra lui et ses disciples. »(Jn 18, 1).

La question est de savoir, par exemple, si nous sommes concernés par l'être-disciple, si nous avons à être-avec, si nous avons à entrer et à sortir avec. La question sera de savoir si la mention d'un jardin ici a une certaine signification. Jésus va sortir de ce jardin. En effet, au verset 4, il sortira (« il sortit ») au-devant de ceux qui viennent et, dans notre verset, il sort librement de la salle où a eu lieu le repas pour entrer dans le jardin. Au terme, on le lie et on le mène hors du jardin : c'est un autre mode de sortie.

Nous verrons que entrer et sortir rythment l'épisode du prétoire (la comparution devant Pilate). Chapitre 18, verset 29 « il sortit » – c'est Pilate qui sort ici – et puis verset 33 : il rentre ; verset 38 : « disant cela il sortit de nouveau » ; chapitre 19, verset 4 : «  il sortit de nouveau en dehors ».

Que signifient ces sorties, ces entrées, ces mouvements ? Ils sont là pour indiquer quelque chose de ce qu'il en est de lire, et de lire ce texte.

      ●   Un jardin ?

Je posais la question de la signification éventuelle du jardin. Il est assez étrange que la mention d'un jardin se trouve au chapitre 18 : « 1 Jésus sortit avec ses disciples de l'autre côté du torrent du Cédron, là où était un jardin dans lequel il entra lui et ses disciples. » ; mais aussi au chapitre 19, si nous allons aux derniers versets de l'ensemble de ce que nous appelons peut-être abusivement la passion du Christ – le mot ne se trouve nulle part dans notre texte – : « 41Il y avait, dans le lieu où il fut crucifié, un jardin. » C'est un mot assez peu fréquent dans l'évangile ; il se trouve au premier verset du texte de la Passion et à l'avant-dernier. Nous avons déjà remarqué[1], en lisant la Samaritaine, que des mots très rares chez Jean comme le mot de fatigue, se trouvent au premier verset et dans les derniers versets. Donc nous avons ici quelque chose qui est à entendre, il y a un rapport.

      ●   Rabbi – disciples.

Donc nous entrons dans un espace. C'est un espace mouvementé, un espace qui est entouré par deux jardins. C'est la première chose que nous voyons. Et nous voyons aussi que Jésus est ici avec ses disciples. Peut-être que notre texte va nous assurer qu'il est insignifiant de s'interroger sur Jésus en deçà – ou en faisant abstraction – de son rapport aux disciples. Nous savons déjà que le mot de rabbi n'a pas de sens s'il n'y a pas de disciple. En un certain sens le rabbi fait les disciples, mais dans un autre sens les disciples font le rabbi. Ce sont deux mots inséparables, ils font couple. Nous allons voir si cela se confirme dans notre texte.

C'est déjà intéressant parce que ça nous oblige à sortir de notre lieu où ce qui est premier, c'est le sujet, un individu déjà constitué comme sujet, qui éventuellement a des relations ensuite. C'est la base de notre discours : un sujet grammatical à quoi on attribue éventuellement ou essentiellement des choses.

Qu'en résulte-t-il pour Jésus et aussi pour l'idée de l'homme – de l'homme au singulier et des hommes au pluriel – que de tenter d'entrer dans un espace dans lequel le sujet ne précède pas le “se rapporter à” (pour ne pas dire la relation qui est un mot insuffisant dans le sens que nous lui accordons) ? Voyez bien, je n'injecte rien dans le texte.

      ●   La frontière.

« Ces choses dites, Jésus sortit avec ses disciples de l'autre côté du torrent du Cédron – au-delà de ce qui fait frontière, un torrent qui devient ravin quand il est sec – là où était un jardin dans lequel il entra ainsi lui et ses disciples. » L'insistance : deux fois les disciples, une fois sortir et une fois entrer, et le lieu frontière. Voilà une structure digne d'être méditée parce qu'il y a dans ce tout petit texte, apparemment insignifiant, circonstanciel, hasardeux, quelque chose qui parle de la condition humaine fondamentale.

 

 

Chapitre I

JEAN 18, 1-11 :  L'arrestation

 

 

Aujourd'hui nous allons lire un passage qui va nous mener jusqu'au verset 11. J'aime bien caractériser un passage en lui donnant un titre, les éditeurs le font. On pourrait donner un titre à ce passage en sachant que ce titre est provisoire parce que ce passage même entre dans un ensemble, dans une séquence de passages. C'est au terme du parcours que nous verrons mieux. Il ne faut jamais essayer de découper de façon antécédente, à partir de nos propres critères, le texte dans lequel on se prépare à entrer, parce qu'on présuppose que c'est un lieu que d'avance on peut survoler et connaître avant de le marcher, avant de l'occuper. Nous lisons cette première séquence.

 

Arrestation de Jésus, peinture copte« 1Ayant dit cela, Jésus s'en alla avec ses disciples de l'autre côté du torrent du Cédron. Il y avait là un jardin dans lequel il entra, ainsi que ses disciples. 2Or Judas, qui le livrait, connaissait aussi ce lieu, parce que bien des fois Jésus et ses disciples s'y étaient réunis. 3Judas donc, menant la cohorte et des gardes détachés par les grands prêtres et les Pharisiens, vient là avec des lanternes, des torches et des armes. 4Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui advenir, sortit et leur dit : “Qui cherchez-vous ?5Ils lui répondirent : “Jésus le Nazôréen.” Il leur dit : “C'est moi.” Or Judas, qui le livrait, se tenait là, lui aussi, avec eux. 6 Quand Jésus leur eut dit : “C'est moi”, ils reculèrent et tombèrent à terre. 7De nouveau il leur demanda : “Qui cherchez-vous ?” Ils dirent : “Jésus le Nazôréen.”  8Jésus répondit : “Je vous ai dit que c'est moi. Si donc c'est moi que vous cherchez, laissez ceux-là s'en aller”, 9afin que s'accomplît la parole qu'il avait dite : “Ceux que tu m'as donnés, je n'en ai pas perdu un seul.”  10Alors Simon-Pierre, qui portait un glaive, le tira, frappa le serviteur du grand prêtre et lui trancha l'oreille droite. Ce serviteur avait nom Malchus. 11Jésus dit à Pierre : “Rentre le glaive dans le fourreau. La coupe que m'a donnée le Père, ne la boirai-je pas ?. » (Traduction Bible de Jérusalem).

                                                                                   

I – Remarques préliminaires

 

      ●   Le temps des verbes de la traduction.

► Sœur Jeanne-d'Arc traduit au présent. Par exemple : « 1Cela dit, Jésus sort avec ses disciples de l'autre côté du torrent du Cédron où il y avait un jardin dans lequel il entre lui et ses disciples. »

J-M M : Dans un texte au passé,l'emploi du présent désannecdotise le texte. En français, il est loisible de réciter un événement passé à l'imparfait ou au passé simple, ou également dans ce qu'on appelle le présent historique : « Napoléon arrive, il déploie son armée », c'est une façon de raconter. Le présent est d'autant plus plausible ici que la véritable différence est moins, chez les Grecs (comme chez les Hébreux), une différence de temps qu'une différence par rapport à l'action elle-même. Le parfait – c'est vrai surtout pour l'hébreu qui est toujours sous-jacent à ces textes – dit quelque chose qui est pleinement accompli ou quelque chose qui est en train de s'accomplir[2]. Pour l'instant nous sommes avertis qu'il ne faut pas attribuer une importance décisive aux temps des différentes traductions. Nous gardons un certain flou dans l'usage des verbes, quitte à nous poser chaque fois la question : dans le cas présent, qu'est-ce qui est le plus opportun ? D'autre part le texte même de Jean peut commencer par un passé simple dans le texte grec et passer au présent sans problème.

      ●   Le thème du jardin.

« Il y avait un jardin »Ici nous avons le premier jardin, celui que les Synoptiques appellent des Oliviers (Jn 18, 1) ; plus tard il y aura le jardin du calvaire[3]. Il y a une symbolique fondamentale du jardin qui est une symbolique édénique (de l'Éden), mais il faut voir à chaque fois comment le jardin est traité. En effet le jardin est aussi déterminé (ou caractérisé) par  « d'où je viens pour aller dans ce jardin ».

Ces deux jardins sont distincts. Dans les deux cas il quitte Jérusalem pour aller dans le jardin. La première fois il se rend au jardin où aura lieu l'arrestation (le mont des Oliviers dans les Synoptiques). La deuxième fois il quitte Jérusalem – c'est-à-dire le lieu de la condamnation – pour aller hors de la ville, au Golgotha qui est à la fois le lieu de la crucifixion et le jardin du tombeau (« Était, dans le lieu où il fut crucifié, un jardin et dans le jardin un tombeau neuf» (Jn 19, 41)). On ne peut pas purement et simplement assimiler les deux jardins, il y a une nuance à apprendre.

Originellement le mot jardin a sans doute une signification de premier sédentarisme par opposition à la nomadisation. C'est le cas à propos du meurtre d'Abel le nomade (c'est-à-dire le berger) par Caïn le premier agriculteur (le premier qui cultive) qui n'est pas simplement meneur de troupeaux transhumants. Ces questions-là sont dans la problématique de l'Éden, mais il ne faut pas les introduire à chaque fois. Tout mot apporte avec lui les capacités sémantiques de se développer en fonction des usages qu'il a eus dans l'histoire de la pensée. Il les a en lui-même. Mais un texte ne les suscite pas toutes, c'est-à-dire que les mots qui sont autour de ce mot font que certaines possibilités de sens s'excluent, s'éteignent, et que d'autres s'éveillent et vivent. Prétendre avoir une définition univoque et croire qu'on s'entendrait tous si pour chaque chose il y avait un mot et un seul, c'est l'illusion la plus parfaite, c'est le contraire même de ce que veut dire parler et entendre.

      ●   Dialogue, discours et gestuelle.

► Dans de nombreux textes d'évangile, il y a beaucoup de guillemets…

J-M M : Ici le dialogue tient une place aussi grande ou plus grande que le récit, que la gestuelle. Chez Jean vous avez parfois des récits, mais les récits en tant que récits sont souvent très courts. Nous en avons un exemple au début du chapitre 13 qui a à voir avec le début de notre chapitre[4] : « Jésus, l'heure étant venue qu'il passât de ce monde à son Père –  c'est dans le moment de la Pâque, du passage – ayant aimé les siens, il les aima jusqu'au bout… ». Vous avez le discours, et ensuite il y a une gestuelle très courte : « il se lève de table, quitte son manteau, prend un linge de service, jette l'eau dans la bassine, et commence à laver les pieds de ses disciples avec le linge dont il s'était ceint... » Et ensuite intervient un dialogue avec Pierre, et ensuite un discours de Jésus.

Vous avez donc de grands moments de discours monologues, des moments de dialogue et des moments de récits. C'est inégalement distribué suivant les chapitres et ça contribue à la structure différente des différents chapitres. Ici on a une certaine égalité de traitement du dialogue et du récit.

Depuis longtemps l'usage liturgique est de présenter ce texte avec trois lecteurs ou plus. Peut-être cela a-t-il un rapport avec la place particulière et particulièrement longue qui est occupée par les voix des lecteurs dans les oratorios ou dans les Passions[5] où alternent le récitatif qui, chez Bach, reprend exactement le texte de l'évangile, des morceaux (aria, arioso, chœurs), sorte de méditation de l'âme de libre invention poétique, et des chorals, chants communautaires prévus par le rituel liturgique. On aura peut-être l'occasion d'en écouter[6].

 Cependant, quand on écoute les différentes voix dans la lecture de la Passion, on s'aperçoit que le récitant (l'évangéliste) a plus de travail que les autres. Le Christ intervient à plusieurs reprises, moins nombreuses, d'autant plus qu'il va entrer dans un certain silence ou un certain laconisme.

      ●   Passion, pâtir.

► De quand date le fait qu'on appelle ce passage Passion ?

J-M M : Je me suis moi-même posé la question.D'où vientle verbe pâtir, ou le fait de dénommer comme Passion ce qui fait l'objet des chapitres 18 et 19 ? Le mot passion ne se trouve pas dans le texte, et le verbe pâtir non plus. Les évangiles l'emploient peu. Paul dont la rédaction est antérieure à celle des évangiles mentionne les pathêmata (les souffrances) de ce monde en rapport à la gloire, donc en rapport avec la résurrection (Rm 8, 18). « Il a souffert » prend place dans le Credo : « a souffert pour nous sous Ponce Pilate », et ça aura beaucoup de place chez Justin dès le IIe siècle. Et ensuite le mot Passion apparaît.

Pour dire l'équivalent chez Jean vous avez un certain nombre de mots, ce sont les mêmes qu'on trouve dans la première littérature chrétienne : la même réalité fondamentale et globale est appelée parfois mort, parfois ensevelissement. Tout cet ensemble forme un processus unique. Ce qui est de la souffrance et de la mort du Christ existe chez Jean depuis le chapitre 4 (et même avant) lorsque Jésus dit : « Donne-moi à boire » à la Samaritaine. C'est le “J'ai soif” que nous allons trouver ici. La soif n'est pas un moment particulier de nos deux chapitres, c'est toute la vie mortelle de Jésus qui est considérée comme une mort. Et ce qui est appelé vie (zoê) chez Jean, c'est la vie de résurrection qui est présente dans le Christ mais sur mode non dévoilé.

Ces dénominations ont une histoire. On peut aller voir de près à chaque fois.

Le mot de pâtir, par ailleurs, est plutôt une façon grecque de dire. C'est le pathos qui a une signification double, qui implique déjà le double sens chez nous du mot passion : passion au sens d'aimer passionnément, et passion au sens de pâtir. Chez les stoïciens, c'est très important, il y a deux choses : le logos orthos (la raison juste) ; et le pâtir qui est soit l'excès, soit le manque. La pénurie est un pâtir, et l'excès de ferveur… est un pâtir également. Le pâtir se définit donc par rapport à la justesse, à la rectitude.

► On montre les états d'âme de Pierre, ceux de Pilate qui est effrayé, mais rien n'est dit des sentiments de Jésus.

J-M M : Justement, rien n'est dit de l'émotion christique, du pâtir (ou du souffrir) christique dans ce récit, alors que Jean ne s'est pas privé à quatre reprises de dire dans des circonstances antérieures la turbulence, le trouble, l'ébranlement (taraxis) dans lequel Jésus entre – à propos de la mort de son ami Lazare[7], ou à propos de la séparation d'avec Judas – signe que la mort du Christ est en œuvre là. Ce que nous appelons la mort, ce n'est peut-être pas simplement l'expiration. La mort se vit au long de la vie de Jésus. Des ruptures majeures sont déjà des éléments de sa mort.

Le pâtir christique n'est pas posé spécifiquement dans la Passion du Christ chez saint Jean (ce qu'il en est de ce que nous appelons souffrir). Avec la Samaritaine il est fatigué : c'est un pâtir ; il a soif : c'est un pâtir, etc. Ici point n'en est fait état, ce n'est pas cela qui est relevé.

► Alors que dans les Synoptiques l'accent est mis dessus : « Que cette coupe s'éloigne de moi ». Il me semble qu'il y a cette agonie.

J-M M : Nous sommes dans le même jardin, et probablement dans une scène identique, et elle n'est pas du tout traitée de la même manière. La trace ou la référence, c'est le thème de la coupe. Nous essaierons d'en voir la signification : “ne pas refuser la coupe”.

      ●   Jésus et Judas.

► Je ne comprends pas ce que vous avez dit de la souffrance de Jésus par rapport à Judas. Il a manifesté un pâtir par rapport à Judas ?

J-M M : La rupture annoncée, la séparation d'avec l'ami – car Judas est l'ami – la séparation d'avec Judas est un moment mortel.

► Chez saint Jean, lors du dernier repas (Jn 13) Jésus dit : « L'un de vous me trahira » (v. 21) et c'est après qu'il ait dit « c'est celui à qui je donnerai la bouchée » (v. 26) que le diable entre en Judas. Pour moi, c'est comme si le Christ disait : « Mange et puis fais ton boulot, c'est à moi de souffrir ».

J-M M : Là il y a une glose qui ne va peut-être pas de soi. La façon dont la chose est  ressentie par vous est intéressante parce qu'elle signale quelque chose qui mérite d'être regardé. Il n'est pas sûr que le texte soit à entendre au sens où vous l'entendez. Ce thème de Judas, je ne pensais pas que nous y arriverions aussi vite, nous y reviendrons.

Ceci pose une question : vous êtes en train de parler de Judas, et vous n'avez pas signalé son entrée, sa place.

      ●   Pierre et Judas.

On ne peut pas lire ce texte sans parler de la figure de Judas. On a dit “les disciples” en général, mais ici il y en a deux qui sortent du lot : Judas et Pierre. Il est très intéressant de noter que pour Jean, les disciples vont généralement par deux et représentent des figures de différence ou parfois d'opposition. Ici sortent les figures de Judas et de Pierre qui sont traditionnellement des figures contrastées. Mais pour qu'il y ait contraste, il faut qu'il y ait une part de similitude.

Le chapitre 13 est construit tout entier sur l'opposition de Pierre et de Judas[8].  À d'autres lieux, la figure de Pierre fait contraste avec l'autre disciple, “celui que Jésus aimait”. Nous avons vu que Jésus n'est jamais sans disciple même lorsqu'il reste seul. Il est souvent entre deux disciples. Il est même souvent entre deux tout simplement. Or Judas et Pierre représentent ici deux carences (il s'agit de l'identification de Jésus comme toujours parce que l'Évangile est fait pour ça) : il est manqué par Judas qui le livre et il est manqué par Pierre qui le défend mais qui le défend de mauvaise manière (il le défend par le glaive). La figure de Pierre, d'ailleurs, ne va pas s'améliorer dans les passages suivants avec le triple reniement.

      ●   Avant d'être reçu, Jésus vient vers deux figures.

Cette position entre deux figures est une structure fondamentale chez Jean. C'est annoncé dès le Prologue[9] :

  • la lumière vient s'affronter à la ténèbre (qui est la puissance de mort) : il vient vers le monde qui est régi par la ténèbre et c'est Judas ainsi que toute la cohorte juive ;
  • il vient vers les siens qui ne le reçoivent pas (pas encore), et c'est Pierre.
  • enfin il vient vers ceux qui l'ont reconnu.

C'est la triple dimension que nous avons étudiée l'année dernière dans l'étude du Prologue. Même structure.

► Pierre ne le reçoit pas à cause de ce qui va se passer ?

J-M M : Non, il est présenté comme ne recevant pas Jésus comme il se doit. Il prend sa défense mais il se méprend. On a vu “venir au refus” et “venir à la méprise”, les deux termes. Ici Jésus vient à Pierre qui se méprend, et qui n'a pas fini de se méprendre ; et puis il y a le chapitre 21 avec le triple questionnement « M'aimes-tu ? » qui correspond au triple reniement et qui constitue le chemin propre de Pierre. Il est « des siens qui ne le reçoivent pas »c'est-à-dire “pas d'abord”. Pierre et Judas sont ici deux figures de l'ensemble. Pierre représente le corps des disciples en cela, car tous se méprennent sur le compte de Jésus. Après la course au tombeau il est dit de Jean et Pierre : «ils ne savaient pas l'Écriture auparavant, selon laquelle il devait ressusciter d'entre les morts» (Jn 20, 9): même Jean, malgré la rapidité de sa course dans la foi ! Le corps des disciples est tout entier dans la méprise avant qu'ils ne reçoivent Jésus dans sa dimension authentique de Ressuscité.

► Après la Résurrection, il est dit qu'ils ne le reconnaissent pas.

J-M M : Ce n'est pas seulement après la Résurrection, ce n'est pas seulement une question de temps (après), c'est une question de reconnaissance de la dimension ressuscitée de Jésus.

      ●   Interpréter la prescience de Jésus.

► Sœur Jeanne d'Arc traduit le verset 4 : « Jésus, sachant tout ce qui vient sur lui ».

J-M M : On ne peut pas traduire mieux ! En un sens, ce qui vient sur lui, c'est tous les gens qui s'amènent, mais c'est aussi les événements qui viennent sur lui. C'est une expression qui peut paraître bizarre mais qui est très importante (on traduit habituellement par “ce qui allait lui arriver”) car il ne faut pas oublier que “ce qui vient sur nous”, c'est la façon grecque de dire le futur : ta erkhoména, les choses qui viennent, c'est une façon de dire l'avenir.

► Donc Jésus savait ce qui allait lui arriver. Quelle est la signification d'une telle phrase, et est-ce la raison pour laquelle il s'avance vers eux ?

J-M M : Nous avons ici un trait classique chez Jean. Il faut se demander si les interprétations que nous proposons pour un texte sont conformes à ce qui résonne habituellement chez Jean. Jésus est présenté comme une espèce d'être qui sait tout d'avance, qui sait tout à l'intérieur, qui lit au cœur des hommes Et c'est quelque chose qui gêne souvent les lecteurs de Jean ! Tout cela est noté, non pas dans l'idée saugrenue de glorifier Jésus de façon indue, mais en vue de manifester sa liberté : il entre librement dans son pâtir.

« Il sort » : il décide de sortir tout en sachant. Il ne sort pas parce qu'il ne sait pas encore ce qui va lui arriver ; il sort le sachant, il sort librement. Ceci marque le rapport entre  sachant, d'une part, et « il sortit » ; et souligne la différence avec « Ils le lièrent et l'emmenèrent » (v. 12-13), parce que là, il sort, mais on le sort ; seulement on ne peut pas le sortir parce qu'il a déjà accepté intérieurement la sortie.

Quand quelque chose est récité chez Jean, il faut chercher la phrase qui l'a annoncé depuis toujours. C'est : « Ma vie, personne ne la prend, je la donne » (Jn 10, 18), c'est-à-dire qu'on la lui prend (on l'emmène, on le lie), mais elle n'est pas prenable parce que elle est donnée d'avance ; et comme c'est donné ça en fait quelque chose qui n'est pas un pâtir pur et simple mais qui est la présence anticipée de la liberté de la résurrection à l'intérieur même du pâtir.

► C'est ce qu'il faut entendre dans « Il livra l'Esprit » (Jn 19, 30) ?

J-M M : Oui, par exemple, mais entre autres.

C'est le principe fondamental de la libre donation qui désamorce la chaîne de violence et de prise parce que c'est donné d'avance.

► Toute cette violence imposée de l'extérieur à Jésus, ce n'est pas juste !

J-M M : Justement, on ne peut pas dire qu'on ne fait pas violence à Jésus. Mais cette violence est nulle, elle est inefficace parce que pour prendre violemment il faut prendre quelque chose qui est prenable. Or ce n'est plus prenable parce que c'est donné. Autrement dit, il y a la vérité de la mort qui est une prise ; mais Jésus n'est pas pris de telle sorte qu'il le soit de façon définitive. La résurrection est inscrite au cœur du mode de mourir du Christ. Ce verset 18 au chapitre 10 de saint Jean donne la signification de la mort du Christ.

 

II – Lecture cursive des versets 2-11

 

Je lis maintenant le texte en soulignant en cours de route les thèmes qui me paraissent mériter qu'on y revienne.

      ●   Versets 2-3 : Le lieu et les personnages.

« 2Judas, celui qui le livre, connaissait le lieu puisque souvent Jésus s'était rassemblé là avec ses disciples. 3Judas donc, prenant la troupe (la cohorte), et des serviteurs (les gardes) des grands prêtres et des pharisiens, vient là, avec torches, flambeaux et armes. » C'est assez étrange : nous avons ici un langage qui conviendrait mieux à des romains mais ce ne sont pas des romains, ce sont bien des personnages juifs puisqu'il s'agit des pharisiens et des grands prêtres. Le mot de gardes (hupêrétas) désigne les serviteurs : ceux qui sont de service de garde sont aussi des serviteurs. Ce n'est pas une cohorte au sens proprement militaire du terme, c'est une troupe.

Je fais une parenthèse peut-être saugrenue, vous la prenez pour ce qu'elle vaut : cette cohorte nocturne avec des flambeaux et des feux faibles, et des armes qui scintillent peut-être, me fait penser au songe de Junie qui est un des plus beaux morceaux de Racine qui existe ; ou peut-être m'évoque des Rembrandt. Est-ce que c'est tout à fait gratuit et sans rapport avec le texte ? Bien sûr, ce sont des références culturelles postérieures, il ne faut pas confondre, néanmoins elles peuvent être intéressantes. Par ailleurs, il y a une racine de cela dans le texte même à la mesure où Judas a partie liée de façon décisive avec la nuit. Quand il sort au chapitre 13 : « il était nuit ». Il est celui à qui la tâche est donnée de mettre en œuvre la puissance de ténèbre qui est la puissance de mort. Il y a une symbolique nocturne. Explicitement, ce n'est pas lui qui trahit puisqu'il est habité par une Puissance, et il l'est selon les Écritures, c'est-à-dire que la personnalité singulière de Monsieur Judas n'est pas en question. C'est vraiment la figure de Judas qui est en question dans cette affaire.

Vous avez un certain nombre de personnages qui sont caractérisés par leur nom, par leur lieu – par exemple Judas Iscariote (de Scariot) – ou par le trait qui les caractérise. C'est une caractéristique de l'évangile de Jean. Ça correspond un peu à ce qu'on appelle en littérature des épithètes homériques : chaque fois qu'un nom vient, il est affublé d'un surnom. Ici référence est faite au trait qui caractérise la figure de Judas comme celui qui livre. Le mot livrer d'ailleurs est un mot ambigu. Il peut être pris en bonne ou en mauvaise part. Ici c'est en mauvaise part avec la connotation particulière chez Jean de vendre, vendre quelqu'un. Quand il sera question de Nicodème tout à fait à la fin du chapitre 19, il est dit « Nicodème, celui qui s'était entretenu avec lui de nuit » : Nicodème c'est le rendez-vous nocturne (chapitre 3). Il est fait référence à un épisode. Ça fait d'ailleurs partie d'un type de mémoire à l'intérieur du texte. Quand un personnage apparaît, on rappelle ce qui le caractérise et même parfois le lieu ou les moments où il est apparu pour la première fois.

Celui qui le livre”, on aimerait traduire par un substantif. C'est un participe du verbe livrer (paradidômi), mais c'est un participe avec l'article : “le livrant”, “l'ayant livré”. Le substantif serait “traître” mais le sens ne convient pas bien.

      ●   Verset 4a : la liberté de Jésus.

« 4Jésus donc sachant tout ce qui venait sur lui, sortit. » J'ai déjà indiqué qu'il fallait méditer cette prescience (ou cette connaissance) qui est mise au compte de Jésus chez Jean comme ce qui atteste de la liberté de Jésus, d'où la nécessité de mettre en rapport cette libre sortie et le fait qu'il soit emmené lié.

Je vous rappelle le texte qui nous a servi de référence : « Ma vie, personne ne la prend, je la pose » (d'après Jn 10, 18). Jésus sort : il vient donc en ce lieu qui est médian, une sorte de lieu frontière. Entrer et sortir suppose un seuil si on parle de maison (une frontière dans le cas d'un territoire). Là encore, Jésus est entre deux.

      ●   Verset 4b-5a : la question initiatique et la mauvaise réponse.

« Et il leur dit : “Qui cherchez-vous ?” ». Il faudra que nous revenions sur cette question qui est une question structurelle chez Jean.

Nous sommes dans les interrogatoires de type identificateur. Pour déterminer qui est quelqu'un, on envoie une délégation : « Qui es-tu ? Es-tu… ». Nous avons cela dans le premier chapitre de Jean. Ici Jésus prend l'initiative, il pose la question, la question qui est une invitation à nommer, donc à déceler, à mettre au clair un processus de zêtêsis (de recherche) : « Qui cherchez-vous ? ».

Cette question Jésus la pose trois fois dans l'évangile de Jean :

  • à la fin du chapitre premier lorsque deux disciples de Jean le suivent. Il se retourne et il leur dit : « Qui cherchez-vous ? » ;
  • à Marie-Madeleine : la question lui a déjà été posée par les anges, elle lui est posée par celui qu'elle n'a pas encore identifié comme Jésus, qui est sous la figure du gardien du jardin : « Qui cherches-tu ? » :
  • à ceux qui viennent et qui cherchent Jésus, ici en ce chapitre.

Or dans les deux premiers cas, la réponse est une question :

  • dans le premier cas, ils lui posent la question « Où demeures-tu ? » :
  • dans le deuxième cas, Marie-Madeleine pose la question « Où l'as-tu posé ? »

Autrement dit, la bonne réponse à la question, c'est une question. Nos questions authentiques sont toujours des réponses à une question même si elle n'est pas entendue, articulée. Sur ces choses-là, il faudrait méditer beaucoup, c'est très important.

Ici on pourrait croire que les gardes donnent la bonne réponse : « 5Ils lui répondirent : “Jésus le Nazôréen” », mais c'est une réponse qui sait. Ils savent ce qu'ils cherchent et d'une certaine manière, celui qui sait ce qu'il cherche opère une mauvaise recherche, il cherche à prendre ce qu'il sait. En effet ces gens-là viennent pour le prendre. Et c'est donc la mauvaise réponse. Que ce soit la mauvaise réponse, cela va se manifester par ce phénomène de reculade et d'exclusion qui se produit ensuite, alors que dans les deux autres cas, le processus s'accomplit comme un processus de présence.

Ce ne sont là que des repères. Ce qui est important, ce sont les vérités d'attitude et d'analyse de l'être-homme comme être-cherchant, qui est authentique quand il cherche ; enfin... Jésus sait la qualité de recherche, il répond donc à la qualité de recherche. C'est très important pour interpréter les dialogues de Jésus, la façon dont il répond à tel ou tel interlocuteur.

Pour ce qui est de la recherche comme telle – le mot est prononcé ici – il faut voir que Jean en a analysé le processus au chapitre 16. Le trouble est un moment constitutif de ce processus car le trouble ouvre la recherche. La recherche se mue en question lorsqu'elle accède à son plus propre qui l'invite à la demande, car ce qui est digne d'être cherché ne peut qu'être demandé. La demande est donc le mode de progression de toute recherche, c'est pourquoi le processus se termine toujours chez saint Jean par aitêsis (la prière).

Au chapitre 16, versets 16 et suivants, Jésus dit un mot énigmatique qui les laisse perplexes, ils n'osent pas l'interroger. Il provoque l'interrogation – c'est le deuxième moment – en reprenant la même énigme, puis il commente le trouble né de l'énigme par la parabole de la femme qui enfante et cela se termine par la mention de la demande de ce qui n'a d'existence que demandé, c'est-à-dire ce qui est de l'essence du don[10].

Et ce processus est mis en œuvre, articulé, par exemple dans l'épisode de Marie-Madeleine[11]. Les termes mêmes sont réemployés. Ce qui a été analysé par Jésus devant ses disciples en Jean 16 est mis en œuvre dans le récit de l'identification du Ressuscité et en articule les étapes qui aboutissent à « J'ai vu le Seigneur ». Tout cela est soigneusement analysé par Jean. Nous avons un élément structurel qui n'est pas du tout hasardeux, et il est important de s'arrêter à cette question de « Qui cherchez-vous ? ».

► Il n'y a pas de donné sans demande ?

J-M M : Non. Autrement dit, la demande authentique est le prodrome de la donation, c'est-à-dire que la donation s'avance en creusant son lieu de venue sur le mode de l'attente, de la demande, de la recherche. Il faut prendre les choses à l'envers.

► Vous pouvez répéter ?

J-M M : Non… mais ça reviendra. Je n'ai jamais le courage de répéter, au contraire de Jean qui répète tout deux fois : c'est en cela que lui est un vrai rabbi !

       ●   Verset 5b - 8 : la théophanie du "Je suis".

« Il leur dit : “Je suis (égô éimi). » Voilà le mot essentiel de tout le passage que nous lisons aujourd'hui. Jésus s'identifie. Notez bien que ce mot a ici un double sens – chez Jean les mots ont au moins deux sens. En effet “Je suis” est la traduction grecque de YHWH ou plus exactement c'est la référence à “Ehyeh asher Ehyeh” qui est le nom même de Dieu[12]. Ce mot difficile à traduire, les Septante l'ont traduit “Je suis l'étant, celui qui est (ho ôn)”. Tout le Moyen Âge a pensé « Je suis l'être ».

La traduction la plus plausible oscille entre « Je suis qui je suis », « Je suis ce que je suis », et peut-être le meilleur « Je suis que je suis » – c'est la dernière traduction proposée par Meschonnic. Elle ramène à quelque chose qui ne dit pas simplement « je suis étant » mais « je suis être », et sur un autre mode que l'ontologie médiévale de l'être pur.

Ici, je fais allusion à des choses que je ne déploie pas. Les Juifs appellent cela “le Nom” (Hashem), et ils ne prononcent pas “Ehyeh asher Ehyeh” ou Yahweh, ils disent “le Nom”.

C'est “le Nom”, mais ce Nom n'est justement pas un nom ! Un nom, ça se prononce. Le Nom est le principe même de la prononciation de tous les noms, il n'est pas un nom parmi les noms. En revanche, « Je suis la lumière », « Je suis la Vie », « Je suis le Pain », « Je suis la Porte »… ça, c'est le démembrement du Nom, un thème talmudique connu chez les Juifs.

arrestation thermes clunyCe mot “égô éimi (Je suis)” est véritablement un lieu majeur de méditation. D'abord parce qu'il y a les emplois de “Je suis” sans attribut – qui interviennent en quelques occurrences chez Jean. Comment ce “Je suis” est-il le principe d'intelligibilité des multiples “Je suis” pourvus d'attributs (« Je suis le Pain », « Je suis la Vie » …) qui sont caractéristiques de l'évangile de Jean ? Quelle est cette plénitude, ce Plérôma de dénominations, qui a sens dans le Nom par excellence qui, pour cette raison, est ce qui donne que les noms soient prononçables, mais qui lui-même ne l'est pas ?[13] Comment cela dit-il la présence et l'identité de Dieu lui-même ?

Nous avons du mal parce que chez nous le nom est quelque chose qui est très secondaire. Le corps est vrai, le nom est une façon extérieure d'imputer une dénomination, de le désigner, qui s'ajoute. Mais le nom dans le monde hébraïque constitue l'intime de l'être, désigne l'intime de l'être.

YHWH (Je suis) n'étant pas prononcé par les Hébreux, lorsqu'ils le rencontrent en écriture, ils traduisent par Seigneur (Adon ou Adonaï) qui est un des noms multiples de Dieu. Le mot de Seigneur est une des dénominations premières de la dimension ressuscitée de Jésus. Quand Marie-Madeleine ré-identifie Jésus au-delà des traits du jardinier, elle le reconnaît comme “Rabbi” ; elle peut ensuite dire « J'ai vu le Seigneur (ton Kurion) ».

Nous avons ici (en Jn 18, 5-6) une théophanie, une manifestation du Nom, c'est-à-dire une manifestation de la présence de Dieu en Jésus lui-même. Or la théophanie par excellence, c'est la résurrection. Nous avons l'indication même de la résurrection dans le “Je suis”.

J'ai souvent dit : quand vous ouvrez, ne serait-ce qu'une page de l'évangile, pour savoir à partir d'où il faut lire cette page, demandez-vous où est mentionnée la résurrection. Dans n'importe quelle page, la résurrection est mentionnée, évidemment sur des modes divers. Ici c'est sur le mode de la seigneurie par l'intermédiaire même du Nom “Je suis”. C'est le lieu de la présence identificatrice du Fils, de la monstration, de la théophanie du Fils et donc du Père – car qui manifeste le Fils manifeste le Père (il n'y a pas de fils sans père, pas plus que, nous le disions, il n'y a de disciple sans rabbi, et vice versa).

Ce lieu théophanique est théophanique pour Jean et pour ses lecteurs. Il n'est pas théophanique pour les gens qui s'approchent. La manifestation en est qu'ils reculent, c'est-à-dire qu'ils sont rejetés en arrière, ils tombent à terre : c'est l'aspect négatif de la théophanie à la mesure où elle est manifestation du sacré et que le sacré se manifeste par le fait qu'il repousse celui qui s'en approche indûment.

De plus Jésus est également assimilé à la Présence sous la tente et au Temple, donc à l'arche d'alliance. Or nous avons des épisodes vétéro-testamentaires[14] où, lorsqu'on s'approche de façon impure ou violente de l'arche, on tombe à terre, on tombe malade ou on tombe mort. Donc nous avons ici un lieu théophanique important.

Simultanément, ce mot “Egô éimi”répond en un autre sens à la recherche des gardes. Cette réponse est une pour celui qui la prononce et le lecteur qui lit ce passage comme théophanie. Pour les autres, la façon de se méprendre est d'entendre cette réponse comme le banal « C'est moi ». Jésus, librement, leur donne à entendre « C'est moi ». En cela il se donne à méprendre.

 « Judas aussi, celui qui le livre, se tient avec eux. 6Comme donc il leur avait dit : “Je suis”, ils reculèrent en arrière et tombèrent à terre. »

      ●   Verset 7-9 : Jésus entre la menace qui vient et les disciples.

« 7De nouveau (palin) donc il les questionna : “Qui cherchez-vous?” » Le palin en grec johannique est très difficile à cerner. Il peut signifier une deuxième fois, mais je présuppose que, chez Jean, il faut plutôt y voir la volonté de déployer deux sens contenus dans un mot : ce mot implique un autre sens. Ici le deuxième sens qui est donné à entendre, c'est celui par lequel Jésus se donne à prendre, c'est-à-dire celui par lequel Jésus s'offre : « C'est moi ». Mais entre palin et palin, entre ainsi et en retour, ou une fois et une autre fois, il y a un micron de différence.

On trouve le mot micron dans le chapitre 16, verset 16 auquel que je faisais allusion tout à l'heure : « Jésus leur dit : “Mmicron (un peu) vous ne me constatez plus ce qui est que en retour (palin) micron (un peu) vous me verrez” ». Les disciples se demandent : qu'est-ce que c'est que ça ? Si ça voulait dire  « Un peu je m'en vais et je reviendrai vous voir », ça ne poserait pas tant de questions. Or ils s'interrogent : Que veut-il dire ? et puis « Qu'appelle-t-il micron ? » Et c'est là que Jésus leur dit : « Vous cherchez et vous voulez me questionner sur ce que j'ai dit » (d'après le v. 19) et il cite la phrase ; et la phrase est encore citée une troisième fois. Nous avons donc un processus de recherche très important. La signification de la répétition, celle du double, celle de l'entre-deux, chez Jean, est essentielle : au niveau de l'écriture, au niveau des figures... Nous n'avons pas fini de l'apercevoir.

Pour anticiper, lorsque Jean décrit la crucifixion : « ils le crucifièrent et avec lui deux autres, ici et là, et au milieu, Jésus» (Jn 19, 18), c'est la seule chose qu'il trouve à dire ! Quand même ! C'est parce que cet entre-deux que nous essayons de voir est constitutif de tout. Pour lui, c'est important. Nous, nous dirions : « Est-ce qu'il a souffert ? » ou nous nous affligerions. Mais Jean ne s'afflige pas. Le moment qui, à première vue, devrait être le moment suprême, le moment même de la fixation à la croix, il ne trouve rien d'autre à dire que : « Il fut crucifié entre deux ». La difficulté c'est que, quand il y a deux choses, il faut lire entre les deux.

« Ceux-ci disent : Jésus le Nazôréen”. 8Jésus répondit : “Je vous ai dit que je suisL'expression “Je suis” se trouve donc trois fois : Jésus l'a dite une fois ; Jean la reprend « 6Comme donc il leur avait dit : “Je suis” » ; et la troisième fois, c'est Jésus qui la redit – Si donc vous me cherchez, laissez ceux-ci s'en aller. »

Désormais Jésus est entre la menace qui vient et les disciples qu'il garde derrière lui. Ceci se réfère à la situation de Jésus qui n'est jamais considéré seul mais toujours dans une double référence, un double rapport à… Il est question de Jésus en rapport au Père et en rapport aux hommes. Dans le premier “Je suis”, il s'identifie à Dieu. Dans la deuxième réponse, il se définit en référence à la garde de la totalité des hommes (ou des disciples qui sont la figure de l'humanité). Il n'est jamais question de Jésus que rapporté et au Père et aux hommes.

Ceci est attesté à toutes les pages de Jean. Je prends le chapitre précédent, la prière de Jésus, la demande de résurrection. Jésus dit : « 1Père, l'heure est venue, présentifie le Fils, ce qui est que le Fils te présentifie – en effet, présenter le Fils, c'est présenter le Père – 2selon que tu lui as donné d'être l'accomplissement de la totalité de l'humanité ». Rapport au Père, rapport aux hommes : inséparables l'un de l'autre. Premièrement toujours dans une relation ; deuxièmement toujours dans la double relation simultanée au Père et aux hommes.

Au chapitre 13 : « 1Avant la fête de la Pâque, Jésus sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Père, ayant aimé les siens qui sont dans le monde, ils les aima jusqu'aux extrémités. – Il va au Père aimant (gardant) les siens jusqu'à l'accomplissement. – …3Sachant que le Père lui a donné la totalité dans les mains et qu'il vient de Dieu et va vers Dieu… ». Venir de Dieu et retourner vers Dieu, c'est l'être christique. L'être christique est un aller d'où il vient. « D'où je viens, où je vais ? »

La question “Où ?” est la question du lieu. Qu'est-ce qui s'ouvre comme mode de pensée à partir de la question “Où ?” ?[15]

Ici c'est suggéré par les termes que nous venons d'entendre : « Je vais d'où je viens », c'est la relation constitutive au Père qui constitue le Christ comme Fils, mais chargé de l'humanité. Une expression qui revient souvent, c'est « Le Père lui a donné la totalité dans les mains » (la totalité des hommes).

Dans l'expression à laquelle il est fait allusion dans notre chapitre, il s'agit d'une garde accomplie, achevée. Jésus demande à ce qu'on laisse sortir ses disciples « 9Pour accomplir la parole qu'il avait dite : “De ceux que tu m'as donnés,  je n'en ai perdu aucun ”. » L'expression se trouve au chapitre 6 avec la petite mention « sauf le fils de la perdition afin que l'Écriture soit accomplie ». Comment comprendre ce qui est évoqué dans ce verset ?

Il ne faut pas oublier que le fils, dans le Nouveau Testament, signifie la manifestation de ce qui est secrètement dans le père. Le Fils de l'Homme, qui est un des noms de Jésus, est la manifestation de ce qui est secrètement dans le nom d'Homme, dans le nom prononcé « Faisons l'Homme à notre image ».

Le fils ne peut que manifester ce qui est dans le père, c'est pourquoi Jésus ne peut faire que la volonté du Père. Mais il dit aux Juifs : « Votre père, c'est le diabolos et vous ne pouvez faire que le désir de votre père » (d'après Jn 8, 44), c'est-à-dire me tuer, car le propre du diabolos c'est d'être essentiellement homicide, falsificateur et adultère (avec la signification d'idolâtre).

Il faut repenser ce que veut dire père et ce que veut dire fils dans cet ensemble. Et ceci nous ouvre à des problèmes anthropologiques de première importance. En effet, lorsqu'il dit aux Juifs qu'ils sont fils du diabolos et non pas fils d'Abraham comme ils le croient, on pourrait trouver cela méchant. Mais ça n'a pas exactement le même sens que chez nous, puisqu'il dit la même chose au brave Pierre : il l'appelle Satan ![16] Ce n'est pas gentil non plus.

Mais il faut bien savoir que cette double semence, cette double paternité est en chaque homme. Il y a en chaque homme de l'ivraie qui est la semence de l'adversaire, semée la nuit, au-dessus du bon grain qui est semé le premier et qui est la semence du père de famille – je fais une incursion dans les Synoptiques – et les deux sont tellement entremêlés qu'il ne nous revient même pas de décider de l'un et de l'autre. C'est le propre du discernement ultime, c'est-à-dire du jugement dernier : « Au dernier jour, n'arrachez pas, le Père enverra… ».

C'est pour cette raison que nous lisons sans aucune inquiétude la figure de Judas ici. Le texte n'est pas fait pour susciter chez nous de l'inquiétude. Le texte est écrit « pour que vous entendiez, et que du fait d'entendre, vous viviez » (d'après Jn 20, 31). Si j'entends ce texte de telle façon que ça ne me donne pas à vivre, mais au contraire ça redouble en moi l'inutile frayeur ou la honte ou le dépit ou toute chose négative, c'est que je n'entends pas le texte. Entendre ce texte donne que nous vivions en vérité. Bien sûr nous sommes nous-mêmes dans la méprise, nous ne sommes pas mieux que Pierre, nous nous méprenons, et cependant nous restons à l'écoute du sens de vie qu'il y a dans ce texte et que nous n'avons pas encore véritablement entendu.

La phrase : « de ceux que tu m'as donnés je n'en ai perdu aucun » est un thème important chez Jean. Il a la signification suivante : Jésus ne vit pas, n'existe pas, si la totalité de ceux qu'il a en garde n'existent pas, ne vivent pas. Il est de son être de garder, c'est-à-dire de reconduire chacun à son propre, à son avoir à être fondamental. Donc ce thème est important en lui-même. Nous avons vu qu'il était important aussi comme doublant le thème du rapport au Père.

Nous avons vu le thème du “Je suis” dans son double sens. Nous nous interrogeons sur un grand nombre d'apparitions de doubles sens décisifs au cours de ce texte. Nous verrons que ce texte est l'affirmation progressive de la vie à travers la mise à mort, que ce texte est la progression de la parole à travers la réduction au silence. Nous verrons que tout au long de ce texte, la parole se dit, même si ceux qui la disent ne la comprennent pas. Elle se dit, l'attestation se fait. L'attestation de quoi ?

      ●   Les thèmes du roi et du berger.

Il y a un thème que je n'ai pas mentionné encore, dont il faudra nous demander la place – parce que ce n'est pas le tout d'énumérer des choses, il faut les articuler dans ce qui vient préférentiellement en avant. Nous avons mis en avant le “Je suis”. Un des aspects du “Je suis”, c'est de signifier la même chose que Ressuscité, la même chose que Fils de Dieu.

Nous verrons que l'intitulé classique de Jésus qui sera mis le plus en évidence dans l'ensemble du chapitre, c'est l'intitulé de roi. Comment vient cet intitulé par rapport aux précédents ? Quel rapport y a-t-il entre roi et ces noms-là ? Il s'agit du roi messie, du roi oint de l'Esprit (du pneuma). Le thème de la royauté est très présent : tout ce récit est l'intronisation royale de Jésus, et l'intitularisation du roi des Judéens : c'est Pilate qui le dit. Il prophétise, lui ? Oui. Il ne sait pas ce qu'il dit, mais ça se dit. Donc nous avons ici un processus qui court tout au long du texte.

On pourrait s'interroger : est-ce que le thème du berger a un rapport avec la Passion ? Oui. Est-ce qu'il y en a des éclats ici ? Oui, car le roi est le berger du peuple, il ne faut pas l'oublier. Et ne pas oublier la parole : « Je frapperai le berger et les brebis seront dispersées » (Mt 26, 31). Tout le thème qui est repris dans le chapitre 10 de Jean a un rapport étroit avec la Passion, avec le berger et avec l'agneau, car il y a cette inversion que, dans l'ordinaire de la vie, c'est l'agneau qui fait vivre le berger, et là c'est le berger qui fait vivre l'agneau… enfin, il y a une entre-appartenance mutuelle : l'agneau de Dieu, c'est le même que le berger. Et c'est l'agneau de Dieu qui donne sa vie pour les brebis, alors que dans l'usuel du monde, ce sont les brebis qui nourrissent le berger. Est-ce qu'il y a des éclats de cela ?

Nous sommes loin d'avoir trouvé un chemin bien tracé. Nous relevons les choses qui se suggèrent, tout ce qu'il y a de plein dans ce texte. Nous verrons ce qui progressivement se retient, se développe, se répète, se réitère et donne, au fond, la direction, le chemin directeur pour cet espace du texte.

      ●   Versets 10-11a : l'épée de Simon-Pierre.

« 10Simon-Pierre donc, ayant une épée, la tira et frappa le serviteur du grand-prêtre : il lui coupa le coin de l'oreille droite.  Le nom du serviteur était Malchus. »

► Quelle est la signification de Malchus ?

J-M M : Je ne sais pas si c'est le mot hébraïque : melech signifie roi. Mais je ne peux pas affirmer.

« 11Jésus dit alors à Pierre : “Jette l'épée dans le fourreau. » Les Synoptiques disent à ce moment-là : « Celui qui se sert de l'épée périra par l'épée ». C'est une expression johannique, mais qui n'est pas dans le texte de Jean. Il y a des morceaux qui sont empruntés.

► Dans nos traductions nous avons : “Remets ton glaive au fourreau” ou “Jette ton glaive au fourreau”.

J-M M : L'épée, de toute façon, on la tire d'abord (v. 10). Les verbes tirer et jeter sont classiques, ils ont à voir l'un par rapport à l'autre. C'est intéressant parce que le verbe tirer, c'est le même que dans « Nul ne vient à moi si le Père ne le tire » (Jn 6, 44).

► Dans la TOB c'est traduit par dégainer.

J-M M : Ce n'est pas une traduction intéressante car elle ne garde pas le sens premier du verbe qui est susceptible d'être repris pour travailler. Par ailleurs “jeter le glaive au fourreau” n'est pas très français, néanmoins c'est une traduction fidèle au grec qui emploie le verbe ballô en composition dans un grand nombre de mots.

      ●   Verset 11b : boire la coupe ?

En revanche Jean éprouve le besoin d'introduire ici une autre citation : « La coupe que m'a donnée le Père, ne la boirai-je pas ?” »… ce n'est pas pensable que je ne la boive pas, bien sûr que je la boirai… mais… Cette expression n'est pas attendue ici ; néanmoins elle est intéressante pour moi à plusieurs titres parce qu'elle fait le chemin à la fois vers le baptême et vers l'eucharistie, c'est-à-dire qu'elle ouvre un chemin de symbolique (pas seulement de métaphore) : “Boire la coupe” fait signe vers la question que Jésus pose aux deux frères au jardin de Gethsémani, dans les Synoptiques mais pas chez Jean : « La coupe que je boirai, pouvez-vous la boire, ou le baptême dont je serai baptisé, pouvez-vous en être baptisés ? « (Mc 10, 38). Je signale cela en passant, ce n'est pas de la structure même de notre texte. Mais il me paraît intéressant que les expressions de la coupe et de la plongée aient signification par rapport à ce qu'il en est de la Passion.

Nous avons fait l'approche de ce premier moment. Nous avons dit beaucoup de choses par anticipation, des choses qui seront montrées par la suite, qui sont des indications possibles de lecture. Certaines seront confirmées, d'autres seront peut-être infirmées.



[1] J-M Martin reprend cette remarque un peu plus loin au chapitre I, dans "Passion-pâtir" (4ème titre du I).

[2] Un message sur les verbes paraître sur les verbes en hébreu dans le tag structures hébraïques.

[3] Voir dans ce chapitre un peu plus loin, juste avant "Jésus et Judas", et au chapitre VII dans le commentaire du verset 41.

[4] Ce texte sera lu au chapitre IV, au III, 2).

[5] La Passion du Christ fut mise en musique dès le haut Moyen Âge. Avant même que les premières sources (9ème siècle) ne l'attestent, le récit des quatre évangélistes était, dans la liturgie romaine, lu pendant la Semaine Sainte ou récité sur des notes de plain chant avec peu de mouvement mélodique. C'est sur cette base que se développèrent les Passions, selon des règles de composition musicale aussi originales que variées.

[6] La Passion selon saint Jean de J-S Bach sera écoutée. Voir les échos au chapitre IV, dans le III, 1).

[9] « 9Etait la lumière, la vraie, qui illumine tout homme en venant vers le monde11 Il vint vers les siens et les siens ne l'ont pas accueilli. 12Mais à tous ceux qui l'ont reçu, il leur a donné l'accomplissement de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom... 14 Et le Logos fut chair, et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire »  Cf. Les trois venues dans le Prologue de l'évangile de Jean : vers la mort, vers la méprise, vers l'accueil.

[10] Le chapitre 16, verset 16 est à nouveau commenté peu après, dans le commentaire du verset 7, sous un éclairage un peu différent. Voir aussi Jean 16, 16-32 : L'énigme ; la parabole de la femme qui enfante.

[11] Voir l'apparition à Marie-Madeleine dans ce cahier dans le commentaire du verset 7 plus loin, et Jn 20, 11-18 : Apparition du ressuscité à Marie-Madeleine. Première lecture  et Jn 20, 11-18 : Relecture à la lumière de Jn 16, 16-32. Le double retournement.

[12] Le tétragramme YHWH (יהוה) est composé de quatre consonnes sans voyelles. C'est une forme issue de la racine היה (HYH) du verbe être. “Ehyeh” est une forme du verbe être à l'inaccompli, on peut traduire par le présent ou le futur : “Je suis” ou “Je serai”. “Ehyeh asher Ehyeh” (“Je suis que je suis” ou autres traductions) et “Ehyeh” sont des noms de Dieu révélés à Moïse au sommet du mont Horeb dans le désert du Sinaï :

« 13Moïse dit à Dieu (Elohîm): “Voici que moi je vais venir vers les fils d'Israël, je leur dirai : “Le Dieu de vos pères m'a envoyé vers vous”. Ils me diront : “Quel est son nom ?” Que leur dirai-je ? 14Et Dieu dit à Moïse : “Ehyeh asher Ehyeh”. Et il dit : “Ainsi tu diras aux fils d'Israël : “ Ehyeh (Je suis), m'a envoyé vers vous”. » (Ex 3).

Pour les Juifs, le tétragramme – dont la vocalisation, si elle a jamais existé, n'est plus connue – ne doit pas être prononcé. Dans la conversation on utilise de préférence Ha-shem (« le Nom » - cf. Lévitique 24:11). Quand le lecteur rencontre le Tétragramme dans les Écritures, d’autres expressions doivent lui être substituées à l’oral, le plus souvent Adonaï (אדני, « Mon Seigneur »). La forme Yahvé (ou Yahwéh) est une reconstitution adoptée par beaucoup de traductions chrétiennes.

[14] 1 Samuel 5, 2-6 ; 1 Samuel 6, 19 ; 2 Samuel 6, 6-7 etc.

[16] « Celui-ci (Jésus), se retournant et regardant ses disciples, réprimanda Pierre, et dit : Va derrière moi, Satan » (Mc 8, 33).

 

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