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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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30 novembre 2021

Parcours de Jean-Marie MARTIN (1927-2021) augmenté d'anecdotes

Voici un texte retraçant l'ouvrage d'une vie, celle de Jean-Marie Martin à qui est dédié ce blog.

Pour écrire cela j'ai utilisé des informations recueillies par Pierre Gandouly[1] auprès de la secrétaire de l'IER où J-M Martin a enseigné une grande partie de sa carrière. J'ai aussi eu l'aide du Père François Montagnon de Nevers[2]. J'ai ajouté des anecdotes racontées par J-M Martin dont certaines m'ont été données par des amis. Bien entendu il peut y avoir des erreurs. Les notes donnent des précisions ou renvoient à d'autres messages du blog.

Ce message complète les informations déjà données dans Qui est Jean-Marie Martin ? où l'organisation n'est pas chronologique mais thématique.

                              Christiane Marmèche

Le tag décès JMM contient des paroles d'amis de J-M Martin. Voici la liste :

 

Jean Marie MARTIN, photo de P Jolly

Jean-Marie Martin

(1927-2021)

 

Jean-Marie Martin, prêtre, chercheur en théologie et philosophie, a exercé jusqu'en 1993 à l'Institut Catholique de Paris comme enseignant et directeur de département.

 

Originaire de la région de Nevers il naît à Chevannes le 22 septembre 1927. Son père meurt à la guerre quand il est petit, et sa mère tient une épicerie. Sa grand-mère maternelle chez qui il passe pas mal de temps a une ferme[3].

  • Dans la maison voisine de sa mère, le père est lui aussi mort à la guerre, et quand la maman part travailler, elle confie sa fille à Madame Martin et à son grand garçon. Cette petite fille c’est Denise Vrinat… et c'est elle qui a pris soin de Jean-Marie à partir de 2017.
  • Il ne va pas à l’école car sa mère le trouve trop fragile pour affronter les autres garçons, mais il étudie chez un curé de la région, considéré comme un érudit. Celui-ci lui apprend le français, le latin et le grec et un peu d’histoire. Il ne commence le lycée qu'en seconde. Et comme il n’a fait ni math ni sciences, il souffre : « Ce que j’ai dû travailler pour rattraper le retard, je ne le souhaite à personne ».

 

Il fait ses études de théologie à Nevers. Connaissant parfaitement le latin et le grec, il étudie l'hébreu.

  • Il a raconté qu'il était dans les rares étudiants à faire de l'hébreu et qu'un jour on lui avait demandé de traduire un passage d'un texte de la Kabbale pour une revue, et que cela avait été un premier déclencheur. Plusieurs fois il a dit que la lecture que la Kabbale faisait de l'Ancien Testament était celle qui était la plus proche de la lecture qu'en faisait le Nouveau Testament[4].
  • Un autre jour il a raconté qu’au séminaire, on n’enseignait que les commentateurs des textes bibliques, surtout Thomas d’Aquin… et, de la poche intérieure de sa veste, tirant son Nouveau Testament écrit en grec, il a ajouté : « J’ai lu saint Jean pour la première fois vers 40 ans, et depuis je ne l’ai jamais quitté. »

 

Jean-Marie est ordonné prêtre à Fourchambault le 1er octobre 1950.

Puis il est envoyé à l'université pontificale de Rome, et là il étudie la dogmatique, avec une plongée dans la pensée de Thomas d'Aquin.

  • Amalfi en bord de mer

    Il évoquait parfois sa vie là-bas en lien avec la joie : « Mes années romaines c'était le beau temps, le temps où tout était joli » … Il insistait souvent sur la joie, distinguant dans un texte le tenant, la teneur et la tonalité : l'Évangile devait se lire dans sa propre tonalité qui était la joie.
      Lors de la session sur "Joie et pâtir" à Nevers en 2008, il a raconté deux expériences de joie.
      Pour la première expérience, il est jeune, après une montée à bicyclette, il fait une grande descente : « J'ai pensé ce que vivre voulait dire et j'ai respiré autrement… c'était une expérience de plénitude où la respiration après l'effort jouait un rôle sans doute. »
      Pour la seconde expérience, il est allé au bord de la mer à Amalfi alors qu'il vit à Rome :
    « Amalfi est une ville qui est accrochée à un rocher, les maisons sont perchées et en haut il y a le grand jardin des capucins. Je m'y vois assis avec les rumeurs de la ville qui montent, la mer, et le soir les lamparos à venir pour la pêche, et dans le jardin il y a des citronniers qui sentent. Je suis assis et j'éprouve la joie… Cette joie s'est doublée d'une autre joie qui est celle d'exprimer l'inexprimable ; c'est-à-dire que je l'ai vécu dans l'inexprimable, et dans le travail du poème il y a eu la présence dite, la présence de cet inexprimable[5].
      C'est sans doute un caractère de la joie que d'être indicible, et pourtant dire l'indicible a un sens : ça laisse l'indicible indicible et cependant il est dit ; c'est la seule écriture qui vaille pour moi. Dans l'écriture d'un poème il y a un travail très dur, très rigoureux et en même temps il y a l'imprévisible d'une rime qui a sa nécessité… La rime c'est le bonheur, on a l'impression de recevoir quelque chose qui est donné. » Et il a ajouté : « Pour la bicyclette je pense que la montée conditionne le plaisir de la descente, et de même, dans le poème, il y a un labeur pour la justesse, mais, quand c'est fait, on a l'impression que c'est donné. Il y a un rapport subtil entre joie et peine. »

En juillet 1951 il est directeur du grand séminaire de Nevers, il y enseigne la dogmatique.

En 1958 il fait un second séjour à Rome. À l'Université Pontificale Grégorienne il suit entre autres les cours du Père Antonio Orbe, jésuite, spécialiste des Pères de l'Église et des premiers gnostiques chrétiens. Cela lui fait modifier sa façon de concevoir ses cours de dogmatique.

  • « Lors de mon deuxième séjour à Rome, j'ai eu un professeur, le Père Antonio Orbe, absolument remarquable, pour l'introduction à la lecture des Pères de l'Église. Jusque-là je ne les avais pas fréquentés. J'ai vécu quinze ans largement dans saint Thomas d'Aquin, tout à fait heureux, comblé, soit comme étudiant, soit comme enseignant. Avec Antonio Orbe j'ai appris à lire, c'étaient des travaux pratiques. Pendant une année on a lu un traité de Tertullien du IIe siècle, l'Adversus  Hermogenem, et on est arrivé à peine au bout du 1er chapitre. Et lire ce texte avec intelligence, attention, a commencé à m'apprendre à lire. Je ne crois pas trop aux biblistes, moi je suis venu à la Bible par l'intermédiaire des premiers Pères de l'Église, donc rétrogressivement. »

 

À partir de 1959 il vit à Paris.

Entre 1959 et 1962 il suit le séminaire d'Henri-Charles Puech à l'Ecole Pratique des Hautes Études (EPHE) intitulé "L'Histoire ancienne et la Patristique". Dans l'annuaire des cours[6], en 1959 il est cité comme "auditeur assidu", puis en 1960, 1961 et 1962 il est "élève titulaire" (en 1960 on souligne sa participation active à des travaux). 

  • En 1959 le séminaire a porté entre autres sur l'Évangile de la Vérité, l'un des textes en copte trouvés à Nag-Hammadi, et une équipe s'est constituée pour travailler le texte. J-M Martin nous a parlé de ce : « séminaire dans lequel étaient Puech, Hadot, Tresmontant. Le projet était de faire une rétroversion hypothétique en grec du texte copte. C'est pourquoi il y avait dans le groupe des coptisants, des spécialistes du grec, des connaisseurs de la Gnose, etc. En effet il faut une équipe pour traduire cela. Il est probable que le texte avait d'abord été écrit en grec et ensuite traduit en copte, puisque l'Égypte a reçu, à un certain moment, beaucoup de ces textes et les a traduits. Le texte copte a été publié dans la grande édition de Puech. Dans la petite édition publiée par son assistant, Joseph Ménard, on trouve le texte grec – qui est l'essai de restitution à partir du texte copte –, mais aussi une traduction française.[7] »

En plus de ces cours à l'EPHE, il travaille sur la lecture que les premiers penseurs chrétiens font du début de la Genèse[8], mais cela ne débouche pas sur un écrit.

 

À partir de 1964, J-M Martin enseigne la dogmatique à l’Institut Catholique de Paris, le programme étant étalé sur deux ans : une année ecclésiologie et anthropologie, l'autre année christologie[9]. . À partir de 1968 ses cours se font dans le cadre de l'Institut  d'Études Religieuses (IER) nouvellement créé (il sera érigé par le Saint Siège en Institut Supérieur de Sciences Religieuses en 2010).  On lui donne la direction de cet IER. De plus, dans le cadre de l'extension universitaire de l'ICP il anime des week-end (au moins de 1989 à 1994). En 1993 il prend sa retraite d’enseignant.

Entre 1972 et 1992 J-M Martin publie une dizaine d'articles dans des revues comme Christus[10]. Il dit ne pas vouloir écrire de livre au motif ambigu de ne pas savoir par où commencer. Il nous reste de lui de nombreux poèmes dont les plus importants ont été écrits chez son ami peintre Mathigot[11].

  • Plusieurs fois il participe à des livres, en particulier aux Odes de Salomon[12], « un magnifique texte que nous possédons en syriaque et que j'ai contribué un peu à éditer avec une de mes anciennes élèves qui a été professeur de syriaque pendant une douzaine d'années à l'École Biblique de Jérusalem. »
  • Il participe à un document catéchétique pour les 6e - 5e édité chez Mame en 1984, "Avec saint Jean, dans la route". Il  participe à deux documents  édités par le CNER (Centre National de l'Enseignement religieux) pour la catéchèse d'adultes : Souffrir : La foi au pied du mur en 1990, et Pour oser dire Notre Père en 1993.

 

En dehors de ses cours à l'IER, il travaille sur les textes du Nouveau Testament, plus particulièrement ceux de saint Jean et saint Paul, et sur les commentaires faits par des auteurs des premiers siècles, éventuellement gnostiques. Il en présente une lecture en divers lieux.

  • En particulier de 1983 à 2012, en présence de son ami Maurice Bellet, deux fois par mois il parle à Saint-Bernard-de-Montparnasse[13], de 1989 à 2001 il anime régulièrement à l'Ermitage à Versailles des week-ends organisés par sœur Régine du Charlat[14], de 2005 à 2016 il anime chaque année un cycle de 5 soirées organisé par Yvon le Mince. Entre 2000 à 2014 il va plusieurs fois par an à Guevœur en Bretagne …
  • À Paris il anime des groupes qui se réunissent régulièrement de façon privée, en général dans des appartements[15] : poète lui-même, il anime un atelier poétique pendant quelques années ; grand lecteur de Heidegger, à la suite d'une demande, il lit Heidegger en groupe deux fois par mois (de 1993 à 2005) ; à la suite d'une autre demande il lit ensuite saint Paul une fois par mois (de 2006 à 2016).
  • Il donne régulièrement des sessions ou des retraites de plusieurs jours : de 1997 à 2014 à Sainte-Bernadette de Nevers, organisées par sœur Paule Farabollini[16] ; de 1999 à 2015 à l'Arc-en-ciel en Savoie, centre fondé par Xavier de Chalendar ; de 1999 à 2015 à l'abbaye de Saint-Jacut ; de 2001 à 2010 à l'Arbresles…

 

Suite à un problème de santé, il se retire en 2017 à Seur près de Blois.

Fin juillet 2021, il entre à l’EHPAD La Providence de Varennes-Bourg. Et c’est la nuit du 12 octobre qu’il nous quitte alors qu’il est hospitalisé, il a 94 ans.

 

  • Pour finir, voici un souvenir d'enfance raconté par lui-même.
    « J'étais déjà au petit séminaire, et nous avions été conduits aux obsèques de quelqu'un dans une paroisse de Nevers. Nous étions là et j'écoutais la chorale chanter : In memoria aeterna erit justus (le juste sera en mémoire éternelle), ce qui, évidemment, veut dire quelque chose comme : on se rappellera les bonnes œuvres de quelqu'un qui a été juste, il survivra dans la pensée de ceux qui se remémorent ses bienfaits. Mais j'entendais autrement, en sachant que je devais jouer un peu sur les mots, déjà : « Le juste vivra dans la mémoire éternelle », et je me disais que la mémoire éternelle était sûrement un lieu plus intéressant que ce bas monde, ou en tout cas, que le séminaire ! … C'était jouer déjà un peu… mais le jeu c'est sérieux ! »
 

[1] Le blog a une grande dette à l'égard de Pierre Gandouly décédé en 2020, voir Hommage à notre ami Pierre Gandouly sans qui ce blog n'existerait pas.

[2] Le Père Montagnon est responsable des prêtres aînés du diocèse de Nevers après avoir été vicaire général jusqu'au 31 août 2021.

[3] J-M Martin parlait parfois de sa grand-mère. « Ma grand-mère maternelle, à la ferme, commençait à dire le matin : “Mon p'tit Jean, je vais te tracer ton ouvrage.” Je n'aimais pas trop la perspective, et cela m'empêchait d'apprécier la beauté du langage ! »

[5] On a de lui un poème nommé Amalfi (aussi nommé "Bien plus joli") écrit en 1993, il a été à la fin de la cérémonie d'enterrement. Sur le blog deux messages en donnent le texte avec des commentaires : Extrait de "Bien plus joli", poème de J-M Martin sur Odeur et mémoire, avec son commentaire ; "Bien plus joli", poème de J-M Martin avec quelques commentaires et un extrait audio.

[7] L'Evangile de vérité est paru chez Letouzey et Ané en 1962 avec comme auteur Jacques Ménard. J-M Martin en a cité de nombreux extraits, voir les messages du tag Ev de Vérité.

[8] En particulier J-M Martin répète souvent que « pour les Pères de l'Église “Faisons l'homme à notre image” signifie “Faisons le Christ ressuscité” : c'est lui, l'homme qui est véritablement l'image de Dieu. Ou encore il cite Tertullien : « Dieu dit "Lumière soit", aussitôt le Christ paraît » ; et J-M Martin ajoute : « C'est-à-dire que le “Fiat lux” est la même chose que “Faisons l'homme à notre image”. Et "à notre image" signifie "comme notre fils". »

[9] Des extraits de ses cours figurent sur le blog, en particulier voir les messages du tag cours à l'ICP.

[10] La plupart figurent dans le tag articles

[11] Lorsqu'il était professeur à l'ICP, il passait un mois d'été chez Mathigot. Cf. les messages des tag Poèmes de JMM et Mathigot-peintre.

[12] Les Odes de Salomon traduits et annotés par Marie-Joseph Pierre, éd. Brépols 1994.

[13] M. Bellet parlait une heure en présence de J-M Martin puis après une pause, J-M Martin parlait une heure en présence de M. Bellet.

[14] J-M Martin a préfacé un livre de Régine du Charlat Comme des vivants revenus de la mort, Bayard 2002 (cf. Comme des vivants revenus de la mort, livre de Régine du Charlat, préface de Jean-Marie Martin).

[15] Par exemple le groupe saint Paul s'est réuni plusieurs années dans l'appartement de Geneviève de Taisne qui est elle-même psychanalyste, conférencière et auteur.

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