CIEL-TERRE. Chapitre IV – L'angélologie. Et la Quasi-conclusion du cycle de rencontres
Voici la fin de la transcription du cycle animé par Jean-Marie Martin qui a eu lieu au Forum 104 à Paris en 2008-2009 sur le thème Ciel-Terre. L'examen de la symbolique Ciel-Terre dans saint Jean et surtout dans saint Paul, a poussé J-M Martin à à évoquer l'angélologie, les anges sous diverses dénominations, les anges étant les habitants du ciel et les hommes, les habitants de la terre. La dernière séance porte donc sur les anges : les anges dans la Bible, l'angélologie de saint Irénée, et l'angélologie valentinienne. Pour chacune il s'agit d'une approche. Plusieurs parties ont déjà été reprises et augmentées dans d'autres messages du blog, en particulier l'introduction générale sur les anges.
A la fin figure la Quasi-conclusion de l'ensemble des cinq séances.
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Chapitre IV
L'angélologie.
Voici la dernière séance de cette année. Par l'examen de la symbolique Ciel-Terre dans saint Jean et surtout dans saint Paul, nous avons été conduits à évoquer l'angélologie, les anges sous diverses dénominations, les anges étant les habitants du ciel et les hommes, les habitants de la terre. L'angélologie ouvre un programme immense et nous avons un très court temps pour en parler. L'ampleur nous conduirait de l'ange du Seigneur qui apparaît dans les livres bibliques jusqu'à, par exemple, les substances séparées de la théologie médiévale. Cette théologie, dont la structure est de type aristotélicien, présente des traits communs à la théologie catholique de saint Thomas d'Aquin, à la théologie musulmane d'Averroès, et aussi à une théologie juive. Quel chemin entre ces deux usages ou ces deux conceptions à propos de ce que nous appelons l'ange ?
Là, il aurait fallu passer – nous l'avons tenté très rapidement – par l'ange dans le Nouveau Testament. On aurait pu voir l'ange dans l'apocalyptique, pas simplement l'Apocalypse de Jean, mais le genre apocalyptique qui est aussi bien juif que chrétien. C'est un genre intertestamentaire, qui se trouve donc dans les deux Testaments et entre les deux Testaments, dans des ouvrages apocryphes, en passant par le pseudo-Denys au VIe siècle, grand théoricien des cohortes, des hiérarchies des anges, etc. Donc tout cela fournirait un parcours très vaste parce que finalement il y a une très grande différence d'une pensée à l'autre. Nous ne serions pas forcément aidés par l'appel à l'iconographie qui a des sources quasi hiéroglyphiques, en prenant le mot dans un sens large. L'iconographie des anges est une lecture qui est tout à fait étrangère à notre mentalité :
« On voit les séraphim torrides
et la nature ailée de l'air
Qu'en terre de ciel se décide
par le paraphe d'un éclair. »
● Vocabulaire angélique et fonctions des anges[1].
On peut donner quelques indications pour une approche de vocabulaire. Il y a référence, finalement, pour ce que nous appelons l'ange aujourd'hui, à deux racines hébraïques. La première est laracine hébraïque ל אּ כ (Lamed-Aleph-Kaph) qui donne lieu à mal'âch, qu'on traduit par l'ange : mal'âch Adonaï, l'ange du Seigneur. La racine désigne une fonction, pas forcément une fonction déterminée, mais le fait même de la fonction – ce n'est pas pour dire que les anges sont des fonctionnaires – une fonction, un service.
On verra que les principales fonctions des anges sont :
– soit une fonction liturgique, la fonction de chanter la gloire de Dieu. « Saint, Saint, Saint (hagios, hagios, hagios) » chantent les Séraphim (les brûlants) en Isaïe 6. Le chant est quelque chose de la parole, probablement l'essence de la parole. Le chant, c'est la fête de la parole. Le chant ici constitue cette action de grâce permanente qui est l'entour du Dieu, c'est-à-dire la reconnaissance du don autour du don, l'eucharistia, précisément ce que les hommes ne font pas selon saint Paul.
Dans le premier chapitre de la lettre aux Romains, la toute première faute de l'humanité c'est : « Ils n'eucharistièrent pas », ils ne rendirent pas grâce, c'est-à-dire qu'ils furent au monde sur le mode de la rapine, de la capture, de la prise de ce qui est là et non pas sur le mode de recevoir, et même de se recevoir avec reconnaissance. C'est une première carence fondamentale de laquelle sont issues toutes les autres carences développées par la suite dans le texte de Paul[2]. Donc cette fonction de chant a trait à la parole, à l'action de grâces et à la reconnaissance de la grâce (du don) qui constitue la gloire, la gloire c'est-à-dire les entours du Dieu.
– soit une fonction de porteurs de messages. Ils sont comme des aspects ou des fragments, ou des moments de la parole de Dieu adressée à l'humanité, comme des messages vivants[3]. Le terme de vie que j'introduis ici en passant fait rapport aussi à une autre source, celle des Kéroubim qui sont nommés aussi les quatre Vivants en Ézéchiel. Ça donne lieu aussi à toute une tradition. Mais le mot de "message" que j'ai employé fait surtout signe vers la parole. Nous avions la fête de la parole, le chant, nous avons la parole qui annonce ou qui appelle. Le rapport de l'ange et de la parole est très important.
En grec le mot ange se dit angelos, et le mot "évangile" lui-même c'est eu-angelion, bonne-nouvelle. En hébreu, cela correspond à la racine hébraïque basser, puisque la bessorah, c'est le message, le mebasser, c'est le messager de bonne nouvelle, et c'est le mot qui est traduit par un mot correspondant à angelos dans la citation d'Isaïe qui se trouve au chapitre 10 des Romains : « Qu'ils sont beaux les pieds des messagers de bonne nouvelle (euangelizomenôn) » (v. 15)[4]. Mais, par parenthèse encore, les pieds des anges, ça fait le même problème que la droite de Dieu. C'est en ce sens que je parle de façon un petit peu métaphorique d'une hiéroglyphie de la signification de ces mots-là, qui ne nous est pas du tout familière.
– Enfin, une dernière fonction serait d'être des gardiens pour les hommes.
Nous avons trace de ces différents services, de ces différentes fonctions.
Mais un trait commun dans notre langage serait de remarquer que, à propos de l'ange, ce n'est pas la question de la fonction – à quoi servent-ils, qu'est-ce qu'ils font ? – qui apparaît, mais la question du statut ontologique : qui sont-ils, sont-ils des personnes, sont-ils des substances séparées au sens du Moyen Âge – séparées c'est-à-dire non liées à un corps ? Quel est leur statut ontologique par rapport à l'ontologie aristotélicienne qui régit tout notre discours : "qu'est-ce que c'est ?"[5] Et bien ces questions ne sont généralement pas du tout développées dans les sources. Bien sûr, elles ont été posées par la théologie occidentale de façon très abondante : est-ce que ce sont des aspects de la puissance divine, est-ce que ce sont des substances en elles-mêmes, est-ce que ce sont des substances créées ou incréées ? C'est toujours notre fameux problème d'Occident à partir du IIe siècle, qui est a-pertinent d'entrée pour pénétrer dans l'espace scripturaire. Je dirai quelque chose sur ce sujet, mais cette question d'identification de l'ange quant à son statut ontologique est une chose dont la considération n'est pas postulée par nos textes. Il faudra dire pourquoi, ce n'est pas simplement négatif.
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C'était donc des réflexions de l'ordre du vocabulaire pour nous préparer. Nous allons entrer maintenant dans la considération. J'ai choisi, à travers cette multiplicité, deux petites tâches :
– la première est de prendre contact avec une angélologie simple, une angélologie catéchétique au cours du IIe siècle. Nous avons vu des choses sur cela, en particulier chez Paul. Qu'est-ce que la première Église en retient ?
– ensuite, plus difficile, mais aussi plus passionnant, dans une deuxième partie, je traiterai de l'angélologie des valentiniens dans ce même IIe siècle, à un niveau de réflexion ou de pensée qui est structurellement, à mon sens, plus fidèle à l'Écriture, mais dont les tenants seront bientôt, pour d'autres raisons, rejetés de la grande Église. Ils restent cependant des témoins intéressants d'une possibilité de pensée dans le domaine de l'angélologie.
I – L'angélologie catéchétique de saint Irénée (IIe siècle)
Pour la première partie, qui concerne les premiers échos d'une angélologie postérieure au Nouveau Testament, l'angélologie catéchétique, au cours du second siècle, je vais me servir de quelques pages d'un petit ouvrage de saint Irénée de Lyon qui s'intitule : Démonstration de la prédication apostolique. Le mot démonstration est à entendre au sens de monstration, c'est-à-dire d'exposition de la prédication apostolique. Il s'agit des choses essentielles qui sont de la prédication des apôtres, de l'annonce des apôtres tels que l'écho s'en donne de façon courante dans les églises au cours du second siècle. Il y en a d'autres.
Ce petit ouvrage, on en connaissait l'existence, mais il reste perdu dans sa langue originelle qui est le grec, puisque dans les Gaules du IIe siècle on écrit en grec, et Irénée est surtout connu par son gros ouvrage, "savant" entre guillemets, qui s'intitule Adversus Haereses, en cinq livres. Il est très précieux pour la connaissance des gnostiques, non pas du tout qu'il y comprenne quoi que ce soit, mais il rapporte les choses en témoin aveugle, donc il est utile sur ce plan-là. On a trouvé au début du siècle dernier un manuscrit en arménien qui est une traduction de ce texte perdu et c'est de là que je vais vous lire quelques passages. Je prends les numéros 8, 9 et 10, il n'y a pas de chapitres.
N°8 « Et si par l'Esprit le Père est appelé Très Haut et Tout-Puissant et Seigneur des Puissances – "par l'Esprit", c'est-à-dire par l'Écriture sainte inspirée par l'Esprit. Nous sommes au tout début de la catéchèse qui commence par expliquer la formule du baptême, la formule initiale : « Je te baptise au nom du Père et du Fils et de l'Esprit », l'Esprit, celui qui a parlé par les prophètes, c'est-à-dire par l'Écriture. Le Père est appelé « Très Haut et Tout-Puissant et Seigneur des Puissances », les Puissances, les dynamei, c'est un des noms dans l'ordre angélique puisque nous avons repéré ce mot-là, chez saint Paul entre autres, avec les Trônes, les Seigneuries etc.
… afin que nous apprenions que Dieu est lui-même créateur du ciel et de la terre et de tout cet univers, créateur des anges et des hommes et Seigneur de tous – Nous retrouvons ici saint Paul aux Colossiens : « par qui a été créé le ciel et la terre, les visibles et les invisibles, à savoir les puissances etc. » dont nous avons un écho fidèle. « Créateur des anges et des hommes et Seigneur de tous » : nous ne faisons plus attention à ces choses-là, mais "créateur" et "seigneur", ça ne dit pas la même chose : créateur, c'est celui qui a fait, mais il en est en même temps le seigneur, donc celui qui régit. Vous vous rappelez le début du "Je crois en Dieu" : Père, Tout-puissant, Créateur, trois titres pour Dieu. Père, le rapport Père-Fils, ce n'est pas une création ; Tout-puissant, Pantocrator, c'est-à-dire Seigneur, c'est un deuxième titre ; et enfin Créateur. On pense que le début du "Je crois en Dieu" c'est : je crois en Dieu Créateur ; mais non, c'est en Dieu Père, ensuite Seigneur et en troisième lieu Créateur. Je dis cela parce que ce qui va venir en avant à l'intérieur même de l'Église, c'est le titre de Créateur.
N°9 « Quant à ce monde, il est entouré de sept cieux – Nous avons ici la connumération septénaire des cieux. Nous avons dit qu'il y a une connumération ternaire quand Paul dit qu'il a été "ravi au troisième ciel", le troisième ciel disant la plus grande hauteur. Ici, sept cieux. On trouve cela chez d'autres. Il y a plusieurs traditions sur le comput, la numération des cieux, et entre ces numérations il peut y avoir des sous-numérations. On peut penser que quelque part il y a : le ciel qui est l'empyrée, le ciel du Père ; le ciel des fixes donc les constellations ; et puis le ciel des planètes dans lesquelles sont comptés les luminaires – chez les anciens, soleil et lune font partie des astres errants, planète signifie astre mobile par rapport aux constellations des fixes ; et puis par exemple le ciel atmosphérique qui, quelquefois, est compté, quelquefois n'est pas compté dans le nombre. C'est très difficile de se faire une représentation fixe, elle est fluente.
… dans lesquels habitent des puissances innombrables – Le terme innombrable est en effet très fréquemment employé à propos de ces immenses cohortes angéliques. – des anges et des archanges – Ici nous avons une première distinction. – qui assurent un culte au Dieu Tout-Puissant – Voilà la fonction que j'appelais liturgique, qui correspond au chant, mais ce n'est pas précisé ici – et créateur de toutes choses, non qu'il en ait besoin – C'est un souci constant au cours du IIe siècle d'affirmer que Dieu n'est pas dans le besoin. On trouve déjà des éléments de ce genre chez saint Jean, comme le fait que Jésus fut baptisé : « Non pas qu'il en eut besoin pour lui-même mais c'est pour nous ». – mais afin qu'ils ne soient pas, du moins, désœuvrés, inutiles et ingrats – ingrats : ils ont donc la fonction d'exprimer la gratitude, l'action de grâce, en particulier par leur chant. Le mot ingrat ici a une signification assez intéressante.
C'est pourquoi la présence intérieure de l'Esprit de Dieu est multiple – voilà un point très intéressant, comme si les anges étaient l'Esprit de Dieu multiplié – et c'est celle qui est énumérée par le prophète Isaïe en sept formes de ministères qui se sont reposées sur le Fils de Dieu, c'est-à-dire le Verbe, à sa venue en tant qu'homme. – Pourquoi "reposées" ? eh bien, c'est le Baptême : l'Esprit de Dieu était dispersé partiellement sur les prophètes, les prêtres, les rois (dans l'Antiquité, ils étaient oints de l'Esprit), comme le dit l'épître aux Hébreux : « lui qui a parlé jadis de façon fragmentaire et multiple, s'est rassemblé dans la seule parole unique ». Au Baptême, c'est le Pneuma qui se rassemble – j'y ai déjà fait allusion car c'est une image fondamentale dans le Nouveau Testament, et chez saint Jean l'Esprit descend et demeure sur lui, se repose sur le Christ. D'où vient le verbe "reposer" ici ? C'est la citation d'Isaïe. – En effet il dit : « Sur lui reposera l'Esprit de Dieu – et l'énumération – esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, de science et de piété, l'esprit de la crainte de Dieu le remplira» (Is 11, 2-3) – Nous avons sept formes, sept noms, qui sont des divisions premières de l'Esprit de Dieu, qui sont rassemblés sur le Christ, qui le remplissent. Le Pneuma remplit toujours, il remplit et il est versé sur l'humanité
« Le premier ciel à partir d'en haut, qui contient tous les autres est celui de la sagesse (la sophia) ; le second après celui-là, celui de l'intelligence ; quant au troisième, celui de conseil (boulê) ; le quatrième compté en descendant d'en haut, celui de force ; le cinquième celui de science ; le sixième celui de piété ; et le septième, ce firmament qui concerne notre monde – Le plus bas puisqu'on va en descendant[6] – l'esprit de crainte, cet esprit qui illumine les cieux – L'expression « qui illumine les cieux » est très importante car elle prépare le tupos du chandelier brillant dans le Saint – Car Moïse en a reçu le typos – Le type, le modèle ou plutôt le typos ; c'est un peu le sceau qui imprègne – un chandelier aux sept branches brillant constamment dans le Saint – car c'est comme type des cieux que Moïse a reçu le culte selon ce que le Verbe lui a dit : « Tu feras tout selon le type des choses que tu as vues sur la montagne »(Ex 25,40 et Héb 8, 5) ».
N°10. « Ce Dieu est glorifié par son Verbe qui est son Fils pour toujours, et par l'Esprit Saint qui est la Sagesse du Père de toutes choses – Vous avez ici le Père, le Logos et la Sagesse (ou l'Esprit Saint qui est la Sagesse). Vous vous rappelez que la sagesse était le premier des termes énumérés dans le septénaire que nous lisions tout à l'heure – et les puissances de ce Verbe et de cette Sagesse – Il faut savoir qu'il y a toute une tradition, au cours du IIe siècle, qui assimile la Sagesse à l'Esprit Saint et une autre tradition qui assimile la Sagesse au Fils même, chez Tertullien en particulier – qui sont appelées Keroubim et Seraphim, glorifient Dieu par des chants qui ne cessent pas. Et tout ce qui existe, autant qu'il en est dans les cieux, rend gloire à Dieu le Père de toutes choses. C'est lui qui par son Verbe a donné au monde entier d'exister, et dans ce monde-ci il y a aussi des anges. Et à ce monde entier il a posé comme loi qu'un chacun demeure à sa place et ne franchisse pas la limite fixée par Dieu, chacun accomplissant l'œuvre ordonnée (dans son ordre). – Accomplir le service »
Ceci a sa simplicité en son lieu, je ne dis pas que ça réponde à nos questions immédiatement, mais ça nous introduit dans les premiers échos de ce que nous avons aperçu à propos des habitants des cieux et de la terre.
Le numéro 11 commence par : « Quant à l'homme … », donc nous sommes après les anges. Et la suite de cette démonstration est une constante relecture des choses essentielles du Nouveau Testament à partir des textes de l'Ancien. C'est toujours les mêmes qui sont pris par les auteurs au cours du deuxième siècle, à travers lesquels s'expriment ce qu'ils entendent d'essentiel dans l'Évangile, à travers des textes de l'Ancien Testament. Voilà un petit témoignage simple.
Je voudrais maintenant entreprendre une tâche plus difficile mais qui sans doute nous conduirait plus loin. Elle est plus difficile en ce sens que, dans un premier temps, elle nous paraîtra même plus étrangère que ce que nous venons d'entendre. Mais en fait c'est plutôt la méditation de cela qui pourrait nous conduire à entendre quelque chose qui ait authentiquement sens pour nous dans cette affaire d'angélologie. Il y faut un détour assez sérieux. Donc j'entreprends maintenant une très sommaire et très courte présentation de l'angélologie valentinienne.
II – L'angélologie valentinienne
1) Parcours à travers trois lieux fondamentaux.
Voici d'abord une sorte de topographie où situer les mots que je vais prononcer[7]. Les lieux fondamentaux sont :
– l'Abîme : vous n'oubliez pas que l'abîme chez les valentiniens est ce qu'il y a tout en haut. Il garde la signification de abussos, c'est-à-dire l'infranchissable. Il a d'ailleurs souvent un autre nom anexikhniastos, (ikhnos = la trace, la piste ; an = ne pas) donc celui dont on ne peut trouver la trace, le non-franchissable, l'impénétrable, qui correspond au Père.
– Ensuite, en dessous, mais ce n'est pas un dessous d'infériorité, malgré la difficulté en français de comprendre cela : le Plérôme. L'infranchissable est comme un vide, et la plénitude correspond à ce vide et correspond au Fils, au Fils un, au Monogenês. Le Fils est l'arkhê d'une plénitude, d'un Plérôma. Ceci ne fait que traduire saint Jean : « Dans l'arkhê était le Logos – l'Arkhê est un des noms du Logos, c'est ce qui ouvre et ensuite règne sur ce qu'il a ouvert, donc sur le déploiement de l'Arkhê. Cette plénitude, ce Monogène est plein de – de quoi, on verra – et de cette plénitude nous avons tous reçu et donation sur donation (grâce sur grâce) ». Nous avons là le prologue de saint Jean, le mot Plérôme est un mot de saint Jean. Ce Plérôme est à la fois le Fils et une multitude, mais de quoi et comment ?
– Enfin, en dessous, le "hors du Plérôme" qui est un autre vide, un vide négatif celui-ci, alors que le premier vide est un et égal avec la plénitude. Le rapport du plein et du vide est tout à fait positif entre le Père et le Fils, en revanche le "hors du Plérôme" est un vide de carence, de manque, hysterêma. Le manque : le mot est pris à saint Jean « husterêsantos tou oinou, le vin venant à manquer », c'est le mauvais vide, le vide indu.
- le Plérôme est plénitude, et ce vide est le mauvais vide.
- l'espace de plénitude est lumière, ce vide est espace de ténèbre.
- l'espace de plénitude est sagesse, ce vide est folie ou sottise.
Les trois expressions : le vide, la ténèbre et la folie, sont employées par Paul pour désigner l'espace dans lequel nativement nous nous tenons. Ils sont constamment énumérés ensemble. Ils sont la première conséquence de la non-eucharistie : « Ils n'eucharistièrent pas et c'est pourquoi … » ils entrent dans la ténèbre, le vide et la folie[8]. La folie, c'est aussi la fausse sagesse, c'est-à-dire la sagesse de ce monde, la philosophia par rapport à l'annonce évangélique. Et cette énumération ternaire se retrouve, nous la trouvons dans la lecture des Éphésiens, donc c'est une espèce d'énumération constante et structurelle qui se trouve précieusement gardée par les valentiniens alors que la grande Église ne la retient pas.
Ce sont les trois grands éléments de la topographie fondamentale. Il faudrait reprendre cela, retraverser ces espaces. Nous le ferons à plusieurs reprises pour nous familiariser avec cette topographie.
Résumé très schématique.
De haut en bas il y a :
- L'Abîme qui correspond au Père. C'est le vide positif.
- Le Plérôme (la Plénitude). Et le Monogène (Fils un) est arkhê de cette plénitude.
- Le "hors du Plérôme" qui correspond à notre espace. C'est le vide du "manque".
Ce sont les trois grands éléments de la topographie fondamentale.
Le Monogène est Fils par rapport à ce qui le précède (l'Abîme) et il est Arkhê par rapport à tout ce qui s'ensuit dans le Plérôme.
Nous verrons que, dans le Plérôme, il s'agit des noms qui sont attribués à Dieu. Il y a des noms masculins et des noms féminins, donc leur rapport est pensé comme un rapport de couple ou alors comme un rapport générationnel : le père et le fils. On peut lire tout ce qui va suivre comme une histoire du vocabulaire, des vocables, des noms de Dieu. Il est très important pour l'angélologie que ce soit les noms de Dieu.
2) Parcours de l'Abîme au Hors-Plérôme.
a) Le Plérôme comme nommable de l'in-nommable.
● L'Abîme : Dieu in-nommable vers qui se tourner.
Je reviens à l'Abîme dont nous avons dit qu'il était l'impénétrable : il est l'innommable, le Dieu innommable. L'innommable de Dieu est véritablement ce vers quoi il nous est donné de nous tourner. Se tourner vers l'innommable est notre mode possible d'être à son endroit. Ceci est très important pour l'intelligence de la prière. Nous avons des idées sur Dieu, nous ne prions pas nos idées sur Dieu, nous prions Dieu plus grand que les idées que nous en avons, que nous pouvons en avoir. Nous prions Dieu lui-même. Si nous prions notre idée de Dieu, nous sommes idolâtres car nos idées sont toujours de petites idées, des idoles. Cela fait écho à la prière qui se trouve à la fin du chapitre 3 des Éphésiens : « Ô Dieu qui peut en surdébordement par rapport à ce que nous pouvons penser et désirer (penser et demander, c'est la même chose) ». La prière, c'est de s'adresser au Dieu plus grand que notre pensée de Dieu et que notre désir même de Dieu, de Dieu qui surpasse tout désir. C'est très important.
● Le Plérôme : le nommable de l'in-nommable, Fils "empli de".
Le deuxième passage que nous faisons sur le ternaire : Abîme, Plérôme et "hors du Plérôme", oriente notre regard vers la parole, puisque cette fois nous nommons l'Abîme précisément innommable, et c'est pourquoi le Plérôme est le Nom de Dieu.
Le Plérôme, c'est le Fils, c'est le Fils "empli de".
« Le Fils, c'est le Nom » : cette expression se retrouve à plusieurs reprises dans les écrits du IIe siècle[9]. Le Fils c'est le Nom, le Nom du Dieu innommable. Cela correspond à l'expression de Paul : « Il est le visible de l'invisible, l'éikôn (l'image) de l'invisible ». Il est le nommable de l'in-nommable. Il est le Nom. Le fils en effet hérite du nom.
b) Le déploiement du Nom en multiples dénominations.
Or l'important, dans ce qui va suivre, c'est que le Nom se déploie en multiples dénominations. C'est pourquoi le Plérôme est l'ensemble des dénominations de Dieu. Il y a un seul Nom mais ce Nom se déploie en multiples dénominations, ce qui correspond à ce que nous trouvons chez saint Jean quand Jésus dit « Je suis la vérité », « Je suis la vie »… Dans ces "Je suis", le "Je" christique indique l'unité, unité porteuse d'une multiplicité puisqu'il y a de multiples dénominations qui sont autant d'aspects, peut-être faudrait-il dire des ins-pects : le préfixe "a" marque l'extériorité, tandis que le préfixe "in" marque une multiplicité intérieure, inspectus.
● Comme dénomination, Logos précède Anthropos.
C'est à bon droit par ailleurs que nous envisageons tous ces aspects de vocables et de vocabulaire, car dans le processus que nous indiquons ici la parole vient en premier. « La parole précède l'homme ». Voilà une phrase qui serait longue à méditer, qui mettrait en cause toute notre façon d'être au monde, qui a un sens authentiquement johannique puisque la première dénomination du Monogène ou de l'Arkhê, c'est le Logos : « Dans l'arkhê est le Logos ». Qu'est-ce qu'une parole qui se tient ici et qui n'est pas l'émanation ou la production d'un homme, ou d'un pensant ?
"La parole précède". C'est un des thèmes majeurs, à un autre point de vue, de l'un des derniers ouvrages d'Heidegger, Acheminement vers la parole. C'est dans un champ proprement philosophique. Quelque chose de ce genre est aperçu. Mais je vous donne là des informations, et il ne faut pas escompter qu'en quelques moments d'informations de ce genre, on opère l'étonnant passage qui constitue le fait d'être dans un monde dans lequel la parole précède l'homme. C'est vraiment tout autre chose. Donc « Dans l'arkhê était le Logos … et le Logos fut homme (fut chair) » c'est-à-dire que l'homme n'est rien que le porte-parole, le porteur de la parole, celui qui recueille la parole, la parole qui le précède[10].
Du couple Logos et Vie émanent dix dénominations (ou éons) qui sont sans importance, et douze émanent de Homme et Ekklêsia. Au total cela fait 30, à savoir 10 et 12 plus les 4 couples indiqués.
c) Démembrement du Nom et ouverture du Hors-Plérôme.
Je donne une dernière information à ce sujet pour poursuivre notre parcours descendant : nous faisons un deuxième parcours de l'Abîme jusque-là où nous sommes, c'est-à-dire hors du Plérôme.
Il y a le Nom et le déploiement du Nom, mais il n'est pas seulement un déploiement, il est aussi un démembrement du Nom. Le thème du démembrement du Nom se trouve aussi dans certaines mystiques juives – pour autant qu'on puisse parler de mystique juive. Cela s'inaugure à l'intérieur du Plérôme.
L'aspect le plus bas du Plérôme est la Sophia[11], dans cette perspective-là, la Sophia en tant qu'elle est Sophia de l'homme[12]. Nous ne sommes plus ici dans le champ où la Sophia égalait l'Esprit Saint, nous sommes dans une autre perspective.
La Sophia introduit du trouble à l'intérieur du Plérôme et cela arrive à la région des dieskorpismena, des déchirés, de la déchirure. Et la première déchirure est celle du vocabulaire, c'est l'ouverture du malentendu, de la méprise (se méprendre) : la méprise et le malentendu règnent sur le "hors du Plérôme", mais ils ont leur initiation première à l'intérieur du Plérôme.
Sophia qui est le plus petit et le dernier des éons du Plérôme y introduit le trouble. En effet elle veut saisir le Père. C'est une entreprise aprakton, impraticable, impossible, car le Père est imprenable, et imprenable parce qu'il se donne. Si l'essence de ce qui est en question ici est, comme nous l'avons dit, le don, vouloir prendre le don, vouloir le prendre par ses propres ressources, ses propres forces, c'est le manquer. Ceci ouvre le manque (husterêma)[13] et introduit un trouble parmi les éons, c'est-à-dire parmi les dénominations de Dieu. Le manque ouvre le champ du "hors Plérôme", donc le lieu où nous sommes.
d) Intervention du couple Christos-Pneuma.
Il faut poursuivre ce qui s'ensuit à l'intérieur du Plérôme. En quoi consiste la restauration de ce lieu qui ne peut pas se tenir dans le manque puisqu'il est la Plénitude ? C'est le Pneuma et le Christos – non plus le mot Logos mais le mot Christos – qui interviennent.
Le Christos, celui qui est oint de Pneuma, instruit les éons, instruit les dénominations, et leur apprend à eucharistier. Il instruit les éons et les égalise et leur apprend à eucharistier.
– Il les instruit, donc c'est la donation d'une révélation, d'un dévoilement, que les éons n'avaient pas encore reçu.
– Il les égalise, c'est-à-dire qu'il leur apprend qu'ils sont dans la méprise quand, dans leurs différences, ils se prennent séparément, ils se séparent. C'est-à-dire que toutes ces dénominations : " Je suis la parole", "Je suis la vie", "Je suis la lumière", ne sont vraiment comprises que lorsqu'elles disent la même chose et non pas des choses différentes, quand elles disent l'indicible, quand elles disent la Résurrection. C'est toute une histoire de la parole.
– Et enfin, il leur apprend à eucharistier, c'est-à-dire qu'ils sont dans leur juste mesure quand ils se reconnaissent comme don, donnés, à eux-mêmes et aux autres. Eucharistier, c'est reconnaître le don, c'est donc reconstituer la gloire, la gloire qui est la reconnaissance du don comme don.
e) Autres dénominations : éons, anges, logoï (paroles).
Tout ceci est en soi très simple. Je pense que ça vous paraît un peu complexe, mais j'informe.
Je voudrais ajouter ceci : pourquoi dit-on les éons ? Et puis quel rapport y a-t-il avec les anges ? Et bien il s'agit de différents noms du Christ lui-même, de ses multiples dénominations. Or le Christ, est l'Ange du Grand conseil. Donc les multiples aspects du Christ sont angéliques, ils peuvent être appelé des anges (angélicoï), de même que le Christ est l'Aïôn, il est l'âge nouveau, la zoê aiônios (la vie éonique) – ce qu'on traduit par la vie éternelle –, et que les multiples aspects de la vie éonique s'appellent les éons. Les éons sont des aspects de l'aïôn. Les anges sont de multiples aspects de l'Ange par excellence, de même que les logoi – autre nom des éons –, ce sont des paroles, des messages ; les anges, ce sont des éons.
Tout ce qui est au singulier dans le Christ se déploie, et les déploiements méritent tous les mêmes noms quand ils sont égalisés, quand ils sont pensés dans leur identité profonde et pas simplement dans leurs différences[14]. Il y a ici un rapport très complexe parce que nous sommes dans un rapport de type générationnel, donc du type de l'enfantement, donc à penser sur le modèle du rapport du père et du fils et pas sur le mode de la création[15], et cependant nous avons déjà ici un vocabulaire de la multiplicité.
Par exemple les anges, pour nous, sont des créatures. Or, pas ici. Voyez la différence, voyez le chemin. Je suis sûr que vous ne voyez pas, mais j'indique quand même. C'est une première indication dans ce champ-là.
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Bref regard sur les deux premiers parcours.
Donc nous avons fait un premier parcours qui avait pour tâche de nous faire relire le parcours le plus connu, le plus familier, entre le Père inconnu, la connaissance ou le Nom ou le visage du Père, qui est le Fils, et puis l'au-dehors de cela qui est la région de la ténèbre. Ensuite notre deuxième parcours a été de relire la même chose, mais dans le vocabulaire prioritaire du vocabulaire précisément, c'est-à-dire de la parole[16]. De quoi s'agit-il dans tout cela ? De parole. Seulement, ce qu'est le nom chez les Anciens est tout à fait autre chose que ce que nous appelons simplement un nom. Ce qu'est la parole précède ce que nous appelons la réalité des choses, etc. Ce qui nous dispense de répondre à la question : existent-ils, sont-ce des aspects de notre regard sur Dieu ? Ils ne sont ni l'un ni l'autre au sens où nous posons la question, c'est-à-dire qu'ils sont les deux, mais d'une autre manière. Jamais nous n'entrerons à l'intérieur de cette pensée tant que nous serons alourdis de nos questionnements et représentations d'occidentaux. Il faut les déposer pour que nous puissions quelque peu pénétrer dans cette affaire.
3) Troisième parcours : l'angélologie.
Pour poursuivre, nous reprenons le même chemin, ou du moins une partie du chemin, en accentuant notre regard sur le mot ange ; nous l'avons fait sur le mot parole (logos), maintenant sur le mot ange.
Nous avons dit : ange est un des noms de Jésus, au singulier : "l'Ange". Rappelez-vous bien que, dans la perspective hébraïque, "le pain", ce n'est pas du pain ; "l'Ange" ce n'est pas un ange. Ce n'est pas un ange parmi les anges. Le mot ange est une des nominations de Jésus qui a cours au second siècle, surtout sous la forme de "l'Ange du Grand conseil", c'est-à-dire de la grande délibération divine. C'est la communication de la délibération divine. Au fond, la délibération divine, c'est « Faisons l'homme », Dieu délibère[17]. Et l'ange qui annonce et manifeste le conseil délibérant, c'est Jésus lui-même.
● Le Plérôme comme chambre nuptiale.
Nous avons vu que le Fils Monogène est l'Aïôn et qu'il y a des éons ; qu'il est le Logos et que les éons sont aussi appelés des logoï (des paroles), de même il est l'Angelos[18] et les éons sont appelés des angeloï (des anges). Il y a dans tout cela à nouveau un rapport de singulier et de multiplicité, car les noms engendrent, autrement dit les noms sont des semences (spermata), et un des noms du Plérôme est "la chambre nuptiale".
● Les aventures de la "femelle" dans le Hors-Plérôme.
L'extérieur du Plérôme est le lieu où a été rejetée la "femelle", c'est-à-dire la manifestation de Sophia, la fille de Sophia (fils ou fille signifie "manifestations"). La "femelle" a été rejetée provisoirement hors de la chambre nuptiale, mais elle sera réintégrée puisqu'elle est d'essence spirituelle (pneumatique).
● La distinction semences mâles/semences femelles.
Il y a une distinction fondamentale entre les semences (ou la descendance) qui sont issues de la chambre nuptiale et les semences issues de la "femelle" à l'extérieur du Plérôme :
- les semences (sperma) issues de la chambre nuptiale sont appelées angelica (angéliques).
- l'humanité est enfantée par la "femelle" en dehors de la chambre nuptiale, mais le sperma angelicon est l'essence de cette humanité[19].
Nous retrouvons ici toute la thématique des deux naissances qui se trouve explicitement chez Jean : « Si quelqu'un ne naît pas d'en haut, il n'accède pas au Royaume », Royaume qui est un autre nom du Plérôme, de l'Aïôn, de la plénitude.
La semence angélique est appelée semence "mâle"[20] par opposition à la semence femelle de laquelle nous sommes nés au sens usuel de notre naissance[21]. L'humanité, issue de la femelle, est enfantée en dehors du Pneuma, en dehors de la chambre nuptiale. Cependant, notre véritable semence est de la chambre nuptiale, et le Christ descend chargé de cette semence nuptiale pour qu'elle rencontre notre humanité. C'est la part insue de nous-mêmes, c'est le "Tu ne sais" pneumatique qui est semence ou étincelle de divinité, de Dieu, dans l'humanité. Quand cette semence est chez nous, elle est "dans" le monde mais elle n'est pas "du" monde, elle est de la chambre nuptiale, donc elle cherche sa réintégration dans la chambre nuptiale en même temps que la Sagesse qui a été provisoirement jetée en dehors du Plérôme.
Le rapport entre "chambre nuptiale" et "le dehors de la chambre nuptiale" correspond, chez saint Jean, à la distinction entre ceux qui sont dans la chambre nuptiale – l'époux et l'épouse – et le Baptiste qui se tient en dehors de la chambre nuptiale et qui entend la voix de l'époux[22]. La symbolique époux-épouse, qui est une symbolique fondamentale aussi bien chez Jean que chez Paul, intervient ici.
Ceci pour expliquer quelques textes qui peuvent paraître très énigmatiques, dont je vous donne connaissance, qui, après les petites préparations que nous avons faites, pourraient éventuellement commencer à vous parler. Je prends ceci dans les Extraits de Théodote de Clément d'Alexandrie. C'est un lieu majeur pour cette question. Par ailleurs la thématique de la chambre nuptiale, je vous le signale, se trouve surtout développée dans l'évangile de Philippe, un pseudépigraphe qui n'appartient pas au canon de nos Écritures, mais dont le livre est très intéressant[23].
4) Extraits de Théodote (n° 2, 3, 21, 22, 35, 36).
Les "Extraits de Théodote" sont un carnet de notes fait par saint Clément d'Alexandrie. Il recueille les notes d'un gnostique issu de l'école valentinienne, qui s'appelle Théodote. Peut-être y a-t-il des notes d'autres gnostiques qui s'y mêlent, et en plus des réflexions de Clément d'Alexandrie lui-même. C'est un carnet de notes où il prend des citations, et puis il fait ses propres réflexions. Il est souvent assez difficile de savoir déceler – on y arrive – ce qui est citation et ce qui est de son propre. Clément d'Alexandrie est très différent d'Irénée. Irénée est toujours ironique et méchant à l'égard des gnostiques, alors que Clément d'Alexandrie discute avec eux : « Nous, nous disons plutôt que … », donc nous sommes dans une lecture plus intéressante.
Voici quelques citations (Sources Chrétiennes n°23, édition du Cerf).
N°2. « 1Les valentiniens disent : lorsque le "corps psychique" eût été façonné – ici nous sommes hors du Plérôme, dans la formation de Adam du chapitre 2 de la Genèse qui est Adam façonné – une semence mâle fut déposée par le LOGOS dans la psyché "élue" qui était en sommeil, semence qui est un effluve de l'élément angélique, aporroia tou angelicou. – ici donc, nous sommes dans une perspective où anges et hommes ne sont pas simplement des habitants de lieux différents, mais sont dans un rapport d'échange, de proximité : l'homme devient angelicos, angélique lorsqu'il déploie pleinement sa semence authentique, son être authentique, son nom dans la pensée de Dieu, dans le Plérôme de Dieu – afin qu'il n'y eut point de déficience, husterêma – le manque dont nous parlions tout à l'heure – 2Cette semence opéra comme un ferment, unifiant ce qui apparaissait comme divisé, à savoir la psyché et la chair (...), c'est la semence déposée dans l'âme par le SAUVEUR. Cette semence est un effluve de l'élément mâle et angélique (…) ». Le rapport masculin-féminin est l'équivalent ou l'analogue ici du rapport angélique-humain. Je reviendrai sur l'usage du vocabulaire des dualités dans cette écriture-là.
N°3. « 1Le SAUVEUR étant donc venu, a réveillé l'âme et enflammé l'étincelle – cette aporroia, cette émanation, s'appelle maintenant étincelle – car les paroles du Seigneur sont puissance (dunamis). C'est pourquoi il a dit : « Que votre lumière brille devant les hommes – donc l'élément lumineux est insufflé et se met à vivre –. 2Et, après sa Résurrection, insufflant son esprit dans les Apôtres, de son souffle, il chassait le "limon" comme cendre et le séparait, tandis qu'il enflammait l'étincelle et la vivifiait. » Le Pneuma, c'est ce qui, venant, insuffle, et de son souffle réveille, enflamme l'étincelle et chasse la cendre : magnifique image.
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Il y a beaucoup de passages que j'essaie d'éviter dans cet ouvrage parce qu'ils ouvrent à un autre problème : ce sont des préoccupations du temps de Clément d'Alexandrie, donc du début du IIIe siècle qui relit ces textes du IIe siècle, et pour qui la problématique est de savoir ce qui est corporel et ce qui est incorporel. Mais c'est une problématique très différente du sens que nous donnons à ces mots-là.
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N°21. « 1Le texte : « Il les créa à l'image de Dieu, il les créa mâle et femelle » désigne, au dire des valentiniens, la meilleure émission de Sagesse. Les mâles qui en proviennent sont l'élection (hê eklogê) ; les femelles sont l'ensemble des appelés (hê klêsis). » Les appelés et les élus, nous savons que ce sont les mêmes, qui sont appelés en tant qu'ils sont encore semence de femelle. Mais la femelle engendre avant que le produit engendré ne soit accompli, c'est-à-dire qu'elle engendre une matière informe, non accomplie, qui est appelée "avorton". Tout cela ne correspond pas à notre usage exact des mots de notre vocabulaire. « Les mâles qui en proviennent sont l'élection» c'est-à-dire que les élus sont tous les hommes – car l'étincelle est déposée dans tous les hommes. Je ne suis pas sûr qu'ensuite les Valentiniens aient entendu cela. Ils ont souvent entendu qu'ils étaient, eux, la semence appelée et élue, ou que les appelés étaient les autres, et que eux étaient les élus – il y avait des oppositions –, mais cela, c'est plus tardif. Dans un premier temps, ils restent dans la lecture proprement issue de Jean et de Paul dans ce domaine.
« Ils nomment mâles les éléments angéliques (angelica) tandis que les femelles ce sont eux-mêmes, la "semence supérieure". » Voyez, femelle et mâle sont comme deux moments de la même réalité. Nous ne sommes plus dans la distinction du dedans et du dehors. La semence en question se trouve dans le dehors, mais elle n'est pas "du" dehors. Seulement elle a besoin d'être éveillée par l'élément mâle, c'est-à-dire par son élément angélique, elle a besoin de s'unir à son ange. Au fond, chaque fragment de divinité qui est au cœur de chaque homme, a besoin de s'unir – et ceci dans un langage nuptial – à son ange.
« 3Ainsi donc les éléments mâles se sont "concentrés" (rassemblés) avec le LOGOS. Les éléments femelles (...) s'unissent aux anges – le Christ descend chargé des semences mâles (les anges) qui ainsi sont mises en rapport avec une semence femelle – et entrent dans le Plérôme. (…) L'Église d'ici-bas se change en anges. »
N°22. « 1Et quand l'Apôtre dit : « Autrement, que feront ceux qui se font baptiser pour les morts ? » – Vous avez une curieuse exégèse ici d'un texte très énigmatique qui se trouve en 1 Cor 15, un chapitre qui est tout entier sur la résurrection. Paul fait allusion à ceux qui se font baptiser pour les morts. Ici nous avons sans doute une reprise qui n'a probablement pas le sens originel de l'usage auquel Paul fait allusion. Mais ce qui est intéressant, c'est la façon dont c'est repris. – C'est en effet pour nous, dit Théodote, que les anges dont nous sommes des portions se font baptiser. – Les Anges se font baptiser pour nous qui sommes des morts puisque nous sommes dans l'espace de la mort – 2Car nous sommes morts, nous que l'existence ici-bas a introduit à un état de mort. Mais les "mâles" sont vivants, eux qui ne participent pas à cette existence d'ici-bas.
3 « Si les morts ne ressuscitent pas, pourquoi nous faisons-nous baptiser ? ». C'est donc que nous ressuscitons "égaux aux anges" et "restitués" aux "mâles", les membres avec les membres, dans l'unité. 4Et, disent-ils, « ceux qui se font baptiser pour les morts », ce sont les Anges qui se font baptiser pour nous, afin que, possédant nous aussi le NOM, – être baptisé, c'est recevoir le Nom – nous ne soyons pas arrêtés par la Limite du Plérôme (…) et empêchés d'entrer au Plérôme. – Le Nom est en même temps un mot de passe qui fait que les portiers ne nous arrêtent pas. Nous avons le mot de passe pour entrer dans le Plérôme – 5C'est pourquoi, dans "l'imposition des mains", ils disent à la fin : « pour la Rédemption angélique » c'est-à-dire pour celle que les anges ont aussi, afin que celui qui a obtenu la "Rédemption" se trouve baptisé dans le NOM même dans lequel son ange a été baptisé avant lui. – Il est fait allusion ailleurs au baptême des anges. Il est dit ici que les anges se font baptiser pour nous, et c'est ce qui a donné lieu chez moi à l'expression que j'ai souvent employée : « les mots de notre vocabulaire doivent être baptisés afin de pouvoir dire... », c'est-à-dire perdre leur sens usuel pour re-susciter, laisser mourir leur sens usuel pour ressusciter à la capacité neuve de dire la nouveauté christique. – 6Or, au commencement, les anges ont été baptisés dans la "Rédemption" du NOM qui est descendu sur Jésus, sous la forme de la colombe (…) »
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N°35. « 1Jésus, notre "Lumière", comme dit l'Apôtre « s'étant vidé de lui-même » – la kénose – (…) a, par le fait qu'il était l'Ange du Plérôme, entraîné au-dehors avec lui les anges de la semence supérieure. 2Quant à lui, il possédait la "Rédemption" en tant qu'il provenait du Plérôme, mais, pour les anges, il les a emmenés en vue du "redressement" de la semence – le redressement de la semence femelle qui correspond à ces anges – 3Car c'est comme pour une portion d'eux-mêmes qu'ils prient et qu'ils invoquent le secours : retenus ici-bas à cause de nous, alors qu'ils sont pressés de rentrer, ils demandent pour nous la "rémission", afin que nous entrions avec eux. – Le Christ venant apporte notre semence mâle – 4Car on peut presque dire qu'ils ont besoin de nous pour entrer, puisque sans nous cela ne leur est pas permis (pour la même raison, disent-ils, que la Mère elle-même n'est pas entrée sans nous) – la mère de toutes les semences qui sont hors du Plérôme – c'est donc à bon droit qu'ils prient pour nous.
N°36. 1Toutefois, c'est dans l'unité, disent-ils, que nos anges ont été émis, car ils sont un, en tant qu'issus de l'Un. 2Mais parce que nous existions nous-mêmes à l'état divisé, Jésus, pour cette raison, a été baptisé pour diviser l'indivis, jusqu'à ce qu'il nous unisse aux anges dans le Plérôme : afin que nous, – la multitude, – devenus un, nous soyons tous mélangés à l'Un qui a été divisé à cause de nous.
Quasi conclusion pour l'ensemble du cycle
J'aimerais maintenant, par mode de quasi conclusion, si on peut dire, revenir sur les premiers mots de notre première rencontre. Ce n'est pas moi qui les ai prononcés, c'est Yvon :
« Le Ciel dure, la Terre demeure. Oui, le Ciel-Terre demeure à jamais, mais c'est parce qu'il ne vit pas pour lui-même qu'il subsiste éternellement. Voyant cela les saints, se mettant à la dernière place, se retrouvèrent au premier rang. Insoucieux de leur vie, ils se maintenaient bien vivants. N'est-ce pas leur abnégation qui réalisait leur perfection ? » (Tao Te King, chapitre 7)
Devant un texte comme cela, voyez, la suffisance dira : "le ciel dure et la terre demeure à jamais" : c'est le contraire de ce que nous croyons savoir. Nous avons lu dans la Bible que le ciel et la terre avaient été créés par Dieu, donc ils ne demeurent pas, seul Dieu demeure. Mais non !
Une première chose à savoir, c'est qu'il faut éviter de rechercher la similitude pièce à pièce, parce que ce n'est pas intéressant ni forcément signifiant. Il faut encore plus éviter de se méprendre en prétendant caractériser par des oppositions telle tradition et telle tradition. C'est vrai que je ne dis pas du tout qu'elles disent pareil : c'est une raison pour laquelle elles ont quelque chance de dire le même, mais en tout cas elles ne disent pas pareil. Néanmoins il est très important de ne pas se méprendre sur la façon dont on marque les différences, parce que je connais peu de choses de l'Évangile, encore moins d'autres traditions, mais je sais qu'on se méprend très aisément.
Pour prendre l'exemple qui nous correspond ici, Ciel et Terre ne sont pas dans nos Écritures premièrement des choses nommées de façon univoque. Ciel et Terre sont des "proportions". Je ne suis pas sûr que le mot soit bon parce qu'en tout cas il ne s'agit pas de proportions dans le champ de la quantité. C'est une proportion qui n'est pas quantitative. Mais de même que les chiffres ne sont pas quantitatifs, les proportions peut-être ne le sont pas non plus.
Ces dyades sont quelque chose comme ce que les médiévaux appelaient une analogie, analogia, qui est une façon de dire proportion aussi, ou plutôt proportionnalité, et que le Moyen Âge a médité comme analogie de proportionnalité pour essayer de penser ce qui n'est ni univoque ni équivoque mais analogue, analogon. Autrement dit, ces dyades sont des rapports purs qui sont susceptibles d'être appliqués à différents étages de la pensée et à différentes étapes du récit. C'est ainsi que Ciel et Terre peuvent être la dénomination du rapport père-fils, auquel cas ils ne sont pas du tout créés ; Ciel et Terre peuvent être la dénomination du rapport du Plérôme et de l'extérieur ; Ciel et Terre peuvent être la différence entre les l'élément pneumatique et l'élément pathétique, c'est-à-dire psychique et charnel ; Ciel et Terre peuvent jouer une proportion "analogue". Il faut absolument nous habituer à cela, c'est fondamental comme principe de lecture. Donc, ça ne désigne pas de façon univoque une chose et une autre chose, ça indique une proportion qui est susceptible d'être appliquée de façon analogue, pas égale mais analogue. C'est, je crois, un grand secret de la pensée, d'une pensée qui n'est pas dans l'univocité que la pensée contemporaine souhaite et garde, bien que je pense que cette analogie de proportionnalité, c'est la fleur de la pensée médiévale. C'est pourquoi personne n'en parle plus d'ailleurs, la philosophie ne s'y intéresse plus.
En plus, dans le texte du Tao que nous venons de lire ici, beaucoup de choses sont rassemblées d'une façon très étrange pour nous : par exemple, le rapport de ce qui est dit sur le Ciel avec le fait que les saints se mettent à la dernière place et se retrouvent au premier rang. Par ailleurs nous avons ici un écho, pas un écho mais une sorte de proportionnalité avec une parole de l'Évangile : « Insoucieux de leur vie ils se maintenaient bien vivants » c'est-à-dire que, précisément, c'est le non-souci de la vie qui donne qu'on soit vivant, donc le non-retenir de façon soucieuse et crispée. Ma façon de lire est ce qu'elle est, je ne dis pas qu'elle est pertinente en ce lieu, mais c'est intéressant d'entendre des choses qui font de quelque manière écho, sans plus : « N'est-ce pas leur abnégation qui réalisait leur perfection ? »
Donc, si vous voulez, revenons sur ce premier texte que je n'ai pas choisi moi-même et qui était de l'initiative d'Yvon. J'aime bien que ça rime, c'est-à-dire qu'on boucle par là où on a commencé, et c'est occasion pour moi de marquer ce principe de lecture.
Voyez combien le rapport masculin-féminin, le rapport ciel-terre, le rapport des différentes expressions que nous avons rencontrées, sont de ces structures analogues dont l'usage pertinent conditionne la pertinence de notre lecture des textes évangéliques.
[1] Ceci a été repris et augmenté dans LES ANGES. Première partie : les anges dans la Bible et aux premiers siècles.
[3] Pour J-M Martin, les anges sont des messagers au niveau du vocabulaire, mais on peut les considérer comme des messages. Cf le 4° de LES ANGES. Première partie : les anges dans la Bible et aux premiers siècles.
[4] « Qu'ils sont beaux, sur les montagnes, les pas du porteur de bonnes nouvelles, (mebasser) qui proclame la paix, qui annonce de bonnes nouvelles (mebasser) qui proclame le salut, qui dit à Sion: “Ton Dieu règne”.» (Is 52, 7). Dans la Septante le verbe euangélizesthaï traduit ordinairement le verbe hébraïque mebasser.
[5] La question qui vient à la suite d'Aristote c'est "Qu'est-ce que c'est ?", la question chez saint Jean c'est "Où ?". C'est pourquoi J-M Martin parle souvent en terme d'espace (par exemple accéder à la région de la louange, cf le 2°). Sur cette différence voir La question « Où ? » chez Jean. La distinction intelligible/sensible interdit une vraie symbolique.
[6] Le septième ciel est le moins élevé et le premier ciel le plus élevé, ce qui n'est pas courant.
[7] Ce dont il est question dans le II est raconté dans La Grande Notice qui est un résumé de doctrines valentiniennes, probablement de Ptolémée. On trouve cette Notice dans le premier livre de l'Adversus Haereses d'Irénée, chez Hippolyte (en fait le pseudo-Hippolyte), chez Tertullien, et dans les Extraits de Théodote de Clément d'Alexandrie qui date du début du IIIe siècle. Nous avons un schème à peu près semblable qui retrace ce que l'on pourrait appeler les premières choses du gnosticisme chrétien.
[8] « Connaissant Dieu, ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu, ni eucharistié mais ils se sont évanouis dans leurs dialogismes (raisonnements) - les philosophes sont visés ici – ils sont devenus vides (vains) – et c'est le mauvais vide – et leur cœur insensé s'est enténébré – ténèbre –, prétendant être sages – philo-sophes – ils sont devenus fous – folie » (Rm 1, 21-22) Cf Rm 1, 18-32 : L'entrée du péché dans le monde ; la colère de Dieu.
[9] « Le Nom du Père est le Fils ; c'est lui qui dans le Principe (Arkhê) a donné le Nom à celui qui est sorti de Lui, qui était lui-même et Il l'a engendré comme Fils. Il lui a donné Son nom qui est le Sien propre, Lui à qui sont toutes choses qui sont auprès de Lui, le Père. Il a le Nom, Il a le Fils. (…) Le nom du Père n'est pas énoncé, il est manifesté par le Fils.» (Évangile de la vérité, folio XIX p. 38, traduction Jacques Ménard, éd Letouzet et Ané 1962 p. 74-75) Cf "Le Nom du Père est le Fils" dans l'Évangile de la vérité Folio XIX.
[10] « Nous parlons, et nous parlons de la parole. Cela, de quoi nous parlons, la parole, est toujours déjà en avance sur nous. Nous ne faisons jamais que parler à sa suite. » (Acheminement vers la parole p. 163) L’homme n’accède à être homme qu’en accédant à la parole qui le précède. La parole précède l’homme, l’homme entre dans l’espace de la parole et, par là, il est homme. Dire cela c'est relire la vieille définition : l’être homme est le vivant qui a le logos (la parole). Et ceci rejoint des thèmes fondamentaux chez Heidegger : l’homme est le lieu-tenant de la parole, le gardien de la parole. Elle est l’espace dont l’homme a la garde. J'ai dit que la parole précède l'homme, mais pour autant il ne s'agit pas d'un début, il s'agit de l'arkhê dont nous avons dit que ce n'était pas le début. Le mot logos (parole) correspond au verbe legein qui signifie rassembler, cueillir, recueillir, la parole est donc conçue comme la capacité de recueillir la totalité. La parole en question n'est donc pas le discours qui bavarde sur les choses, même pas non plus la pensée qui s'assure d'un certain nombre d'opinions sur les choses : le mot parole dit cette capacité d'être le là qui accueille l'unité des multiples, et, ce peut être tout à fait silencieux ; seulement parole et silence ne sont pas des contraires à ce moment-là. Il faut bien voir que le mot parole, dans cette perspective, ne dit pas le discours dont nous parlons habituellement, mais cette posture de garde, de berger ou de vigile de l'œil. (D'après J-M Martin)
[11] C'est le douzième éon issu de Homme-Ekklêsia, voir la description topographique à la fin du 2° b), et aussi le 2ème schéma de Arbre généalogique de la gnose chrétienne.
[12] Sophie (sagesse) c'est le mot qui a donné le nom à la philo-sophie.
[13] On trouve ce mot dans les Noces de Cana à propos du vin qui "manque", manque qui est détecté par Marie, la femme. Voir Lecture valentinienne des Noces de CANA (Jn 2, 1-11) au II -1° : "L'âge de la femme et l'âge nuptial"
[14] D'autres schémas plus détaillés figurent dans Arbre généalogique de la gnose chrétienne.
[15] Dans la session du Prologue de l'évangile de Jean il est précisé ceci : « Il y a l'aspect que j'appelle générationnel ou descendant, mais c'est plutôt une émanation qu'un engendrement, le Fils désignant la manifestation du Père.» (II – 1° b de Prologue de Jean. Chapitre X : Lecture valentinienne de Jn 1, 1-5 et 14-16)
[16] « L'ensemble des éons c'est le plérôma, la plénitude première, celle des dénominations du Fils, le mot plérôme étant dans le Prologue de Jean, et aussi chez Paul. Les éons s'appellent Monogenês, Logos, Vie, Homme, Ekklêsia, Arkhê, Vérité... Dans le Plérôme se trouve le déploiement en dénominations diverses de l'unité du Monogenês (du Fils un et unifiant). Cet écartement – parce que l'écartement, la mise en quatre, est un bon exemple du déploiement, surtout pour les plantes crucifères –, cet écartement donne lieu à écartèlement, c'est-à-dire à déchirure d'entre les dénominations. Donc il y a les dénominations qui sont dans leur état déchiré. Ce sont les mots tels qu'ils nous adviennent puisque nous sommes dans la déchirure du Nom, le Nom invisible de Dieu dont le Fils est l'héritier. C'est pourquoi il est le Nom : il y a le visible du Nom et l'invisible du Nom, le nom désignant l'identité secrète. Ce Nom indicible se déploie en de multiples appellations. Ces appellations peuvent être diverses, déployées, mais cohérentes, ou bien chacun de ces mots peut se déchirer de l'ensemble. » (J-M Martin)
[17] Dans sa grammaire hébraïque Joüon considère le cohortatif de Gn 1,26 (Faisons l'homme à notre image) comme un "pluriel de délibération avec soi-même" parce que le pluriel de majesté n'existe pas en hébreu.
[18] En particulier il est l'Ange du grand conseil. Cf le 1° b de LES ANGES. Première partie : les anges dans la Bible et aux premiers siècles.
[19] Voir au paragraphe suivant, le n° 21 des extraits de Théodote.
[20] « Cette distinction entre les anges mâles et les anges femelles a sens dans une perspective déterminée puisque nous avons vu que la distinction masculin-féminin était une polarisation aussi essentielle que ciel et terre, donc on la retrouve à tous les niveaux.» (J-M Martin)
[21] « L'ange gardien a une signification très intéressante chez les valentiniens puisque c'est la part masculine de notre être. Nous sommes nativement semence féminine et l'ange est notre part secrète qui est aux cieux, c'est-à-dire dans notre intime – parce que le rapport haut-bas se laisse transformer aisément en rapport centre-circonférence, et le ciel est l'intime, je crois l'avoir déjà dit. Cela nécessite de penser l'intérieur ou l'intimité d'une certaine façon. » (J-M Martin)
[22] « Celui qui a l'épouse est l'époux, mais l'ami de l'époux (le garçon d'honneur) qui se tient debout et qui l'écoute, se réjouit de ce qu'il entend la voix de l'époux. Donc cette joie qui est la mienne est pleinement accomplie » (Jn 3, 29-30), texte abordé au Chapitre II – "Ciel et terre" chez saint Jean, le I – 4° a).