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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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16 avril 2016

"Le Nom du Père est le Fils" dans l'Évangile de la vérité Folio XIX

La symbolique du nom est essentielle dans le premier christianisme. Jean-Marie Martin, spécialiste de saint Jean (cf Qui est Jean-Marie Martin ?), l'a étudiée en particulier grâce à L'évangile de la vérité, un texte sur lequel il a travaillé à l'École Pratique des Hautes Études avec Henri-Charles Puech. Un premier passage de L'évangile de la vérité qui parle du nom et de l'appel des hommes a déjà été commenté sur le blog (La symbolique du nom et la gnose. Lecture d'un passage de l'Évangile de la vérité). Ici il s'agit du Nom du Père, celui par exemple qui est invoqué dans le Notre Père : « Que ton Nom soit sanctifié ».

Messages parus ou à paraître sur l'Évangile de Vérité

 

 

"Le Nom du Père est le Fils"

Dans l'Évangile de la vérité

Folio XIX p. 38, 7 - 39, 23

 

Introduction sur le Nom de Dieu.

La symbolique du nom est essentielle dans le premier christianisme. En particulier le Nom de Dieu désigne Jésus lui-même en tant que le Nom lui est donné par le Père. « Que ton nom soit sanctifié » par exemple c'est : « que Jésus soit sanctifié ». "Le Nom" est une des dénominations de Jésus les plus importantes dans les toutes premières communautés chrétiennes. Il est le Nom de Dieu. Justement parce que cela est propre à la pensée sémitique, c'est une dénomination qui a rapidement disparu dans les communautés majoritairement hellénistiques, et c'est ce qui a fait la faveur de la dénomination de Logos car logos c'est un mot hellénistique. Et je me demande si, quand on cherche la signification du mot Logos dans le Prologue (« Dans l'arkhê était le Logos »), on ne pourrait pas penser que le plus originairement c'était : « Dans l'arkhê était le Nom ». Il y a pour cela des raisons que je n'explique pas ici.

Révélation du Nom à Moïse, Marc ChagallCe qui est intéressant d'ailleurs, c'est que d'une part le Nom reste le nom qui ne dit rien : « Je suis qui je suis »[2] et que d'autre part le Nom permet l'entrée en communication dans la fragmentation du Nom. En effet dans la mystique juive le Nom se fragmente en dénominations.

Chez saint Jean, le « Je suis » tout court se fragmente en dénominations qui sont les dénominations classiques, traditionnelles, initiales, fondamentales : il est Christ, Fils de l'Homme, Fils de Dieu… (ces noms ne signifiant pas exactement ce que nous pensons d'ailleurs) ; et puis aussi fragmentation dans des noms proprement johanniques[3] : la vérité, la vie, la lumière, le chemin… Ces noms fragmentaires sont des chemins, sont des approches de celui dont on ne peut pas prononcer et connaître le nom propre.

Cette mystique du Nom d'une part est juive, d'autre part est mise en œuvre par Jean mais aussi elle est révélée d'une certaine manière par les premiers lecteurs de Jean que sont les gnostiques.

Ainsi dans les textes valentiniens, les deux premiers éléments de la topographie fondamentale sont l'Abîme et le Plérôme : l'Abîme est le Dieu in-nommable et le Plérôme est le Nom de Dieu. Le Fils hérite du Nom, et le Plérôme c'est le Fils, le Fils "empli de".

« Le Fils, c'est le Nom » : cette expression se retrouve à plusieurs reprises dans les écrits du IIe siècle, en particulier dans l'Évangile de la vérité. Le Fils c'est le Nom, le Nom du Dieu innommable, ce qui correspond à une expression de Paul : « Il est l'eikôn (l'image) du Dieu invisible » (Col 1, 15) c'est-à-dire qu'il est le visible de l'invisible. De même il est le nommable de l'in-nommable, il est le Nom.

Il y a un seul Nom mais ce Nom se déploie en multiples dénominations qui sont les éléments du Plérôme.

 

2) Extrait de l'Évangile de la vérité.

À propos du Nom je vous ai parlé de l'Évangile de la vérité et vous m'avez demandé d'en lire un petit morceau. C'est un texte qu'il faut situer dans le premier tiers du IIe siècle. Les résonances johanniques sont considérables à toutes les pages, et c'est donc un texte qui, rétrospectivement, est très éclairant pour la lecture de Jean. On en a une version en copte et j'ai participé à la tentative d'en faire une rétroversion grecque, car on suppose que cela a d'abord été écrit en grec, ce qui est absolument plausible[4].

 

Christ à la créationVoici un passage qui concerne le Nom (folio XIX p. 38, 7 - 39, 23)[5]

« Le Nom du Père est le Fils ; c'est lui qui, dans le Principe (dans l'Arkhê), a donné le Nom à celui qui est sorti de Lui, qui était lui-même et qu'Il a engendré comme Fils. Il lui a donné son Nom qui est le sien propre, Lui à qui sont toutes choses qui sont auprès de Lui, le Père. Il a le Nom. Il a le Fils. Ils peuvent le voir. Mais le Nom est invisible parce que seul il est le mystère de l'Invisible qui est destiné à parvenir aux oreilles qui sont toutes remplies de lui. Et en effet, le Nom du Père n'est pas énoncé, il est manifesté par le Fils. C'est ainsi que le Nom est grand. Qui donc pourra prononcer un Nom pour lui, ce grand Nom, si ce n'est Lui seul à qui appartient ce Nom et les fils du Nom sur qui se reposait le Nom du Père, et qui se reposaient à leur tour dans son Nom ? Puisque le Père est inengendré, c'est Lui seul qui l'a engendré pour Lui-même comme Nom, avant qu'Il eût produit les Éons, afin que fut sur leur tête le nom du Père, le Seigneur, celui qui est le Nom authentique, ferme dans son autorité et sa puissance parfaite, parce que ce Nom n'est pas au nombre des mots et ce ne sont pas des appellations qui sont son Nom, mais il est invisible. Il a donné le Nom à lui seul, étant le seul à le voir, étant seul capable de lui donner le Nom.

Car celui qui n'existe pas n'a pas de nom. Car quel nom donnera-t-on à celui qui n'existe pas ? Au contraire, celui qui existe existe avec son nom, et il est le seul qui le connaît et c'est à lui seul qu'il appartenait au Père de l'appeler. Le Fils est son Nom. Il ne l'a donc pas caché dans son œuvre (dans le secret), mais le Fils était ; à lui seul il donnait le Nom. »

 

Comment le Fils est-il le nom du Père ? En ce que la donation du nom est celle d'un avoir à être, est un appel qui tire, qui donne un chemin, qui donne un héritage. C'est comme la bénédiction paternelle : la bénédiction du patriarche donne le nom et donne l'héritage, dans un avoir-à-être. Donc c'est quelque chose qui détermine …

 

●  Lecture commentée.

« Le Nom du Père est le Fils ; c'est lui qui, dans le Principe (dans l'Arkhê), a donné le Nom à celui qui est sorti de Lui, qui était lui-même et qu'Il a engendré comme Fils. – C'est le Père qui donne le Nom, ce n'est pas simplement qu'il se donne un nom, pas simplement qu'il donne un nom au Fils un, mais qu'il donne le Nom à la totalité des dispersés.

Il lui a donné son Nom qui est le sien propre, – le mien c'est le tien dit Jésus au Père en Jn 17, 6 : « Ils étaient tiens, et tu me les as donnés», ceci à propos des hommes. Ici aussi c'est sous le mode de la donation : « Il lui a donné son Nom qui est le sien propre » – Lui à qui sont toutes choses qui sont auprès de Lui, le Père. – Nous sommes dans le Prologue de Jean : « Celui-ci (le Logos) était dans l'arkhê auprès de Dieu.La totalité (panta) fut par lui » (v. 2-3) : le Logos, qui est une des dénominations du Nom, est auprès du Père – Il a le Nom. – Panta (la totalité) est un des noms du Plérôme, c'est-à-dire de la plénitude des dénominations fragmentées. Ces dénominations peuvent être considérées comme fragmentées ou comme unifiées, de la même façon que la multiplicité des hommes ne peut être considérée que de deux manières : sous la multiple déchirure ou sous la réconciliation. Il n'y a pas de pluriel insignifiant, de pluriel non qualifié. – Il a le Fils.

Ils peuvent le voir. – Il aurait mieux valu traduire : « on peut le voir » ou « il peut être vu » parce qu'en copte il n'y a pas de passif et on dit "on" ou "ils". « Il peut être vu » : quelle est cette épiphanie du Nom ?

Mais le Nom est invisible parce que seul il est le mystère de l'Invisible – c'est-à-dire ce mustêrion qui est l'Invisible, ce retenu, ce caché qui est l'Invisible – qui est destiné à parvenir aux oreilles qui sont toutes remplies de lui. – C'est-à-dire aux oreilles qui ont de quoi être toutes remplies de lui : elles sont remplies de lui et vides du Nom. C'est très difficile à traduire vous savez,

 Et en effet, le Nom du Père n'est pas énoncé, il est manifesté par le Fils. – La différence entre la parole énoncée et la parole manifestée est de la plus grande importance. C'est un nom qui ne consiste pas en voyelles et en consonnes, en mots du vocabulaire – autant de choses qui sont dites ailleurs à ce sujet –, mais qui est "destiné à". En effet le Nom du Père n'est pas énoncé, il est manifesté : il est manifesté par le Fils. Autrement dit le Nom c'est le Fils, puisque le Fils est la manifestation du Père, et que le Nom est aussi la manifestation du Père : « Père glorifie ton Fils – "ton Fils" étant la même chose que "ton Nom" d'après Jn 12, 28 – ce qui est que le Fils te glorifie (donc te manifeste) » (Jn 17, 1)[6] et « Philippe, qui me voit, voit le Père » (Jn 14, 9) : le Père n'est pas autre.

C'est ainsi que le Nom est grand. – C'est ainsi qu'il prend sa dimension – Qui donc pourra prononcer un Nom pour lui, ce grand Nom, si ce n'est Lui seul à qui appartient ce Nom et les fils du Nom… – magnifique expression. Je rappelle que le Nom en question ici est évidemment pris tout à fait au sens hébraïque, ce n'est pas une dénomination extérieure.

arbre généalogique de la gnose chrétienneD'une certaine façon le Nom est la dénomination intégrale de la totalité du Fils. Il faut ici que je parle de la constitution du Plérôme des dénominations, dénominations qu'on appelle aussi des Éons. Il y a une généalogie des dénominations : après le Fils monogène vient la génération du Logos (de la Parole) et ensuite vient celle de l'Anthropos (l'Homme)[7]. Là nous sommes très loin de tout anthropocentrisme. Ce qui est à penser dans la lecture de Jean, c'est de prendre au sérieux cette étrange affirmation pour nous que la parole précède l'homme, et que c'est la parole qui donne à l'homme d'être homme.

…les fils du Nom sur qui se reposait le Nom du Père, et qui se reposaient à leur tour dans son Nom ? – Le Nom repose. Le Nom est aussi un des noms du Pneuma, Pneuma qui repose sur Jésus dans la scénographie du Baptême, qui l'emplit, fait de lui la plénitude, le Plérôme : il est plein de toutes les dénominations qui sont résumées en « grâce et vérité » (Jn 1, 14), deux noms féminins, qui sont d'ailleurs mère et fille l'un par rapport à l'autre. En effet le Plérôme comporte une généalogie des noms, et en plus les noms sont couplés : le Père du Monogenês est couplé à la Grâce et le Monogenês lui-même est couplé à la Vérité.

Puisque le Père est inengendré, c'est Lui seul qui l'a engendré pour Lui-même comme Nom, avant qu'Il eût produit les Éons, – les Éons désignent précisément ces dénominations pour quoi nous n'avons aucune représentation possible, c'est-à-dire que ça ne désigne pas des entités (quoi que le mot entité soit appelé par la philosophie pour désigner un mode d'être dont on ne sait rien) ni ce que nous appelons des mots, bien sûr. Si le nom n'est pas simplement un mot, les dénominations non plus : elles ne sont pas ce que nous appelons un mot si nous entendons le mot comme de l'air frappé, de l'air sonore comme disaient les Anciens – afin que fut sur leur tête le nom du Père, le Seigneur, celui qui est le Nom authentique, ferme dans son autorité et sa puissance parfaite, parce que ce Nom n'est pas au nombre des mots – ce n'est pas sûr qu'ici on ait choisi la bonne traduction grecque[8]et ce ne sont pas des appellations qui sont son Nom, mais il est invisible. Il a donné le Nom à lui seul, étant le seul à le voir, étant seul capable de lui donner le Nom.

Car celui qui n'existe pas n'a pas de nom. Car quel nom donnera-t-on à celui qui n'existe pas ? Au contraire, celui qui existe existe avec son nom, et il est le seul qui le connaît et c'est à lui seul qu'il appartenait au Père de l'appeler. Le Fils est son Nom. Il ne l'a donc pas caché dans son œuvre (dans le secret), mais le Fils était ; à lui seul il donnait le Nom. » Comment le Fils est-il le Nom du Père ? En ce que la donation du Nom est la donation d'un avoir-à-être. C'est un appel qui tire, qui donne un chemin, qui donne un héritage. C'est comme la bénédiction paternelle : la bénédiction du patriarche donne le nom et donne l'héritage, donc donne un avoir à être.

Ce que je vous ai lu n'est que le début d'un passage sur le Nom, il y a quatre pages comme cela avec des éléments très répétitifs. Je ne sais pas si ça vous parle. Il ne faut pas prendre ce texte comme ayant autorité bien sûr – ça n'appartient pas au recueil canonique –, mais comme des indications de lectures de l'évangile de Jean qui sont dans la proximité historique, donc qui nous permettent de retrouver des structures de lecture de Jean auxquelles, peut-être, nous n'aurions pas pensé. C'est à ce titre-là que j'ouvre un ouvrage comme celui-ci.

 

3) L'invisible du Nom et l'appelable du Nom.

► Je me pose une question parce que saint Jean dit que le péché c'est de ne pas entendre,  et il est dit aussi que seul le nom de Jésus sauve[9].  Qu'en est-il alors de ceux qui n'entendent pas parler du nom de Jésus ?

J-M M : Je situe d'abord la parole de saint Jean et puis j'essaie de répondre ensuite.

Dans saint Jean, une seule chose justifie, c'est la foi, et une seule chose est l'objet du jugement, c'est de n'avoir pas la foi ; les deux choses se tiennent. Or le tout premier verbe qui dit la foi chez saint Jean c'est le verbe "entendre" : tout commence par le fait d'entendre. Entendre désigne ici : « être ouvert à ce qui vient », et même pour préciser, c'est être ouvert à la dimension de résurrection, ce qui veut dire ouvert à plus grand que penser ne se puisse, ou que l'expérience ne donne à voir. Comme je suis sauvé par la parole qui est une parole donnante de salut, si je n'entends pas, je ne suis pas sauf. Alors ceci peut poser plusieurs questions, mais avant de poser des questions, il faut d'abord se familiariser avec l'enjeu.

Si entendre est entendu sur le mode acousticien qui est notre façon de penser la parole, bien sûr que c'est absolument désolant : les pauvres gens qui n'ont pas eu l'occasion d'entendre parler de Jésus-Christ, ils sont condamnés. Seulement la parole ne se pense pas à partir de l'acoustique. Pour le dire autrement, nul n'est sauvé sinon dans le nom de Jésus, mais justement le Nom ne consiste pas essentiellement dans l'appelable du Nom, mais dans l'Invisible du Nom : c'est ce que nous avons entendu tout à l'heure dans notre texte : la notion de "l'invisible du Nom" : « le Nom est invisible parce que seul il est le mystère de l'Invisible qui est destiné à parvenir aux oreilles qui sont toutes remplies de lui. Et en effet, le Nom du Père n'est pas énoncé, il est manifesté par le Fils. »

Autrement dit, l'essence de ce qui est proposé par l'Évangile ne se mesure pas intégralement à la conscience que je peux en avoir, c'est-à-dire que je confesse et mon insu et l'insu de toute chose. Cette disposition d'ouverture est un attendre, car attendre est partie intégrante d'entendre. Si je dis « J'ai entendu » c'est que je n'entends pas. Entendre c'est encore et toujours attendre. Et attendre désigne cette ouverture, et trouve son accomplissement dans attendre l'inouï, c'est-à-dire attendre "plus grand que" qui est un des noms de la résurrection ; et finalement, c'est ne pas attendre quelque chose. Voilà, c'est quelque chose comme l'attente pure, l'attente qui ne sait pas ce qu'elle attend.

Il y a des échos de cela par exemple chez Heidegger – ce ne sont pas des échos de cela mais des équivalences ou des approximations de cela – dans un dialogue qui s'intitule : « Dialogue pour servir de commentaire à la conférence Sérénité »[10]. Ceci est une information pour qui s'y intéresserait, mais pour l'instant je m'en suis tenu à la lecture du langage johannique pour essayer de situer ce qu'il en est de l'entendre, la dimension de l'entendre : l'entendre est constitutif.

Nous avons dit tout à l'heure qu'être appelé, c'est être amené à vivre. Être appelé, c'est être appelé à plus grand même que ce que j'appelle couramment vivre, à cela qui se désigne comme espace nouveau, espace de résurrection.

 

 

ANNEXE. Traduction de Anne Pasquier[11]

folio XIX p. 38, 7 - 39, 23

Maintenant, le Nom du Père est le Fils. C’est lui qui au Commencement donna nom à celui qui provient de lui, qui est lui-même, 10et il l’enfanta comme Fils. Il lui donna le nom qui était le sien. C’est à lui, le Père, qu’appartient tout ce qui est auprès de lui. Le Nom est sien, 15le Fils est sien. Celui-ci, il est possible de le voir. Le Nom, en revanche est invisible. Car il est le mystère même de l’Invisible 20parvenant aux oreilles qui en sont entièrement remplies grâce au Fils. C’est que le Nom du Père n’est pas exprimé, mais il est révélé dans un Fils. Ainsi, comme le Nom est grand !

25Aussi, quel est celui qui peut lui attribuer un nom, le grand Nom, si ce n’est celui à qui le Nom appartient, et aux Fils du Nom en qui se reposait 30le Nom du Père et qui en retour se reposaient eux-mêmes dans son Nom. Dans la mesure où le Père n’est pas venu à l’existence, lui seul a pu l’enfanter pour lui comme Nom, 35avant même de disposer les éons, afin que le Nom du Père soit établi au-dessus de leurs têtes, comme Seigneur. C’est en effet le Nom [p. 39] véritablement ferme dans ses prescriptions, et dont la puissance est absolue. Or, le Nom n’est pas constitué de vocables, et son 5Nom ne correspond pas non plus à des désignations, mais il est invisible. Lui-même se donna un nom, puisqu’il se voit lui-même, c’est donc lui seul qui est capable de 10se donner un nom.

Car celui qui n’existe pas n’a pas de nom. Comment donc pourrait-on nommer celui qui n’existe pas ? 15En revanche, celui qui existe, existe avec son nom et se connaît lui-même, en sorte qu’il se donne un nom à lui-même : c’est le Père. Son Nom 20est le Fils. Par conséquent, ce n’est pas sous la chose qu’il l’a dissimulé, mais il existe : le Fils lui-même exprimait le nom.

 



[1] Dans sa lecture du Notre Père à la lumière de saint Jean et saint Paul, J-M Martin considère le début du Notre Père comme trinitaire : Notre Père, ton nom (le Fils), ton royaume (l'Esprit). Cf. Le Notre Père en Mt 6, 9-13, lecture à la lumière de saint Jean et saint Paul.

[2] Le "Je suis" de l'Exode est l'équivalent du tétragramme imprononçable YHWH (que certains prononcent impunément Yahvé)[2].. « 13Moïse dit à Dieu : '"Voici, je vais trouver les Israélites et je leur dirai : “Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous.” Mais s’ils me disent : “Quel est son nom ?”, que leur dirai-je ?"  14Dieu dit à Moïse : "Je suis celui qui est (Ehyeh Asher Ehyeh)". Et il dit : "Voici ce que tu diras aux Israélites : Je suis (Ehyeh) m’a envoyé vers vous." ». On trouve ce "je suis" à plusieurs reprises dans l'évangile de Jean.

Et justement, les juifs ne prononcent pas le tétragramme YHWH, mais dans les conversations ils disent souvent HaShem (le Nom) à la place. C'est donc “le Nom”, mais ce Nom n'est justement pas un nom puisqu'un nom, ça se prononce. Donc ici le Nom est le principe même de la prononciation de tous les noms, il n'est pas un nom parmi les noms.

[3] « Je suis la vérité », « Je suis la résurrection et la vie »…

[4] Le résultat du travail de l'équipe à laquelle J-M Martin a participé se trouve dans L'Évangile de vérité de Jacques Ménard, éd Letouzet et Ané 1962, on y trouve la rétroversion en grec et une traduction en français

[5] Le texte est extrait du folio XIX p. 38. La traduction qui figure ici est très proche de celle de Jacques Ménard, p. 74 de son livre. La traduction de Anne Pasquier qui figure sur internet a été mise en annexe.

[8] Voici une traduction faite directement à partir du copte: « le Nom n’est pas constitué de vocables ».

[9] En dehors du nom de Jésus « il n'y a sous le ciel aucun autre nom qui ait été donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés.» (Ac 4, 12)

[10] J-M Martin a donné des indications sur ce texte : Attente, nomination. "Pour servir de commentaire à Sérénité" de Heidegger .

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